samedi 13 janvier 2018

Masse mesurée pour des dizaines de trous noirs supermassifs


Une équipe d'astronomes de la collaboration Sloan Digital Sky Survey (SDSS) vient de rendre publiques de nouvelles mesures de masse de 62 trous noirs supermassifs peuplant des quasars lointains. C'est la première fois que la masse de ce type de trous noirs si éloignés est mesurée directement. 




Catherine Grier (Penn State University) et son équipe publient leurs observations dans The Astrophyscial Journal et les ont présentés lors du meeting de l'American Astronomical Society qui s'est déroulé cette semaine.
Dans les galaxies proches, la masse des trous noirs supermassifs qui en peuplent le centre peut être mesurée en observant le mouvement  de groupes d'étoiles ou du gaz autour du centre galactique. Mais pour des galaxies distantes de plus de quelques centaines de millions d'années-lumière, cette méthode ne fonctionne plus car les télescopes ne peuvent plus résoudre les détails de leur centre. Pour ces galaxies lointaines, les astrophysiciens utilisent une méthode appelée la cartographie de réverbération (reverberation mapping). C'est ce qu'ont exploité Catherine Grier et ses collaborateurs. 

La cartographie de réverbération consiste à mesurer la distance du disque de gaz qui entoure le trou noir en mesurant le temps pris par la lumière pour atteindre ce gaz à partir du centre de la galaxie. Un rayonnement qui est émis à proximité immédiate du trou noir va se réfléchir sur les zones gazeuses successives qui l'entourent à différentes distances. Comme les émissions des quasars ne sont pas continues mais forment une suite de pic de rayonnement (des bouffées), il est assez facile de suivre dans le temps une bouffée de rayonnement qui se réfléchit latéralement par rapport à la ligne de visée. Ce délai peut néanmoins atteindre plusieurs mois, et même plus d'un an... La vitesse de la lumière étant constante et finie, il existe donc certain un délai temporel entre la bouffée de rayonnement vue directement dans la ligne de visée et sa version réfléchie (réverbérée) sur le disque de gaz. La distance de ce gaz du centre galactique est égale au délai temporel multiplié par la vitesse de la lumière. Ensuite, connaissant cette distance (et la masse du gaz, via d'autres mesures), les astrophysiciens déduisent directement quelle doit être la masse du trou noir qui se trouve au centre.
Depuis 20 ans, les astrophysiciens ont utilisé cette technique de cartographie de réverbération pour mesurer environ 60 trous noirs dans des galaxies pas trop lointaines. Mais les mesures étaient laborieuses car elle nécessitaient des mois voire des années de mesures en suivi sur les mêmes galaxies. Mais le Sloan Digital Sky Survey a révolutionné le domaine. Il peut en effet observer de très nombreux quasars simultanément : jusqu'à 850 en même temps! 
Après avoir soigneusement calibré leurs mesures, avec l'aide d'autres télescopes comme le Canada-France-Hawaï Telescope et le Steward Observatory Bok telescope, Catherine Grier et ses collaborateurs ont trouvé 62 quasars montrant des réverbérations exploitables pour déterminer la masse des trous noirs présents. Ces trous noirs supermassifs ont des masses qui s'étalent entre 5 millions et 1,7 milliard de masses solaires. Pour rappel, Sgr A*, le trou noir de la Voie Lactée a une masse de 4,2 millions de masses solaires.
La grande avancée de cette étude, c'est quelle montre que de telles mesures, si difficiles à faire, peuvent être effectuées en masse. Ces nouvelles mesures de masse de trous noirs supermassifs augmentent d'un coup de 70% le nombre de galaxies actives pour lesquelles nous connaissons la masse du trou noir supermassif. Et les quasars les plus lointains évalués dans ce travail se trouvent à 8 milliards d'années-lumière, ce qui repoussent également plus loin dans le temps la connaissance des masses des trous noirs.

Catherine Grier et son équipe continuent à observer les 850 quasars du SDSS, en espérant pouvoir mesurer de nouveaux délais temporels de réverbération sur des objets toujours plus distants. L'enjeu est important, notamment pour savoir comment évolue la masse des trous noirs supermassifs en fonction de l'époque cosmique. La phase 4 du projet SDSS se terminera en 2020 et sera suivie aussitôt après de la phase 5 dans laquelle un programme spécifique est dédié à la mesure de la masse des trous noirs supermassifs, un programme nommé Black Hole Mapper, qui vise à étudier 1000 nouveaux quasars... Tout ne fait que commencer.

Source

The Sloan Digital Sky Survey Reverberation Mapping Project: Hα and Hβ Reverberation Measurements from First-year Spectroscopy and Photometry
C. J. Grier et al.
The Astrophysical Journal 851, 21 (7 décembre 2017)


Illustrations

1) Représentation des trous noirs dont la masse a été mesurée par la technique de la cartographie de réverbération : masse en fonction de leur distance (les ronds violets correspondent aux mesures de cette étude, les carrés gris sont des mesures antérieures par la même technique).

2) Le télescope de 2,5 m utilisé par le programme Sloan Digital Sky Survey (Fermilab) 

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