mardi 14 avril 2020

Record d'énergie pulvérisé par une supernova hyperlumineuse


C'est un nouveau record auquel nous venons d'assister, celui de la supernova la plus énergétique jamais observée : 500 plus lumineuse qu'une supernova normale. Détectée en février 2016 en provenance d'une galaxie très lointaine, sa lumière résiduelle a pu être suivie durant trois ans et fournit aujourd'hui la conclusion qu'il s'agit de l'explosion de l'une des étoiles les plus massives que l'on ait observée... Une étude publiée dans Nature Astronomy.



C'est le réseau de télescopes automatiques Pan-STARRS qui a permis la détection de SN 2016aps le 22 février 2016, un très faible signal à la limite de détection des instruments (avec une magnitude 18,12 ± 0,08) . Le signal semblait alors étonnant car aucune galaxie ne semblait y être associée. La source devait donc être extrêmement lointaine, et donc la luminosité de cet objet transitoire extrêmement élevée.
Matt Nicholl (Université d Birmingham) et ses collaborateurs ont décidé de suivre dans la durée ce qui ressemblait à une supernova atypique, peut-être l'une des toutes premières supernovas de l'Univers, les explosions des premières générations d'étoiles... Ils sont parvenus à déterminer sa distance : 3,6 milliards d'années-lumière grâce à l'identification de sa galaxie hôte avec le télescope Hubble, une petite galaxie d'à peine 100 millions de masses solaires.
On le rappelle, pour qu'une étoile massive termine sa vie en supernova par effondrement de coeur (effondrement gravitationnel, supernovas de type II), il faut qu'elle ait une masse supérieure à 8 masses solaires. Dans ce cas, l'étoile fusionne son hydrogène, puis son hélium, puis son carbone et son oxygène jusqu'à ce que son coeur soit constitué presque exclusivement de fer qui ne peut plus produire d'énergie de fusion nucléaire, ce qui entraîne l'effondrement cataclysmique. Et plus l'étoile est massive, plus cette séquence de fusions nucléaires successives est rapide.

Et certaines supernovas de type II sont beaucoup plus lumineuses que la moyenne des autres, on les appelle des supernovas superlumineuses. Plusieurs idées ont été émises au fil des années pour tenter d'expliquer ces cas de supernovas très lumineuses. Parmi elles, celle d'une interaction des éjectas de l'explosion avec une vaste coquille de matière qui aurait été éjectée par l'étoile quelques années ou siècles auparavant; l'énergie mécanique pourrait y être efficacement transformée en énergie thermique puis radiative. Une autre idée serait qu'elles seraient issues d'un mécanisme d'explosion un peu différent, qu'on appelle l'instabilité de paires, dans laquelle la production de paires d'électrons-positrons par des photons gamma énergétiques dans l'enveloppe surchauffée de l'étoile en fin de vie précipiterait exponentiellement l'effondrement gravitationnel en supprimant la pression de radiation résiduelle.
Mais au début de l'année, une étude avait montré que le mécanisme d'instabilité de paires ne pouvait pas à lui seul expliquer les courbes de luminosité des supernovas superlumineuses, notamment dans le cas de la supernova SN 2006 gy qui montrait plutôt des indices de couche de matière circumstellaire dense en interaction avec l'onde de choc de l'explosion. Mais cette nouvelle supernova, SN 2016aps est sans commune mesure avec la dizaine d'autres supernovas superlumineuses détectées. On pourrait même la qualifier d'hyperlumineuse, tellement elle est hors norme. Son maximum de luminosité est 500 fois plus élevé que celui des autres supernovas classiques : l'énergie totale libérée atteint plus de 5. 1051 erg (5. 1044 Joules...), pour un pic d'intensité de 4,3 × 1044 erg s−1 (4,3 × 1037 J.s−1) La précédente recordman (SN 2008am, caractérisée en 2011) était plus de 2 fois moins énergétique.


Matt Nicholl et ses collaborateurs montrent que SN 2016aps est bien une supernova et non une destruction maréale par un trou noir ou une kilonova (produite par une fusion d'étoiles à neutrons), des phénomènes qui peuvent être aussi très lumineux, mais qui montrent une courbe de luminosité (l'évolution de la luminosité dans le temps) assez différente.
Et la position de SN 2016aps en périphérie de sa petite galaxie hôte à peine visible indique que le trou noir supermassif central n'aurait aucun rôle.
Nicholl et ses nombreux collaborateurs ont produit des simulations pour comprendre quelle sorte de cataclysme avait pu donner naissance à un tel phénomène, à même de reproduire les caractéristiques enregistrées. Ce que trouvent les chercheurs, c'est qu'il peut s'agir d'une supernova de type superlumineuse mais à quelques conditions. Premièrement, l'étoile mourant aurait dû éjecter plusieurs dizaines de masses solaires de matière durant les décennies ou siècles précédent l'explosion. Deuxièmement, la masse du coeur de l'étoile nécessaire devrait être énorme; les chercheurs concluent que la masse de matière plus lourd que l'hydrogène devrait être supérieure à 50 masses solaires... Une gigantesque étoile dont la masse totale est estimée à plus 150 masses solaires.
Quant à l'explosion elle-même, selon les astrophysiciens, elle aurait dû éjecter plusieurs dizaines de masses solaires de matière à une très grande vitesse, de l'ordre de 6000 km/s.
Nicholl et ses collaborateurs évoquent deux scénarios pour induire cette supernova hyperlumineuse à partir d'une étoile supermassive. Dans le premier scénario, l'étoile très massive aurait subit de multiples éruptions dites d'"instabilité de paires pulsantes" (des séries de contractions/éjections de matière mais sans déflagration destructrice quelques années ou décennies avant l'explosion proprement dite. Ces éruptions auraient eu pour effet d'éjecter de très grandes quantités de matière autour de l'étoile. Et c'est ensuite l'onde de choc de l'explosion dans cette matière circumstellaire qui serait à l'origine de cette luminosité démesurée.
Dans le second scénario, moins probable, il pourrait s'agir d'un mix entre les deux processus imaginés pour les supernovas superlumineuses : un couple d'étoiles très massives dans lequel la première subit une seule instabilité de paires mais complète (c'est à dire destructrice) et l'étoile compagne fournit l'enveloppe de gaz dans laquelle s'amplifie le signal lumineux de l'onde de choc de l'explosion. Selon les chercheurs, un tel mécanisme serait extrêmement rare : une supernova (de type II) sur 50 000...

SN 2016aps est, on l'aura compris la supernova de type superlumineuse la plus extrême jamais observée, à la fois en terme d'énergie émise et de masse d'étoile impliquée.  Il est possible toutefois que SN 2016aps ne soit que le sommet d'un iceberg, que nous pourrons bientôt explorer plus avant grâce notamment au télescope Vera Rubin, qui entrera en opération dans les années qui viennent et qui multipliera les découvertes de supernovas de toutes luminosités à une cadence infernale, surtout si les constellations de satellites, Starlink et autres, marquent un coup d'arrêt bienvenu.

Source

An extremely energetic supernova from a very massive star in a dense medium
Matt Nicholl et al.
Nature Astronomy (13 april 2020)


Illustrations

1) La supernova SN2016aps et sa galaxie hôte imagées par les télescopes MMT et Hubble (Nicholl et al)

2) Courbes de luminosité et modèle du processus de l'explosion (Nicholl et al.)

3 commentaires :

Pascal a dit…

Bonjour,

"...une kilonova (produite par une fusion d'étoiles à neutrons), des phénomènes qui peuvent être aussi très lumineux". J'avais la notion que les kilonovae étaient au contraire moins lumineuses que les SNe ordinaires, ai-je raté quelque chose ?

Dr Eric Simon a dit…

Oui, généralement les kilonovas sont censées être moins lumineuses mais il pourrait exister des exceptions à la règles. Mais ici, l'idée a été très vite rejetée...

Fred a dit…

Malheureusement, le télescope Vera Rubin risque d'être rendu inopérationnel à cause des constellations de satellites du genre Starlink... Je doute fort qu'Elon Musk rembourse les dépenses engagées dans ce télescope.