vendredi 1 mai 2020

Le trou noir qui fait pschitt !


En novembre dernier, nous avions parlé de la découverte du plus gros trou noir stellaire dans notre galaxie, avec une masse estimée à 68 masses solaires, étude publiée dans la fameuse revue Nature et qui avait fait grand bruit de par les problèmes théoriques qu'il posait. Mais aujourd'hui, une équipe différente publie, toujours dans Nature, une nouvelle étude sur le système binaire LB-1 et arrive à la conclusion que ce trou noir n'existerait tout simplement pas...



Michael Abdul-Masih (Institute of Astronomy, KU Leuven) et ses collaborateurs, comme beaucoup de spécialistes, trouvaient très étonnante l'existence d'un tel trou noir de presque 70 masses solaires en couple avec une étoile classique de type B. Elle défie plusieurs théories largement acceptées de l'évolution des étoiles massives, des supernovas à effondrement de coeur et des vents stellaires, difficilement conciliable avec la métallicité qui est mesurée dans notre galaxie, notamment.
Dans leur étude de l'automne dernier, Liu et ses collaborateurs déduisaient la masse du trou noir par les décalages spectraux de la raie Hα imputées au mouvement orbital du trou noir via le rayonnement du gaz entourant le trou noir. En se repenchant sur les données spectrales du système LB-1, Abdul-Masih et ses collaborateurs belges montrent que le décalage spectral de la raie Hα peut être imputé uniquement au mouvement orbital de l'étoile compagne et non à celui du trou noir, et cela change tout!
Liu et ses collaborateurs déduisaient que l'étoile compagne du gros trou noir stellaire était une sous-géante de 8,2 masses solaires, avec une période orbitale de 78,9 jours. Michael Abdul-Masih et ses collaborateurs ne remettent pas en cause la nature de cette étoile compagne, mais ils réévaluent en revanche sa masse, qui ne dépasserait pas 4,2 masses solaires. Ce qu'il voient dans les données spectrales à haute résolution acquises grâce au spectrographe HERMES monté sur le télescope Mercator de l'observatoire de La Palma, au lieu d'un décalage des raies Hα, c'est une superposition de raies d'absorption de l'étoile compagne sur un profil d'émission Hα statique. 
Ce qui était interprété par Liu et al. comme le signal d'une vitesse radiale dans le profil Hα peut être expliqué selon Abdul-Masih et ses collaborateurs par une contamination de raies d'absorption qui se trouvent au même endroit dans le spectre. L'hypothèse de la présence d'un trou noir n'est en revanche pas complètement exclue puisqu'une seule des deux composantes semble visible, mais sa masse serait beaucoup plus faible, environ équivalente à celle de l'étoile compagne, c'est à dire 4 masses solaires.
Cette hypothèse est tout de même peu probable étant donné l'absence d'émission de rayons X, qui est la signature typique d'un trou noir dans un système binaire, via son disque d'accrétion. 

Une autre petite différence sur les caractéristiques de l'étoile sous-géante qui est déterminée par les chercheurs par rapport à celles déterminées à l'automne dernier concerne la température de l'étoile. Ici, elle serait inférieure d'environ 5000 K. Pour Abdul-Masih et ses collègues, il est donc plus probable qu'il n'y ait simplement pas de trou noir dans LB-1 mais une seconde étoile du même type que la première.
Des simulations ont été menées pour reproduire les spectres composites formés par deux étoiles de 4 masses solaires où l'une des deux serait en rotation très rapide. Les résultats montrent que si cette dernière a une vitesse de rotation projetée supérieure à 200 km/s, sa détection dans les données acquises serait quasi impossible, ce qui pourrait donc expliquer l'absence apparente de seconde composante dans le système LB-1. 
Une troisième solution qui pourrait expliquer les données mesurées selon Abdul-Masih serait la présence d'un disque de gaz circumbinaire tel que ceux qui sont observés autour de certaines étoiles de type B et qui serait l'origine de l'émission Hα statique.
Par ailleurs, une autre étude en préparation (article soumis à Astronomy & Astrophysics mais pas encore acceptée pour publication), impliquant une partie des mêmes astrophysiciens s'est elle aussi repenchée sur les données de LB-1 et arrive elle aussi à la conclusion (plus définitive encore) qu'il n'y aurait pas de trou noir de 68 masses solaires dans ce système mais bien deux étoiles très resserrées, dont la seconde serait une étoile de type Be à rotation rapide (300 km/s) et elles auraient des masses plutôt différentes avec une somme toujours égale à environ 8 masses solaires.  
Ce qui semble donc maintenant sûr, c'est que l'on dispose d'indices robustes qui permettent de se débarrasser de la question épineuse qui était soulevée par l'existence d'un trou noir de 68 masses solaires dans un système binaire de notre galaxie. Il n'existerait tout simplement pas. 

Cette étude montre toute la complexité de l'astrophysique qui a souvent besoin de faire des interprétations à partir de données parfois partielles pour déterminer indirectement des caractéristiques d'objets, jusqu'à leur présence même. Le cas de LB-1 est un bel exemple du fonctionnement de la science : un résultat qui implique des conséquences trop éloignées du paradigme génère des études complémentaires indépendantes qui finissent par falsifier les premiers résultats en trouvant une solution plus acceptable à partir de nouvelles données plus détaillées. 


Source

On the signature of a 70-solar-mass black hole in LB-1
Michael Abdul-Masih, Gareth Banyard, Julia Bodensteiner, Emma Bordier, Dominic M. Bowman, Karan Dsilva, Matthias Fabry, Calum Hawcroft, Laurent Mahy, Pablo Marchant, Gert Raskin, Maddalena Reggiani, Tomer Shenar, Andrew Tkachenko, Hans Van Winckel, Lore Vermeylen & Hugues Sana 
Nature volume 580 (29 april 2020)

Illustration

Vue d'artiste d'un couple binaire trou noir - étoile sans disque d'accrétion (ESO/L. Calçada/spaceengine.org)



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