08/05/20

Jupiter mise à nue dans toutes les longueurs d’onde



Des nouvelles images en multilongueurs d'ondes, UV, visible, infra-rouge et ondes radio, obtenues conjointement avec le télescope spatial Hubble, le télescope Gemini North et la sonde Juno durant 3 ans, offrent des nouvelles informations sur les orages et tempêtes de Jupiter, au premier rang desquelles la grande tache rouge que nous observons depuis quatre siècles. Les chercheurs publient leur étude dans The Astrophysical Journal Supplement Series.



Les images à haute résolution en infra-rouge ont été obtenues avec le télesocpe hawaîen Gemini North, les images dans le visible et l’UV sont l’œuvre du télescope spatial Hubble et les observations d’ondes radio ont été effectuées in situ par la sonde Juno
Avec le Gemini North, Michael Wong (Université de Californie) et ses collaborateurs américains et européens ont utilisé une technique particulière pour atteindre la meilleure résolution possible : la technique appelée de l’imagerie chanceuse (lucky imaging). Cette technique consiste à enregistrer de très nombreuses images avec des temps de pose très courts pour ne sélectionner ensuite que les images les moins perturbées par les fluctuations atmosphériques. Grâce à cette méthode, applicable sur des objets très brillants comme Jupiter, un télescope comme le Gemini North parvient à une résolution de 500 km par pixel et peut rivaliser avec un télescope en orbite comme Hubble. 


Tout est démesuré sur Jupiter par rapport à ce que nous connaissons sur Terre. Les orages qui s’y développent sont produits par des masses nuageuses qui sont 5 fois plus imposantes en hauteur que nos cumulo-nimbus, des nuages qui peuvent faire 60 km de hauteur, et qui produisent des éclairs trois fois plus puissants que les plus forts observés sur Terre.
Les observations multiples effectuées simultanément permettent à Wong et ses collaborateurs d’explorer les tempêtes de Jupiter dans leurs profondeurs, déterminer les sources des décharges électriques et cartographier les vortex cycloniques. L’observation de près de la grande tache rouge montre que les structures sombres qui y avaient été observées par différentes sondes avant Juno et qui semblaient apparaître et disparaître rapidement ne sont pas des masses de gaz en surplomb mais au contraire, des trous dans les nuages du cyclone géant, et plus exactement des interstices entre couvertures nuageuses, qui laissent apparaître les couches plus profondes de Jupiter. Leur nature a pu être déterminée par les images infra-rouge de Gemini North comparées aux images dans le visible de Hubble. Les zones sombres dans le visibles sont au contraire très brillantes en infra-rouge. La chaleur interne de la géante gazeuse s’échappe lorsque les nuages de haute altitude s’ »entrouvrent ».

Les spécialistes cherchent à comprendre comment fonctionne l’atmosphère géante de Jupiter. Et le suivi des orages est rendu possible car comme sur Terre, les éclairs agissent comme des transmetteurs radio : ils émettent des ondes radio en plus de la lumière que nous voyons. Et la sonde Juno qui orbite la géante tous les 53 jours sur une orbite polaire très elliptique, possède un instrument dédié à la mesure du rayonnement radio (un radiomètre micro-onde). Elle peut cartographier les éclairs des orages joviens même lorsqu’ils sont trop profonds pour être visibles en lumière. 
En concaténant les cartographies d’éclairs de Juno avec les images infra-rouge, visibles et UV des deux télescopes terrestre et spatial acquises au même moment, Wong et ses collaborateurs déduisent que les décharges des orages sont associées à une triple structure nuageuse : des nuages profonds contenant de l’eau, des grandes tours convectives alimentées par du gaz humide (l’équivalent de nos cumulo-nimbus), et des régions moins denses liées à la redescente de gaz plus sec en dehors des tours convectives.
Les données de Hubble ont fourni les données sur la hauteur et l’épaisseur des nuages des tours de convections, ainsi que l’épaisseur des nuages profonds chargés en eau. Les données de Gemini North, elles, ont fourni des données sur les zones claires moins denses dans les nuages de haute altitude, qui laisse apparaître les nuages profonds aqueux.

C’est une nouvelle vision de la dynamique de l’atmosphère jovienne ainsi que de sa structure en 3D  que Wong et ses collaborateurs atteignent grâce à leurs observations combinées. Les cyclones semblent notamment être particulièrement efficaces pour induire une convection d’humidité, et par là même une redistribution d’énergie interne, selon les chercheurs. Par ailleurs, la corrélation entre décharges d’éclairs et présence de nuages chargés en eau donne aux planétologues un nouvel outil pour estimer la quantité d’eau présente dans l’atmosphère de Jupiter. La quantité d’eau est un paramètre clé à connaître pour mieux comprendre comment s’est formée Jupier, et au-delà, les autres planètes géantes de notre système solaire.

Nous ne sommes qu’au tout début du traitement des données combinées de plusieurs télescopes associées à des acquisitions de données in situ par la sonde Juno. Ces données sont si riches qu’elles vont permettre de beaucoup mieux cerner le comportement de l’atmosphère de Jupiter, comme la structure des vents, les caractéristiques des ondes atmosphériques ou la circulation des différents gaz. En attendant, rendez-vous le 14 juillet pour l’opposition de Jupiter, le point de son orbite où elle se trouve alignée avec la Terre et le Soleil et donc dans sa position la plus proche de l’année, qui nous offre un spectacle éclatant durant toute la nuit.


Source

High-resolution UV/Optical/IR Imaging of Jupiter in 2016–2019
Michael H. Wong et al.
The Astrophysical Journal Supplement Series, Volume 247 (April 2020)


Illustrations

1) Images à différentes longueurs d'ondes de la grande tache de Jupiter, avec Hubble et Gemini North (NASA, ESA, M.H. Wong et al.) 

2) Jupiter imagée en infra-rouge par Gemini North (International Gemini Observatory/NOIRLab/NSF/AURA M.H. Wong (UC Berkeley) and team Acknowledgments: Mahdi Zamani.)

3) Illustration des observations conjointes des systèmes orageux sur Jupiter (NASA, ESA, M.H. Wong (UC Berkeley), and A. James and M.W. Carruthers (STScI))

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