Il n'y a pas que la matière noire qui n'est pas détectable, il y a aussi la moitié de la matière ordinaire (matière baryonique). Elle est là mais on n'arrive pas à la détecter. Enfin... on n'arrivait pas à la détecter, car c'est désormais chose faite, avec une méthode utilisant des sources astrophysiques pleines de mystères, mais très utiles : des sursauts radio rapides (FRB). Une très belle étude parue dans Nature.
Toute la matière ordinaire qui manquait est donc enfin mise en évidence de manière définitive. L'équipe de Jean-Pierre Macquart (Curtin University) ont utilisé une méthode particulière pour mettre en évidence la matière invisible autrement, du fait de sa très faible densité dans le milieu intergalactique : le fait que le rayonnement radio émis par les FRB subit une dispersion au cours de son trajet. Puisque ces sursauts radio sont formés de photons de différentes fréquences (ou longueurs d'ondes), et que les photons sont ralentis par les électrons rencontrés durant leur trajet, plus ou moins fortement en fonction de leur longueur d'onde, dans un sursaut donné, ils s'étalent légèrement dans le temps en fonction de leur longueur d'onde. Les basses fréquences (grandes longueurs d'ondes) se retrouvent derrière les hautes fréquences (petites longueurs d'ondes) à l'intérieur du pulse radio. C'est ce phénomène qu'on appelle la dispersion. Le phénomène est similaire à la dispersion spectrale qui peut être observée lorsque la lumière traverse un prisme de verre par exemple. Et l'amplitude de cette dispersion dépend directement du nombre d'électrons traversés, c'est à dire de la quantité de matière traversée entre la source du FRB et nos radiotélescopes.
Or, pour évaluer la densité de matière qui est présente entre un FRB situé dans une galaxie lointaine et la Terre, et pas uniquement la quantité, il faut connaître la distance qui les sépare. Et heureusement, 4 nouveaux FRB ont pu être localisés par les astrophysiciens, ce qui leur a permis de déterminer assez précisément la distance de leurs galaxies hôtes, et de trouver le facteur existant entre la distance et la mesure de dispersion spectrale, donnant la densité de matière baryonique totale. Il s'agit des sursauts radio FRB 190102, FRB 190608, FRB 190611 et FRB 190711 qui se situent dans des galaxies à des distances très différentes : 1,53 milliards, 3,36 milliards, 4,14 milliards et 5,25 milliards d'années-lumière. Car une fois localisés, leurs galaxies hôtes ont été observées avec le Very Large Telescope et leur distance déterminée.
Macquart et ses collaborateurs ont utilisé le réseau australien de 36 radiotélescopes Square Kilometre Array Pathfinder (ASKAP) qui offre la possibilité de localiser les FRB qu'il détecte avec une résolution diabolique. Et ASKAP n'est que le précurseur du futur Square Kilometre Array (SKA)... En plus de ces 4 nouveaux FRB localisés, les astrophysiciens ont ajouté à leur analyse les deux autres précédents qui avaient pu être localisés par ASKAP : FRB 180924 et FRB 181112.
Les astrophysiciens calculent ainsi la densité de matière baryonique totale et trouvent Ils trouvent grâce aux FRB une densité de matière cohérente avec la valeur de la densité de matière baryonique prédite par la nucléosynthèse du Big Bang et telle qu'elle est déduite des fluctuations de densité du fond diffus cosmologique. La matière baryonique manquante n'est plus manquante et elle a bien une densité de l'ordre de quelques fractions d'atomes par mètre cube...
D'autres méthodes avaient été utilisées dans les décennies précédentes pour essayer de trouver la matière baryonique manquante à commencer par la spectroscopie d'absorption de la lumière de quasars lointains mais ces mesures doivent prendre en compte des grandes corrections et sont donc associées à de grandes incertitudes. Elles sont d'autre part insensibles à la plus grande part du volume de l'Univers et à la masse qu'il contient, étant sensible soit à l'hydrogène neutre ou soit au gaz ionisé situés dans les régions les plus denses près des galaxies.
On peut aussi mentionner les études ayant exploité l'effet Sunyaev–Zel’dovich pouvant fournir des indications sur le gaz des grandes structures en filaments en mesurant l'effet Compton inverse produit par les électrons du milieu intergalactique sur les photons du fond diffus cosmologique, ou encore celles s'attachant à détecter les émissions de rayons X du gaz situé à l'intérieur des amas de galaxies.
Mais ces méthodes restaient partielles et ne retrouvaient jamais toute la matière baryonique. Cette technique d'analyse de la dispersion des signaux radio des FRB, même si l'origine de ces derniers est toujours incomprise, se révèle être très efficace pour sonder la quantité de matière présente à travers l'univers.
Cette méthode pourra aussi être utilisée, à conditions de disposer de suffisamment de FRB, pour cartographier cette matière intergalactique très diffuse et ainsi mettre en évidence la forme de la toile cosmique, qui relie les amas de galaxies les uns aux autres, avec par endroits de vastes vides ou des régions légèrement plus denses.
Les radioastronomes qui utilisent le réseau ASKAP estiment qu'ils pourront localiser une centaine de nouveaux FRB dans l'année qui vient... un très bon début en attendant le grand réseau SKA.
Source
A census of baryons in the Universe from localized fast radio bursts
J.-P. Macquart, et al.
Nature volume 581 (27 may 2020)
Illustration
Localisation des 6 FRB détectés par le réseau ASKAP, les 4 nouveaux sont en bas (Macquart et al.)
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