samedi 7 octobre 2023

Le pulsar de Vela produit des photons gamma de 20 TeV


Des astrophysiciens des particules utilisant l'observatoire H.E.S.S en Namibie ont détecté les photons gamma les plus énergétiques jamais émis par un pulsar : plus de 20 téraélectronvolts (TeV). Et ce n'est pas n'importe quel pulsar puisque c'est le plus brillant en radio, et le plus proche : le pulsar de Vela. Une telle énergie n'est pas conciliable avec ce que l'on croit savoir des pulsars aujourd'hui. Ils publient leur découverte dans Nature Astronomy.

On le rappelle, les pulsars sont des étoiles à neutrons en rotation qui sont les résidus de supernovas de type II, des explosions d'étoiles massives. Ces étoiles à neutrons ont un rayon d'environ 12 km et possèdent un énorme champ magnétique. Les pulsars émettent des faisceaux d'ondes radio périodiques dont la période est liée à la rotation intrinsèque de l'étoile à neutrons. On peut les détecter si leur faisceau balaye notre système solaire. Mais la pulsation des pulsars peut aussi être observée dans d'autres longueurs d'ondes comme les rayons X et les rayons gamma. Le pulsar de Vela est d'ailleurs la source gamma persistante le plus puissante du ciel. La source de ce rayonnement sont les électrons rapides produits et accélérés dans la magnétosphère du pulsar, en se déplaçant vers sa périphérie. La magnétosphère est constituée de plasma et de champs électromagnétiques qui entourent l’étoile à neutrons et tournent avec elle.  Le pulsar de Vela (de son vrai nom PSR B0833-45) tourne sur lui-même environ onze fois par seconde (une période de 89 ms) et il est situé à une distance de  290 pc.

Si Jocelyn Bell avait travaillé en Australie plutôt qu'à Cambridge en 1967, elle l'aurait certainement détecté parmi ces premières découvertes, mais ce sont les australiens Large, Vaughan et Mills de l'université de Sydney qui l'ont trouvé en novembre 1968, un an après les découvertes de Bell. Et comme il se trouvait (et se trouve toujours) niché au coeur de la nébuleuse de Vela qui est reconnue comme un résidu de supernova du fait de son émission synchrotron, la découverte avait permis dès cette époque de confirmer le paradigme d'une origine des pulsars à partir de l’effondrement du coeur dans les supernovas. L'âge estimé du pulsar de Vela est d'environ 11000 ans. 
Plus de 3 000 pulsars émetteurs radio sont connus aujourd'hui, et le nombre de ceux détectés dans la gamme des rayons gamma à haute énergie (entre 100 MeV et 100 GeV) est d'un peu plus de 270. On sait depuis le milieu des années 1980 que le pulsar de Vela est un émetteur de photons gamma très énergétiques. Il est entouré d'une brillante nébuleuse de vent de pulsar qui émet des rayons X et qui affiche une remarquable symétrie toroïdale (Helfand et al. 2001; Pavlov et al. 2003). Une émission de rayons gamma pulsés de Vela a été détectée pour la première fois par Thompson et al. en 1975. En raison de la proximité du pulsar de Vela, son flux d'énergie total se situe en deuxième position derrière celui du pulsar du Crabe (qui est 7 fois plus éloigné mais 10 fois plus jeune, et lui aussi détecté en 1968). Il est intéressant de noter que dans le visible, le pulsar de Vela est un objet très faible, ce qui signifie que son émission est dominante dans les rayons X à haute énergie et les rayons gamma, avec une émission radio correspondante. 
Pourquoi les pulsars émettent ils dans les longueurs d’onde des rayons γ ? La réponse classique réside dans le fait que les champs magnétiques intenses à la surface du pulsar peuvent arracher les électrons, créant ainsi des paires e ± qui sont ensuite accélérées le long du champ magnétique. Ces électrons et positrons très énergétiques diffusent ensuite élastiquement (comme des boules de billard) sur des photons de toutes longueurs d'ondes (de radio à X) qui se trouvent là sur leur trajet et ils les propulsent à très haute énergie en leur transférant toute ou partie de leur énergie cinétique. Ce processus est appelé effet Compton inverse (l'effet Compton normal étant un photon gamma qui perd de l'énergie par diffusion sur un électron). Et comme plus le pulsar est jeune, plus le champ magnétique est intense, le jeune pulsar de Vela serait ainsi capable de produire les vitesses relativistes nécessaires à l’émission secondaire de rayons γ. Comprendre le profil d'émission conduit à une meilleure compréhension des mécanismes associés à de tels processus, ainsi que de la force du champ magnétique du pulsar. 

Concernant l’émission pulsée de rayons gamma du pulsar Vela, il existe plusieurs modèles magnétosphériques, à la fois physiques et géométriques, qui ont été proposés dans le passé pour l'expliquer : le modèle de la calotte polaire (Daugherty & Harding 1994) dans lequel l'émission est générée près de la surface de l'étoile à neutrons ; le modèle d'espace extérieur (Cheng et al. 1986 ; Romani & Yadigaroglu 1995 ; Zhang & Cheng 1997) dans lequel l'émission est générée à proximité du cylindre de lumière ; le modèle caustique bipolaire (Dyks & Rudak 2003 ; Muslimov & Harding 2003) dans lequel l'émission est générée le long des dernières lignes de champ ouvert ; et le modèle d'espace annulaire (Qiao et al. 2004 ; Du et al. 2010) dans lequel l'émission est générée près de la surface de charge nulle.
Du et al. avaient également montré en 2011 que l'émission dans la bande à haute énergie (de l'ordre du GeV) pouvait provenir du rayonnement de courbure des particules primaires accélérées, tandis que le rayonnement synchrotron des particules secondaires contribuerait quant à lui à la bande des rayons γ à basse énergie (0,1-0,3 GeV). Par ailleurs, il est à noter que les spectres de rayonnement de tous les pulsars gamma qui ont été observés à ce jour montrent tous de fortes coupures (ou une cassure) au-dessus d'une énergie de quelques GeV. Cette coupure apparaît à 10 GeV dans le cas du pulsar de Vela.

Mais les photons gamma que les physiciens de la collaboration H.E.S.S (High Energy Stereoscopic System) ont détectés dans les pulsations du pulsar de Vela n'ont pas une énergie de l'ordre de 10 GeV, mais 200 fois plus élevée! Les chercheurs ont mis en évidence une nouvelle composante de rayonnement avec des énergies pouvant atteindre au moins 20 TeV ! Cette composante de très haute énergie (78 photons détectés de plus de 5 TeV) apparaît aux mêmes intervalles de phase que celle observée dans la gamme du GeV. 
Ces résultats sont basés sur des observations avec un seuil d'énergie minimale de 260 GeV, réalisées avec les 4 petits télescopes Cherenkov de 12 m de diamètre de H.E.S.S en Namibie, au cours des saisons d'observation 2004-2007 et 2014-2016. Pour les chercheurs, ce résultat inattendu remet en question nos connaissances antérieures sur les pulsars et nécessite de repenser le fonctionnement de ces accélérateurs naturels. D'autant que le pulsar de Vela n'est pas le premier pulsar à dépasser le seuil de 1 TeV pour ses photons gamma ! Et oui, le pulsar du Crabe lui aussi, avait été observé en 2016 avec des photons de 1,5 TeV par le télescope gamma MAGIC, ce qui avait déjà laissé les astrophysiciens sans voix. Le pulsar de Vela vient donc aujourd'hui confirmer de manière éclatante qu'il y a quelque chose qu'on ne comprend pas dans les jeunes pulsars.

Pour atteindre ces énergies, les électrons devraient voyager encore plus loin que la magnétosphère, mais le modèle d'émission rotationnel doit rester intact... Le schéma traditionnel selon lequel les particules sont accélérées le long des lignes de champ magnétique à l'intérieur ou légèrement à l'extérieur de la magnétosphère ne peut pas expliquer suffisamment bien ces observations. De tels photons pulsés d'une énergie de l'ordre de 20 TeV nécessitent en effet une population mère d'électrons et de positrons avec un facteur de Lorentz relativiste d'au moins 7 107, ce qui est incompatible avec un rayonnement de courbure ou synchrotron. Une possibilité pour les chercheurs de H.E.S.S serait que l'accélération des particules se fasse à travers ce que l'on appelle le processus de reconnexion magnétique au-delà du cylindre de lumière, qui, d'une manière ou d'une autre, préserve le modèle de rotation du pulsar. Mais même ce scénario se heurte à des difficultés pour expliquer comment un rayonnement aussi extrême est produit. 

Et, même si il n'est pas le premier à dépasser les 1000 GeV, le pulsar de Vela détient désormais officiellement le record du pulsar produisant les photons gamma les plus énergétiques découvert à ce jour, détrônant son copain du Crabe.

Cette découverte ouvre évidemment une nouvelle fenêtre d'observation pour la détection éventuelle d'autres pulsars dans la gamme des très hautes énergies avec les télescopes à rayons gamma actuels et futurs. Car nous sommes plus que jamais à la recherche d'une meilleure compréhension des processus d'accélération extrêmes dans les objets astrophysiques hautement magnétisés que sont les pulsars...

Source

Discovery of a radiation component from the Vela pulsar reaching 20 teraelectronvolts
The H.E.S.S. Collaboration et al., 
Nature Astronomy (5 october 2023)


Illustrations

1. Le pulsar de Vela observé en rayons X par Chandra (NASA/CXC/PSU/G.Pavlov et al)
2. Emission gamma de plus de 5 TeV du pulsar de Vela observée par H.E.S.S (The H.E.S.S. Collaboration)
3. Emission gamma en fonction de la phase de pulsation dans plusieurs bandes d'énergie (The H.E.S.S. Collaboration et al.)
4. Les cinq télescopes Cherenkov de H.E.S.S (The H.E.S.S. Collaboration)

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