jeudi 26 octobre 2023

Le noyau de Mars entouré par une couche de silicates fondus


Les données sismiques martiennnes enregistrées suite à l'impact d'une grosse météorite en septembre 2021 a permis à deux équipes de chercheurs de déterminer la structure interne de Mars. Surprise : le noyau de la planète rouge est plus petit que ce que l'on pensait et il existe une couche de roche en fusion entre le noyau et le manteau rocheux, qu'on ne connaissait pas. Cela permet de mieux comprendre l'histoire de la formation de Mars. Les deux articles sont publiés dans Nature

Entre 2018 et 2022, la sonde Insight a détecté des centaines de "marsquakes" qui ont secoué la planète. Les ondes sismiques produites par des tremblements de terre ou des impacts ont une vitesse variable en fonction du type de matériau qu'elles traversent. Les sismologues peuvent donc déduire la structure interne d'une planète en mesurant le passage des ondes. En juillet 2021, sur la base de l'observation de 11 tremblements de Mars, les chercheurs avaient déterminé que le noyau liquide de Mars semblait avoir un rayon d'environ 1 830 kilomètres. Cette valeur de rayon est plus grande que ce à quoi s'attendaient de nombreux planétologues. Et cela suggérait que le noyau contient des quantités étonnamment élevées d'éléments chimiques légers, tels que le soufre. Mais l'impact de météorite de septembre 2021 dénommé S1000a a tout chamboulé. La météorite a frappé la planète rouge du côté opposé à celui où se trouvait InSight, beaucoup plus éloigné que les tremblements de mars étudiés précédemment par InSight, et cela a permis à la sonde de détecter l'énergie sismique qui a traversé le noyau martien de part en part.

Henri Samuel (Université Paris Cité, Institut de physique du globe de Paris) et ses collaborateurs montrent que la façon dont l'énergie sismique a traversé la planète rouge indique que la limite entre son noyau liquide et son manteau solide, à 1 830 kilomètres du centre de la planète, est en fait une limite différente entre juste un liquide et un solide. Il s'agit selon les chercheurs du sommet d'une nouvelle couche de roche en fusion qui rencontre le manteau. Le noyau proprement dit serait enfoui sous cette couche de roche en fusion et n'aurait qu'un rayon de 1 650 ± 20 km kilomètres, ce qui implique une densité de 6,5 g cm-3 , 5 à 8 % plus grande que les estimations sismiques précédentes.

Pour Samuel et ses collaborateurs, le manteau de Mars serait hétérogène en raison d'un océan de magma précoce qui se serait solidifié pour former une couche basale enrichie en fer et en éléments producteurs de chaleur. Un tel enrichissement se traduit par la formation d'une couche de silicate fondu au-dessus du noyau, recouverte par une couche partiellement fondue. Les chercheurs montrent que cette structure est compatible avec toutes les données géophysiques. Samuel et son équipe précisent que la structure en couches du manteau nécessite des sources externes pour générer les signatures magnétiques qui sont enregistrées dans la croûte martienne. Il s'agit notamment de la surchauffe précoce du noyau suite à la ségrégation noyau-manteau, ou encore d'épisodes de dynamo provoqués par des impacts géants tardifs ou des instabilités elliptiques du noyau créées par les satellites en orbite autour de Mars en mode rétrograde. Ces mécanismes, seuls ou combinés, pourraient avoir permis la création d'une dynamo martienne durant plusieurs centaines de millions d'années.

Et les chercheurs indiquent aussi que la taille révisée du noyau de Mars permet de résoudre certaines énigmes. Tout d'abord, le noyau martien n'a plus besoin de contenir de grandes quantités d'éléments légers, ce qui correspond mieux aux estimations théoriques et de laboratoire. Et puis l'existence d'une deuxième couche liquide à l'intérieur de la planète correspond mieux à d'autres indices, tels que la façon dont Mars réagit à la déformation causée par la force gravitationnelle de sa lune Phobos.

Le second article publié à la suite dans le même numéro de Nature est rédigé par une autre équipe de manière indépendante. Amir Khan (Institute of Geochemistry and Petrology, ETH Zürich) et ses collaborateurs, eux aussi arrivent à la conclusion qu'il existe une couche de roche en fusion entourant le noyau martien, mais ils trouvent un noyau un peu plus grand, de  1 675 ± 30 km, avec à une densité égale (à l'incertitude près) : 6,65 ± 0,1 g cm-3. La couche de silicates fondus qu'ils invoquent pour correspondre aux données d'InSight a une épaisseur de 150 ± 15 km et une densité de 4,05 ± 0,05 g cm-3 . Les propriétés du noyau déduites ici sont cohérentes avec un noyau contenant 85 à 91 % en masse de fer-nickel et 9 à 15 % en d'éléments légers, principalement du soufre, du carbone, de l'oxygène et de l'hydrogène. 

Khan et ses collaborateurs ont exploité les ondes sismiques provenant du même impact météoritique lointain, des ondes P multidiffractées provenant de S1000a, ainsi que des simulations des propriétés des mélanges d'éléments fondus (fer, le nickel et soufre) à des pressions et températures élevées du noyau martien. 
Pour les chercheurs, le fait d'avoir de la roche en fusion juste à côté du fer en fusion est une particularité de la stratification liquide-liquide unique qui n'existe pas sur Terre. Selon eux, la couche de roche en fusion pourrait être un vestige de l'océan magmatique qui recouvrait autrefois Mars. En se refroidissant et en se solidifiant en roche, le magma aurait laissé derrière lui une profonde couche d'éléments radioactifs (Uranium, Thorium, Potassium) qui dégagent encore de la chaleur aujourd'hui et maintiennent la roche en fusion à la base du manteau.

On en sait désormais plus sur la structure interne de Mars et c'est grâce à une météorite tombée il y a deux ans, le 1000ème jour de la mission InSight, sans laquelle notre modèle martien serait encore faux. L'atterrisseur InSight est désormais hors service, ses panneaux solaires étant couverts de poussière rouge et sa batterie complètement à plat, il est ainsi peu probable que les planétologues puissent réviser prochainement de manière substantielle la taille du noyau de Mars. Mais peut-être que la fouille dans les archives de données pourrait encore révéler quelques détails sur ce qui se trouve à l'intérieur de Mars...

Sources

Geophysical evidence for an enriched molten silicate layer above Mars’s core
Henri Samuel et al.
Nature volume 622, pages712–717 (25 october 2023)

Evidence for a liquid silicate layer atop the Martian core
Amir Khan et al.
Nature volume 622, pages718–723 (25 october 2023)
Illustrations

1. Vue d'artiste de l'intérieur de Mars (Claus Lunau/Science Photo Library)
2. Comparaison entre les modèles de structure interne de Mars (Nature)
3. Henri Samuel
4. Amir Khan


2 commentaires :

Anonyme a dit…

Saisissant. Ce que l'on arrive à comprendre et découvrir sur notre système solaire et au delà grâce aux progrès faits dans nos satellite s et nos systèmes de mesure. Bravo en tous cas pour nous offrir toute cette connaissance sur un plateau d'argent. Je me régale de vous lire et vous entendre.

Dr Eric Simon a dit…

Merci !