vendredi 16 février 2024

Un sursaut radio rapide observé pile entre 2 glitchs d'un magnétar


Le 28 avril 2020, 
un sursaut radio rapide (FRB), de durée milliseconde, a été détecté à partir du magnétar galactique SGR 1935+2154, confirmant l'association longtemps soupçonnée entre certains FRB et les magnétars. Cependant, le mécanisme de génération des FRBs dans les magnétars reste encore peu clair. Mais une équipe d'astrophysiciens vient de faire une observation cruciale sur ce même magnétar lorsqu'il a produit un nouveau FRB le 14 octobre 2022 : une brutale variation de vitesse de rotation de l'étoile à neutrons... Ils publient leur découverte dans Nature.

Rappelons tout d'abord que les magnétars sont des étoiles à neutrons dotées de champs magnétiques extrêmement élevés (≳1014 gauss), qui présentent divers phénomènes d'émission de rayons X tels que des sursauts sporadiques d'une durée inférieure à la seconde, des augmentations de flux persistantes à long terme et souvent une dérivée variable de leur période de rotation.

SGR 1935+2154 est le magnétar de notre galaxie le plus actif de la dernière décennie. Il se trouve à une distance de 6,6 kpc, il arbore une période de rotation de 3,25 s (une fréquence de 307 mHz), et un champ magnétique de 4 1014 G. Ce magnétar a connu plusieurs éruptions majeures de rayons X et d'ondes radio. L'épisode le plus récent de SGR 1935+2154 s'est produit en octobre 2022 et a duré plusieurs jours, au cours desquels il a émis des centaines de courtes bouffées de rayons X. Et le 14 octobre 2022, à 19:21:47 (temps topocentrique du détecteur CHIME (Canadian Hydrogen Intensity Mapping Experiment, ce magnétar a émis un nouveau sursaut radio rapide (FRB) avec de multiples pics radio mesurés à la fois avec CHIME et le Green Bank Telescope (GBT).

Alertés avant cette forte activité, Chin-Ping Hu (Changhua University) et ses collaborateurs ont lancé une série d'observations avec le télescope spatial NICER (Neutron Star Interior Composition Explorer) installé sur l'ISS, avec une exposition de 75 ks ainsi qu'avec le télescope NuSTAR (Nuclear Spectroscopic Telescope Array), avec une exposition de 96 ks? Ces observations se sont étalées entre le 12 octobre et le 6 novembre 2022. Les observations en rayons X à haute cadence ont ainsi permis aux chercheur d'obtenir une couverture temporelle de 67% autour du FRB, entre 17 h avant et 10 h après, mais n'ont malheureusement pas couvert le FRB lui-même en raison de l'occultation de la Terre. Mais cette cadence a permis une étude détaillée de l'évolution de la fréquence de rotation du magnétar, et les résultats sont superbes. 


La fréquence de rotation du magnétar a été observée par l'émission thermique pulsée de la surface stellaire en utilisant les données de NICER dans la bande d'énergie de 2 à 8 keV et les données NuSTAR dans la bande d'énergie de 3 à 8 keV. Cela est fait bien sûr a
près avoir éliminé dans les données les sursauts d'une durée de quelques millisecondes à environ 10 secondes.

Ce qu'observent Hu et ses collaborateurs dans cette plage temporelle entourant l'émission FRB, ce sont deux glitchs! Chaque glitch a impliqué une augmentation significative de la fréquence de rotation du magnétar. Il s'est mis à tourner plus vite brutalement. D'ailleurs, ces glitchs font partie des plus grands changements abrupts dans la rotation d'étoiles à neutrons observés jusqu'à présent. Entre les glitches, les chercheurs ont observé une phase de ralentissement rapide de la rotation, accompagnée d'une augmentation puis d'une diminution de son émission persistante de rayons X et de son taux d'éruptions.  En fait, le magnétar a exactement retrouvé sa fréquence de rotation initiale : il a connu une première augmentation de fréquence (le 1er glitch) d'environ 30 µHz, qui a été suivie d'un ralentissement jusqu'à atteindre une fréquence plus basse qu'à l'origine (d'environ 20 µHz), puis à nouveau une augmentation (le second glitch) de 20 µHz pour retomber sur la fréquence de rotation initiale. Et quand les chercheurs tracent l'évolution dans le temps de cette fréquence de rotation, ils observent que l'instant d'émission du FRB du 12 octobre 2022 se trouve exactement entre les deux glitchs ! Ils ont eu lieu 4,4 heures avant et 4,4 heures après le FRB.   

Les astrophysiciens pensent qu'un fort vent magnétosphérique éphémère fournit le couple qui ralentit rapidement la rotation de l'étoile après un glitch. Selon eux, le déclenchement du premier glitch couplerait la croûte de l'étoile à neutrons à sa magnétosphère, ce qui renforcerait les émissions de rayons X et ferait naître le vent qui modifie les conditions magnétosphériques susceptibles de produire le FRB.

En raison de l'absence de changements majeurs dans le taux de comptage, le profil de l'impulsion et les spectres autour de l'instant du premier glitch, Hu et ses collaborateurs pensent que cette première variation abrupte de rotation a probablement été déclenchée par un mécanisme interne au magnétar. On pense généralement que les glitchs dans les pulsars normaux et dans certains magnétars résultent d'un transfert de moment cinétique des neutrons superfluides de la croûte interne en rotation rapide (et peut-être du cœur) vers les autres parties de l'étoile à neutrons, ces dernières étant ralenties par les couples magnétosphériques. 

Le ralentissement rapide suite au premier glitch aurait rapidement régénéré le décalage de spin entre le superfluide et le reste de l'étoile, ce qui aurait conduit au second glitch. En utilisant des arguments de conservation du moment cinétique, Hu et ses collaborateurs montrent qu'un court intervalle de temps de 8,8 heures entre les glitchs suggère que la composante superfluide fait plusieurs dizaines de pour cent du moment d'inertie du magnétar, selon les chercheurs. Ceci suggère qu'une partie substantielle du noyau de l'étoile à neutrons et la plupart des neutrons libres de la croûte interne sont dans un état superfluide.



L'activité magnétique dans les couches externes peut en effet fournir de la chaleur ou exciter des oscillations, qui conduisent à l'ouverture de tourbillons superfluides dans les couches plus profondes de l'étoile à neutrons. Le mouvement d'un grand nombre de tourbillons superfluides pourrait alors déplacer des tubes de flux supraconducteurs dans le noyau. Ces derniers modifieraient la géométrie du champ magnétique de la couche superficielle, soumettrait la croûte à des contraintes et chaufferait les couches externes, ce qui pourrait entraîner une augmentation des émissions persistantes et du taux de burst quelques heures après le premier glitch.

Hu et ses collaborateurs expliquent que ces contraintes sismiques peuvent provoquer une rupture de la croûte de l'étoile à neutrons lors d'un séisme stellaire près des pôles magnétiques, là où le champ est le plus intense. Ce chauffage associé à des températures "super-Eddington" peut conduire à l'expulsion de grandes quantités de plasma riche en ions, formant un vent relativiste optiquement épais et collimaté qui "tord" les lignes de champ de l'étoile. Ce vent éphémère peut naturellement expliquer la période de ralentissement rapide du spin entre les glitches, à condition que la masse cumulée expulsée soit suffisante. Le vent tord les lignes de champ dans la magnétosphère au-dessus des pôles, augmentant en même temps la densité d'énergie du champ magnétique. Ensuite, lorsque le vent s'apaise, il détord le champ vers sa configuration plus permanente et libère la magnétosphère de son surplus de particules chargées, ce qui peut être à l'origine de la baisse du flux de rayons X qui est observée avant le sursaut radio. Dans un tel scénario, des cascades de paires particules/antiparticules apparaissent lorsque la magnétosphère évolue vers un état plus pauvre en charges. 

Les chercheurs font d'ailleurs le lien avec les deux autres sursauts radio rapides du magnétar SGR 1935+2154, ceux du 28 avril 2020 et d'octobre 2020. Ils montrent qu'une telle phénoménologie correspond bien à ces deux FRB qui se sont produits dans la phase de déclin de l'activité intense des sursauts X.

On le voit, la recherche sur les FRB vient donc de faire un grand pas en associant directement pour la première fois l'émission d'un sursaut rapide d'ondes radio avec un double glitch qui trace un événement dans la croûte de l'étoile à neutrons. SGR 1935+2154 est un superbe laboratoire astrophysique. Les futures observations à haute cadence de SGR 1935+2154, mais aussi d'autres magnétars, à la fois dans les rayons X, et en conjonction avec une surveillance radio attentive comme dans cette étude, aideront à n'en pas douter à comprendre encore mieux les conditions requises pour générer des FRBs, de moins en moins énigmatiques... 


Source

Rapid spin changes around a magnetar fast radio burst

Chin-Ping Hu et al.

Nature (14 february 2024)

https://doi.org/10.1038/s41586-023-07012-5


Illustrations 

1. Vue d'artiste d'un magnétar (NASA Goddard Space Flight Center/Chris Smith (USRA))

2. Le télescope NICER sur l'ISS '(NASA)

3. Vue d'artiste du télescope NuStar (NASA/JPL Caltech)

4. Evolution temporelle des signaux X de  SGR 1935+2154 (Hu et al.)

5. Chin-Ping Hu

2 commentaires :

Martial a dit…

Bonjour, Très interessant article. La "sismicité" d'un magnetar permettant comme sur terre d'en inferer l'intérieur. Je me pose cependant une question, Compte tenu de la compacité d'une étoile à neutron, ne peut-on pas s'attendre à une production d'ondes gravitationnelles en association avec cette activité sismique et les variations de la rotation induites ?

Dr Eric Simon a dit…

Théoriquement oui. Reste à voir si les fréquences et l'amplitude associées seraient détectables par nos instruments actuels... La difficulté probable avec ce magnetar là c'est qu'il tourne lentement. Sa fréquence de rotation est d'environ 307 mHz. L'effet sismique associé à la rotation devrait certainement produire des ondes gravitationnelles dans ces plages de fréquence. Les détecteurs LIGO/Virgo/Kagra sont adaptés pour détecter des ondes gravitationnelles sur une plage comprise entre quelques dizaines et quelques centaines de Hertz...