19/02/24

Deuxième image du trou noir M87*, cuvée 2018


La collaboration Event Horizon Telescope (EHT) a produit une nouvelle image de M87*, enregistrée un an après la première qui avait été révélée en 2019, et à l'aide d'un radiotélescope supplémentaire dans le réseau, situé au Groenland. Dans l'article publié dans Astronomy&Astrophysics, on voit un anneau d'exactement la même dimension qu'en 2019, mais différent en terme de zone brillante...
< div style="text-align: justify;">
La toute première image de l'ombre de l'horizon de M87* avait été enregistrée le 11 avril 2017 par l'EHT. Pour exploiter tous les radiotélescopes du réseau en même temps et observer la zone du ciel où se trouve la galaxie M87, c'est possible seulement environ une semaine par an, au mois d'avril. Ainsi tous les mois d'avril, l'EHT mène une nouvelle campagne d'observation. Un an après cette semaine miraculeuse d'avril 2017 qui leur avait permis de produire l'image de M87* puis, avec un peu plus de difficultés celle de Sgr A*, le 21 et le 25 avril 2018, la grande collaboration internationale a donc pu réitérer ses observations de M87*.

Il faut dire que pour améliorer les capacités d'observation par rapport à 2017, le Greenland Telescope a rejoint l'EHT, cinq mois seulement après l'achèvement de sa construction. Ce radiotélescope Groenlandais est situé bien au-dessus du cercle arctique, ce qui offre une fidélité d'image améliorée et une résolution angulaire accrue dans la direction nord-sud. En 2017, 8 observatoires composaient l'EHT, ils étaient 9 en 2018, sachant que le South Pole Telescope situé en Antarctique ne peut pas être utilisé pour imager M87* (mais pour Sgr A*, oui...).

Et en 2018, le réseau EHT a également été mis à niveau pour observer dans quatre bandes de fréquences autour de 230 GHz, contre seulement deux bandes en 2017. Plus précisément : 213.1 GHz, 215.1 GHz, 227.1 GHz et 229.1 GHz. Malgré les défis posés par les conditions météorologiques des différents sites en avril 2018 (l'eau absorbe les ondes radio à ces fréquences), les progrès des techniques d'acquisition et d'étalonnage des données ont finalement permis une qualité élevée après quelques années de travail de traitements divers. Les chercheurs ont effectué une analyse des données à l'aide de huit techniques d'imagerie et de modélisation indépendantes. 

La nouvelle image que les chercheurs de l'EHT nous offrent ressemble à s'y méprendre à la première. L'ombre de l'horizon fait exactement la même taille : 43,3 µs d'arc pour le diamètre de l'ombre centrale. La première faisait 42 µs d'arc. Cela permet de confirmer que le trou noir est toujours le même, avec la même masse de 6,5 milliards de masses solaires qui avait été déterminée en 2017, un trou noir supermassif situé à une distance de 55 millions d'années-lumière.
Mes les astrophysiciens précisent que cette valeur de masse n'est pas tout à fait en accord avec deux évaluations très récentes obtenues par la cinématique stellaire spectroscopique dans M87. La première adapte de nouveaux modèles d'orbite triaxiale aux observations du télescope Keck II (Liepold et coll. 2023) et trouve une masse pour M87* de 5,3 milliards M⊙ . La seconde estimation utilise les observations d'optique adaptative des instruments MUSE et OASIS du VLT (Simon et coll. 2024) et trouve initialement une masse de 8,7 milliards M⊙ ! Mais en considérant un profil de masse stellaire différent dans la région interne (et donc un rapport masse/lumière différent), cette méthode obtient une estimation de masse plus raisonnable de 5,5 milliards M⊙ . Ces estimations de masse se situent à moins de 1,5 σ de l'estimation de masse EHT mais sont donc un peu différentes. Il existe bien entendu d’importantes incertitudes systématiques dans ces différentes estimations de masse de M87*.

Mais chose très intéressante, par rapport à la première image de 2017, l'anneau de lumière radio n'est pas tout à fait le même en 2018. La nouvelle image révèle un anneau avec une distribution de luminosité qui culmine vers le sud, ce qui est semblable à l'image précédente, mais avec une différence subtile : l'asymétrie de luminosité qui était observée sur l'image de 2017 est toujours présente, mais tournée d'un angle d'environ trente degrés (dans le sens inverse des aiguilles d'une montre). 

La direction du déplacement est cohérente avec une prédiction théorique qui avait été rapportée en 2017, si l'alignement du jet à grande échelle est dans la direction normale au disque. Et en 2020, Wielgus et al. avaient montré des preuves d'une variation de l'angle de position à l'échelle annuelle de la luminosité maximale de l'anneau de M87*, sur la base d'une modélisation simple de données de l'EHT. La présente étude est donc le premier cas où une telle variation à l'échelle annuelle est confirmée sans ambiguïté par l'imagerie. 
D'autre part, de récentes études de surveillance à long terme de M87* utilisant un réseau interférométrique VLBI à une longueur d'onde plus grande ont révélé l'existence d'une oscillation systématique de l'angle de position du jet de M87 à l'échelle du parsec (Walker et al. 2018 ;Cui et el. 2023 ). Cette oscillation pourrait être causée par des instabilités de flux ou à une précession du trou noir supermassif.
Néanmoins, que la variation temporelle de l'anneau que les chercheurs de l'EHT observent dans M87* et son jet soient physiquement liées ou non, il pourrait de toute façon y avoir certains biais, compte tenu du grand écart spatial qui les sépare et également du manque d'images EHT interannuelles. Une accumulation supplémentaire d'images de l'EHT au cours des prochaines années, ainsi qu'une surveillance du jet à l'échelle du parsec, sont nécessaires pour mieux comprendre l'origine de la variation à l'échelle annuelle de la structure en forme d'anneau et sa possible connexion avec le jet à grande échelle.

Les astrophysiciens rappellent aussi qu'en plus de la variation de l'angle de position à l'échelle annuelle du point le plus brillant de l'anneau, les simulations de magnétohydrodynamique relativiste (GRMHD) pour l'environnement d'accrétion autour de M87* montrent également que l'angle de position de l'emplacement le plus brillant de l'anneau peut varier en raison de l'environnement d'accrétion turbulent et magnétisé, mais par contre, avec une échelle de temps beaucoup plus petite que la cadence d'observation annuelle de l'EHT. 
En supposant que le jet du trou noir soit aligné perpendiculairement au disque d'accrétion, avec de nombreuses observations annuelles pour accumuler un nombre statistiquement significatif d'images indépendantes, les chercheurs s'attendent à voir l'angle de position de la région la plus lumineuse être plus similaire à celui observé en 2018 qu'en 2017. Étant donné que l'échelle de temps pour les changements d'angle de position dans les simulations GRMHD est petite par rapport à la cadence annuelle des observations, ils n'associent pas nécessairement ce changement avec une rotation globale du flux d’accrétion, mais ils considèrent plutôt les observations de 2018 comme un instantané de l’orientation la plus courante du flux d’accrétion. 

Rendez-vous dans deux ans pour la deuxième image de Sgr A*, à moins que la troisième de M87* arrive avant...

Source

The persistent shadow of the supermassive black hole of M 87
I. Observations, calibration, imaging, and analysis
The Event Horizon Telescope Collaboration
A&A Volume 681, 18 January 2024


Illustrations

1. Comparaison des images de M87* de 2017 et 2018 (EHT Collaboration)
2. Composition de l'Event Horizon Telescope en 2018 (EHT Collaboration) 
3. Construction de l'image par les huit techniques différentes (EHT Collaboration)

Aucun commentaire :