Un mystère vieux de plusieurs décennies concernant l'une des explosions d'étoiles les plus célèbres de l'histoire vient d'être résolu par le télescope spatial James Webb (JWST). Nous parlons de la supernova historique SN1987A et de la nature de l'astre compact qui en est le résidu. Une équipe montre la preuve que c'est une étoile à neutrons et non un trou noir, ils publient leur travail dans Science.
La lumière de SN 1987A a atteint la Terre il y a 37 ans cette semaine en provenance du Grand Nuage de Magellan situé à 160000 années-lumière. Sanduleak−69 202 , une étoile supergéante bleue de 20 masses solaires, a explosé ce 23 février 1987 et a révolutionné l'astrophysique moderne en permettant d'observer de très près la façon dont les étoiles meurent, jusqu'à détecter pour la première fois quelques neutrinos qui avaient pourtant été copieusement produits par le cataclysme. Mais malgré des années d’étude de cette explosion, les astrophysiciens n’ont pas été en mesure de détecter le résidu : était-ce un trou noir ou bien une étoile à neutrons, comme beaucoup le prédisaient ?
SN 1987A est la supernova la plus proche et la plus brillante observée depuis 1604.
Au fil des années, les astronomes ont observé des anneaux de gaz et de poussière s'étendre vers l'extérieur du site de l'explosion, s'atténuant généralement mais se réactivant parfois lorsque divers matériaux éjectés entraient en collision. Les télescopes les plus puissants du monde, dont le télescope spatial Hubble, ont bien sûr suivi l'évolution de l'explosion durant toutes ces années et on ne pouvait pas imaginer que le télescope Webb ne soit pas pointé vers cette région du Grand Nuage de Magellan Les études de SN 1987A ont finalement conduit à de nombreuses découvertes sur l'évolution stellaire, comme par exemple la manière dont les étoiles mourantes expulsent dans les éléments chimiques forgés dans leur cœur.
La théorie suggère que l'étoile originale a explosé dans le type de supernova le plus courant, une supernova à effondrement de coeur, dans lequel une étoile massive (qui fait au moins huit fois la masse du Soleil) manque d'hydrogène, d'hélium et d'autres éléments pour entretenir sa fusion nucléaire, et donc s'effondre et explose. Les premières observations de SN 1987A, comme la vague de neutrinos, suggéraient qu'elle aurait dû donner naissance à une étoile à neutrons.
Au cours des 5 dernières années, quelques indices ont émergé. En 2019, Matsuura et ses collaborateurs ont publié des images de SN 1987A prises avec l'Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (ALMA), qui montraient une la présence de matière chaude au centre des éjectas de la supernova. Mais les chercheurs ne pouvaient pas dire si elle avait été réchauffée par la désintégration d'éléments radioactifs lors de l'explosion ou bien par la lumière à haute énergie émise par une étoile à neutrons. C'était suggestif, mais pas concluant.
Puis, en 2021, Greco et ses collaborateurs ont rapporté avoir trouvé des images d’archives de deux télescopes à rayons X de la NASA qui montraient des rayons X provenant de particules piégées magnétiquement près du centre de la supernova. Mais ils ne pouvaient pas dire si ces particules étaient piégées par les lignes de champ magnétique d’une étoile à neutrons ou par celles d’une onde de choc plus éloignée.
Claes Fransson (université de Stockholm) et ses collaborateurs ont donc utilisé le JWST non pas pour observer directement le résidu compact, car il reste caché derrière un voile de poussière provenant de l’explosion, mais pour détecter la lumière de fluorescence de certains atomes ionisés. C'est dès le 16 juillet 2022, quelques jours seulement après avoir commencé ses observations, que JWST a été pointé vers SN 1987A pendant 9 heures d'affilée pour produire des spectres infra-rouges à haute résolution.
Fransson et ses collaborateurs ont obtenu des données d'une très grande qualité avec MIRI et NIRSpec qui montrent très clairement la présence d’atomes d’argon et de soufre qui ne peuvent avoir été excités que par le rayonnement d'une étoile à neutrons. L'équipe a également mesuré la vitesse des gaz fluorescents et a conclu que le matériau était projeté à une vitesse plus lente à partir d'une couche située juste à l'extérieur du noyau de l'étoile d'origine, justement là où l'on s'attendait à trouver de l'argon et du soufre. La production d’une telle fluorescence nécessite des photons de haute énergie. Il pourrait s'agir des rayons X émis directement par la surface de l'étoile à neutrons qui a une température de plusieurs millions de Kelvins ou bien il pourrait s'agir de photons UV produits secondairement par les champs magnétiques de l'étoile à neutrons.
Les mêmes éléments ont été observés dans d'autres jeunes restes de supernova riches en oxygène provenant d'explosions massives d'étoiles, notamment Cas A, SNR G54.1+0.3 et SNR 0540−69.3. Les résidus SNR G54.1+0.3 et SNR 0540−69.3 contiennent tous deux des nébuleuses de vent pulsar (PWNe), alimentées par la puissance de rotation d'une étoile à rotation rapide avec un champ magnétique puissant. En revanche, Cas A contient une étoile à neutrons avec une température de surface de 1,8 × 10 6 K sans nébuleuse de vent de pulsar. Les raies d'émission dans Cas A sont principalement excitées par un choc dans les parties externes de l'éjecta de la supernova.
Fransson et ses collaborateurs démontrent que les raies étroites [Ar ii ], [Ar vi ], [S iii ] et [S iv ] qu'ils observent depuis le centre de SN 1987A doivent être excitées par une source de photons ionisants ou une onde de choc. Les chercheurs ont également envisagé cinq autres possibilités : l'ionisation par le 44Ti radioactif, l'excitation produite par les rayons X provenant de l'interaction des éjectas et du milieu circumstellaire, une étoile compagne survivante, la réflexion de raies d'émission produites par la collision par la poussière ; ou l'émission d'un choc inverse entrant. Ces cinq possibilités ont été exclues.
Alors que les explications restantes incluent toutes la présence d’une jeune étoile à neutrons ou d’un trou noir au centre, Fransson et al. montrent que la solution trou noir est très peu probable (pour ne pas dire exclue aussi) car l'étoile progénitrice de SN 1987A avait une masse de noyau de Fe de moins de 2 masses solaires. Or, L'explosion a éjecté au moins 0,07 masses solaires de 56Ni. Il reste donc moins de masse que ce qui serait nécessaire pour former un trou noir (2,2 masses solaires).
Cette découverte constitue la preuve observationnelle la plus solide à ce jour de la présence d’une étoile à neutrons dans SN 1987A, Les astronomes vont désormais se concentrer sur une meilleure compréhension de l’étoile à neutrons et de son évolution au fil du temps. Claes Fransson et ses collègues ont déjà effectué de nouvelles observations du résidu de SN 1987A avec le JWST, dont certaines prises pas plus tard que cette semaine. Ils prévoient de rechercher plus de détails, par exemple si l'étoile à neutrons est enveloppée par de puissants champs magnétiques.
SN 1987A n'a pas dit son dernier mot...
Source
Emission lines due to ionizing radiation from a compact object in the remnant of Supernova 1987A
C. Fransson et al.
Science Vol 383 (22 Feb 2024)
Illustrations
1. Le résidu de SN1987A imagé par Hubble (NASA)
2. Emission de fluoresence de l'argon observée par le télescope Webb (Fransson et al.)
3. La région de SN 1987A (le résidu est au centre de l'image (NASA, ESA, Robert P. Kirshner (CfA, Moore Foundation), Max Mutchler (STScI), Roberto Avila (STScI))
4. Claes Fransson
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