lundi 11 mars 2024

Parker Solar Probe et BepiColombo plongées dans une éjection de masse coronale...


Les 15 et 16 février 2022, plusieurs sondes spatiales ont mesuré l'un des événements de particules énergétiques solaires (SEP) les plus intenses observés jusqu'à présent au cours du cycle solaire 25. D
es observations très intéressantes de Parker Solar Probe (PSP) et BepiColombo ont notamment été effectuées avec une configuration où les deux sondes étaient très proches l'une de l'autre à 0,34 et 0,37 UA du Soleil. Leng Ying Khoo (Princeton university) et ses collaborateurs fournissent une analyse non seulement des flux de particules reçus par PSP et BepiColumbo, mais aussi par de nombreux signaux d'autres sondes. Ils publient dans The Astrophysical Journal

En coïncidence temporelle avec les sondes proches du Soleil au moment de la forte éruption, à environ 100° dans la direction rétrograde et à 1,5 UA du Soleil, le détecteur de rayonnement à bord du rover Curiosity a observé la plus grande bouffée de protons au niveau du sol sur Mars depuis le début des mesures en surface. À des distances intermédiaires (entre 0,7 et 1,0 UA), la présence de régions d'interaction de flux (SIR) pendant l'heure d'arrivée du flux de SEP a en revanche apporté des complexités supplémentaires pour l'analyse des contributions distinctes des événements pilotés par l'éjection de masse coronale (CME) par rapport aux événements pilotés par le SIR dans les observations par des sondes telles que Solar Orbiter et STEREO-A, ainsi que par des sondes comme ACE, SOHO et Wind. 

BepiColombo est une mission conjointe des agences spatiales européenne et japonaise. Khoo et al. ont utilisé les données du Mercury Planetary Orbiter, le module européen de BepiColombo. La sonde qui a été lancée en octobre 2018 est en phase de croisière vers Mercure et arrivera à destination en décembre 2025. Pendant sa phase de croisière, les différents modules de BepiColombo ont certains instruments en fonctionnement. Les chercheurs ont utilisé le magnétomètre MPO-MAG, et le BepiColombo Environment Radiation Monitor (BERM), qui est un détecteur de particules capable de mesurer les électrons (entre 0,15 et 10 MeV), les protons (de 1,5 à 100 MeV) et les ions lourds. L'instrument BERM pointe généralement vers l'opposé du soleil pendant la période de croisière. Pour trouver la bonne trajectoire pour atteindre Mercure, BepiColombo effectue régulièrement plusieurs manœuvres de propulsion, dont une a eu lieu lors de l'événement du 15 février 2022. Heureusement, les observations du BERM n'ont pas été affectées par cette manœuvre, et les données MPO-MAG ont été spécialement traitées pour supprimer le bruit supplémentaire introduit par la manœuvre.

La sonde solaire Parker (PSP) a été lancée en 2018 également, dans le but de comprendre ce qui chauffe la couronne solaire, accélère le vent solaire, et dynamise les SEP. Elle se trouve sur une orbite héliocentrique avec une inclinaison d'environ 3,4° et une période orbitale d'environ 3 mois. Les chercheurs ont utilisé les mesures de la partie magnétomètre de l'expérience FIELDS qui fournit des mesures directes des champs électriques et magnétiques, ainsi que l'Integrated Science Investigation of the Sun (IS⊙IS), qui mesure les particules énergétiques allant de 10 keV à 100 MeV, et aussi la suite Solar Wind Electrons Alphas and Protons (SWEAP) qui mesure les particules du vent solaire et leurs propriétés telles que la température, la vitesse et la densité. La suite d'instruments IS⊙IS se compose de deux détecteurs de particules énergétiques qui mesurent les particules de faible énergie (EPI-Lo) et de haute énergie (EPI-Hi). EPI-Lo est un spectromètre de masse à temps de vol qui couvre presque un hémisphère complet, tandis qu'EPI-Hi se compose de trois télescopes détecteurs à semi-conducteurs couvrant cinq grandes ouvertures de champ de vision. 


Khoo et ses collaborateurs montrent que l'événement du 15 et 16 février 2022 peut être considéré comme un évènement SEP de type "généralisé" car des protons énergétiques ont été observés à travers une séparation longitudinale entre le centre de l'éruption et l'engin spatial pouvant atteindre ∼165°. BepiColombo, PSP et Curiosity (sur Mars) étaient plus proches du centre de l'éruption lors de cet événement et, comme prévu, ces engins spatiaux ont observé des flux de protons énergétiques plus élevés que ceux mesurés par Solar Orbiter, STEREO-A et Wind qui se trouvaient du côté de la Terre.

Les paramètres du vent solaire indiquent également l'arrivée au même moment d'une région d'interaction de flux (SIR) sur Solar Orbiter, STEREO-A et la Terre, pendant l'événement SEP, ce qui rend difficile l'identification de la source de ces particules énergétiques. Les chercheurs indiquent que des études plus détaillées sont en cours pour démêler les événements SEP liés au SIR et à la CME et pour comprendre le mécanisme sous-jacent de propagation et d'accélération des particules énergétiques.

Comme BepiColombo et PSP étaient à 0,34 et 0,37 UA du Soleil, donc avec une séparation radiale de 0,03 UA et une séparation longitudinale de 3° à 4° au cours de cet événement, les chercheurs ont pu comparer efficacement les données collectées par l'une et l'autre. En fait, c'est la première fois que BepiColombo rencontrait des ions lourds pendant sa phase de croisière. A partir d'une analyse de reconstruction 3D de l'éjection de masse coronale, Khoo et ses collaborateurs montrent que PSP et BepiColombo ont probablement rencontré le flanc sud de la CME, plutôt que son nez. Les deux sondes ont observé des protons et des électrons énergétiques peu après l'observation du sursaut radio par PSP et ont ensuite mesuré une augmentation maximale des protons énergétiques à l'arrivée du choc, suggérant une population de protons localement accélérée par le choc. De plus, ils ont également enregistré un spectre énergétique à trois pentes à proximité du choc, et une enquête plus approfondie est en cours pour caractériser l'évolution du spectre lors de cet événement.

La proximité des deux sondes présente une précieuse opportunité de comparaison directe, voire d’étalonnage croisé. Il est très utile de consolider les détections des deux instruments, notamment pour BepiColombo. Un tel étalonnage en vol des instruments permet à la sonde d'être pleinement opérationnelle juste après son insertion sur l'orbite de Mercure. Une comparaison directe entre les mesures de particules énergétiques (entre 2 et 30 MeV) des deux sondes montre un bon accord, ce qui n'est pas surprenant compte tenu de leur proximité à ce moment là. Khoo et al. ont effectué un étalonnage croisé et déterminé que les mesures de flux de BepiColombo sont généralement inférieures d'environ 35 % aux mesures de l'instrument HET de Parker, après avoir pris en compte différents facteurs tels que l'expansion du tube de flux. Les chercheurs estiment qu'il s'agit d'un petit facteur de correction. Concernant le champ magnétique, les mesures des deux sondes sont généralement en bon accord, sauf dans la région des éjectas magnétiques. Par exemple, PSP a connu une durée d’éjecta magnétique plus longue que BepiColombo.

Au niveau de la surface martienne, le rover Curiosity a mesuré la plus grande bouffée de rayonnement au niveau du sol rouge depuis le début de l'exploitation de son détecteur dosimètre RAD. D'après les chercheurs, de tels événements au niveau du cratère Gale sur Mars sont probablement causés par des protons de plus de 150 MeV. La sonde MAVEN a en effet mesuré des protons de 80 à 200 MeV quelques heures après la bouffée détectée par Curiosity. Et des protons et des électrons de plus faible énergie ont aussi été observés par MAVEN au même moment. Étant donné que seuls les protons pénétrant de plus de 150 MeV peuvent traverser l'intégralité de la colonne atmosphérique martienne et produire un événement tel que celui mesuré par Curiosity, cela signifie que les SEP avec des énergies plus faibles déposent leur énergie dans l'atmosphère martienne, et les collisions ions-atomes neutres correspondantes produisent une absorption des radiofréquences traversant l'ionosphère, ce qui a de fortes implications pour les communications et le relais de données de Mars depuis la surface. Les chercheurs indiquent que cet événement SEP exceptionnel a produit des signes évidents de dégradation du signal, voire d'atténuation totale, sur les deux radars haute fréquence qui sont actuellement en opération sur Mars, à savoir le radar MARSIS à bord de Mars Express et le radar SHARAD à bord de Mars Reconnaissance Orbiter. 

En résumé, l’événement SEP généralisé des 15 et 16 février 2022 constitue l’un des événements SEP les plus intenses du cycle solaire actuel. La configuration fortuite de différents sondes a présenté une opportunité unique de comprendre comment les particules énergétiques se propagent, et éventuellement accélèrent, dans l’espace interplanétaire sur une large plage longitudinale. Cette étude rapporte non seulement des caractéristiques intéressantes associées à cet événement, mais fournit aussi le premier interétalonnage des détecteurs de particules de BepiColombo et PSP. Elle introduit de nombreuses études, qui sont déjà en cours pour plusieurs d'entre elles, qui vont améliorer notre compréhension de cet événement SEP particulier et plus généralement des éjections de masse coronale du Soleil produisant des gros flux de particules ionisantes sur des très grandes distances.


Source

Multispacecraft Observations of a Widespread Solar Energetic Particle Event on 2022 February 15–16

L. Y. Khoo et al.

The Astrophysical Journal, Volume 963, Number 2 (5 march 2024)

https://doi.org/10.3847/1538-4357/ad167f


Illustrations

1. L'éjection de masse coronale du 15 février 2022 imagée par SOHO (ESA)

2. Position des sondes au moment de l'éruption géante (Khoo et al.)

3. Leng Ying Khoo


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