jeudi 14 mars 2024

Europe produit moins d'oxygène moléculaire que prévu


Europe, la lune de Jupiter, a une surface principalement constituée de glace d'eau qui est modifiée par l'exposition à son environnement spatial. Les particules chargées brisent les liaisons moléculaires dans la glace de surface, dissociant ainsi l'eau pour produire finalement de l'hydrogène et de l'oxygène, qui fournit un mécanisme d'oxygénation potentiel pour l'océan souterrain d'Europe. Une équipe de chercheur vient de réévaluer la production d'oxygène à la surface d'Europe à partir de mesures directes. Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.

Le dioxygène et le dihydrogène constituent les principaux constituants atmosphériques d’Europe. Bien que les observations à distance imposent d'importantes contraintes globales sur son atmosphère, l'abondance d'O2 a jusqu'à aujourd'hui toujours été déduite des émissions de l'oxygène atomique. La composition atmosphérique d'Europe n'avait jamais été directement échantillonnée et les estimations de la production d'oxygène dérivées du modèle variaient sur plusieurs ordres de grandeur. 

L'interaction d'Europe avec son environnement spatial, notamment les particules chargées, la lumière ultraviolette et les impacts de météoroïdes, modifie la chimie de sa surface, conduisant à l'érosion et au dépôt de matériaux exogènes. Les particules chargées dissocient la molécule d'H2O dans la glace de surface. L'oxygène et l'hydrogène devraient être principalement libérés de la surface par désorption thermique. La désorption thermique ainsi que la pulvérisation d'électrons ou d'ions peuvent ensuite libérer ces molécules dans l'atmosphère d'Europe. Il a été montré dans des études antérieures que cette atmosphère comprend H, H2 , O, O2, et H2O. Les atomes et molécules neutres atmosphériques peuvent être ionisés sous forme d'ions capteurs incorporés dans le plasma magnétosphérique de Jupiter. La pulvérisation atmosphérique, dans laquelle un plasma échange de l'énergie avec l'atmosphère neutre et l'érode, avait été initialement proposée comme étant le mécanisme dominant de perte de dioxygène neutre. Par la suite, l'ionisation par impact électronique et l'échange de charge symétrique O2+  → O2 ont également été proposés comme principaux moteurs de la perte d'O2 . La perte de H2 a en revanche été moins étudiée théoriquement, mais c'est l'ionisation par impact électronique qui est proposée comme étant le mécanisme de perte dominant.

L’atmosphère d'Europe est régie par la température de surface ainsi que par une source de pulvérisation. Bien que les survols E4 et E6 de Galileo à des altitudes rapprochées de 692 et 586 km aient permis de déduire la présence d'ion capteurs près d'Europe, des limitations instrumentales ont empêché une déconvolution de la composition du plasma mesuré en un matériau venant d'Europe ou d'ailleurs. Les contraintes sur les abondances relatives des espèces atmosphériques neutres et ioniques d'Europe étaient auparavant dérivées principalement d'observations par télédétection ultraviolette. Comme il n'y avait pas eu d'observations directes in situ de particules europagènes à proximité, la composition de l'atmosphère d'Europe, la quantité perdue et la contribution du plasma d'Europe à la magnétosphère de Jupiter restaient en suspens


Mais heureusement est arrivée la mission Juno, arrivée en orbite jovienne en 2016 et qui est équipée d'un instrument performant nommé Jovian Auroral Distributions Experiment (JADE) et qui comprend plusieurs analyseurs d'électrons et un spectromètre de masse ionique à temps de vol. L'instrument ionique de JADE mesure les distributions d'énergie et d'angle de particules chargées positivement avec une énergie par charge ( E / q ) de 10 à 46 keV/ q . Juno a effectué un survol d'Europe le 29 septembre 2022, avec son approche la plus proche à une altitude de 353 km et une distance radiale de 1,2  R (R = 1 560,8 km). 

Jamey Szalay (université de Princeton) et ses collaborateurs ont analysé les données enregistrées lors de ce survol à la vitesse de 23,6 km s-1. Les flux de molécules sont déterminés en intégrant les données du spectromètre de masse pour identifier H+ , H2+ et O2+/S+ et  se concentrer sur les espèces provenant exclusivement d'Europe. Les densités d'environ 100 molécules cm-3 mesurées au cours de ce survol se situent dans la fourchette de 25 à 50 % de celles observées au cours du voyage de la sonde Galileo. 

Historiquement, l'atmosphère neutre de dihydrogène était considérée comme dominée par une population thermalisée avec une distribution de vitesse similaire à celle de la température de surface locale. Mais contrairement aux attentes, Szalay et ses collaborateurs constatent que l'atmosphère neutre de dihydrogène est dominée par une population non thermique avec une dépendance radiale, comme cela a été utilisé pour l'évasion atmosphérique d'Io. Une telle distribution radiale résulterait d'une population neutre sortante et s'échappant, ce qui est directement observé pour la voie H2-  + e-  → H2 +  + 2e −. A partir du profil d'altitude, les chercheurs déduisent que la vitesse moyenne d'écoulement de l'hydrogène neutre est de 58 ± 34 m s-1. Le profil d'altitude de H2 neutre et les taux de perte de H2 totaux sont indépendamment cohérents, ce qui donne une confiance supplémentaire dans le fait que la population de H2 n'est pas thermique et a été chauffée après sa libération de la surface par un mécanisme supplémentaire. Les chercheurs pensent que ça peut être le résultat d'une pulvérisation atmosphérique, d'une pulvérisation superficielle directe, d'un chauffage Joule ou d'une combinaison de tous ces effets. 


Concernant le dioxygène (O2), les chercheur déterminent que son budget global est de 12 ± 6 kg s-1 au total, produit à la surface er réparti entre les pertes atmosphériques d'une part et la séquestration potentielle dans la glace de surface de l'autre. Le processus de dissociation radiolytique (via l'impact d'électrons ou d'ions) s'avère être le mécanisme d'érosion de surface exogène dominant sur Europe, par rapport au bombardement de météoroïdes.

Avant le survol d'Europe par Juno, les estimations basées sur un modèle pour la source totale d'O2 eurogénique s'étendaient sur deux ordres de grandeur : de 5 à 1 100 kg s-1 ! Szalay et al. ont donc fortement réduit cette plage d'incertitude. Les efforts de modélisation antérieurs fournissent un contexte à l’ampleur relative de la production d’oxygène. Une étude portant sur la physique de la production et de l'éjection d'O2 depuis la surface avait révélé que des taux de production de 8 à 26 kg s-1 correspondaient à la formation d'une fine couche d'O2 près de la surface, contre 430 à 1 100 kg s-1 dans le cas d'une couche épaisse. Comme l'hypothèse de la couche mince et les taux de production modélisés correspondants sont similaires aux contraintes d'observation trouvées dans cette présente étude, ces résultats apparaissent cohérents avec la notion proposée que l'oxygène résiderait dans une fine couche près de la surface. Une étude distincte des paramètres de modélisation a en outre montré qu'avec des densités en amont de 100 molécules par cm3 comme celles observées lors du survol de Juno, des taux de production de 12 ± 6 kg s-1 seraient cohérents avec une couche d'O2 neutre d'environ une dizaine de kilomètres.

En ce qui concerne le transport potentiel vers le bas, les chercheurs indiquent que l'O2 produit par radiolyse et retenu dans la glace d'Europe pourrait se frayer un chemin vers l'océan en tant que source possible d'énergie métabolique. Les estimations de l'apport d'O2 de la glace oxygénée à l'océan liquide varient de 0,3 à 200 kg s-1 (Hand et al. 2007) et même jusqu'à 300 kg s-1 (Greenberg et al. 2010). À moins que la production d'oxygène d'Europe ait été significativement plus élevée dans le passé, les taux de production d'O2 trouvés ici, bien inférieurs à 15 kg·s-1, fournissent une plage plus étroite désormais pour soutenir le concept d'habitabilité dans l'océan d'Europe par rapport aux estimations précédentes qui étaient basées sur des modèles.


Source

Oxygen production from dissociation of Europa’s water-ice surface
Jamey Szalay et al.
Nature Astronomy (4 march 2024)

Illustrations

1. Europe imagée par Juno lors de son survol du 29 septembre 2022 (NASA)
2. Vue d'artiste de la sonde Juno (NASA)
3. Schéma des réactions de dissociation produisant de l'oxygène et de l'hydrogène (Szalay et al.)
4. Jamey Szalay 

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