samedi 30 mars 2024

Preuve du verrouillage de marée de la super Terre LHS 3844b


Dans une étude publiée le 28 mars dans The Astrophysical Journal, des astronomes fournissent la preuve la plus convaincante à ce jour qu'une planète possède une synchronisation de marée de type 1:1, c'est à dire qu'elle montre toujours la même face à son étoile, à la manière de la Lune avec la Terre. On pensait que de nombreuses exoplanètes rocheuses devaient être ainsi verrouillées au vu de leurs éléments orbitaux, mais il manquait une preuve d'observation. C'est désormais chose faite. 

Lorsqu’une planète orbite très près de son étoile, sa face proche subit une attraction beaucoup plus forte que sa face éloignée. Au fil du temps, ce déséquilibre, appelé force de marée, ralentit la rotation de la planète jusqu'à ce qu'elle soit en parfaite synchronisation avec son orbite. Cela signifie que le temps nécessaire à la planète pour tourner une fois sur son axe est le même que celui nécessaire pour qu’elle tourne une fois autour de son étoile. Dans un tel état, la planète fait toujours face à l’étoile avec le même hémisphère, créant ainsi un côté jour et un côté nuit permanents.

Cependant, toutes les exoplanètes à courte période ne doivent pas nécessairement tourner de manière synchrone. L'évolution de la rotation d'une planète est compliquée par de nombreux facteurs, notamment la structure interne de la planète, la présence d'une atmosphère ou d'un océan et l'influence potentielle de planètes compagnes. À titre d'exemple, on a longtemps cru que Mercure tournait de manière synchrone sur la base des premières théories des marées et des observations de ses caractéristiques de surface. Mais des observations radar dans la deuxième moitié du 20ème siècle ont révélé que Mercure se trouvait plutôt dans une résonance de type spin-orbite de 3:2 (Colombo & Shapiro 1966 ).

Mesurer l’orbite d’une exoplanète est simple, mais il est beaucoup plus difficile de déterminer sa rotation sur elle même, surtout si la planète a une atmosphère qui masque sa surface en rotation. Xintong Lyu (université de Pékin) et ses collaborateurs se sont tournés vers une exoplanète particulièrement proche de son étoile pour prouver l’hypothèse du verrouillage des marées. En 2019, une équipe avait utilisé le télescope spatial Spitzer (2003 - 2020) pour mesurer l'intensité de la lumière provenant de cette super-Terre appelée LHS 3844b. Lyu et ses co-auteurs ont réalisé que ces mesures pouvaient leur indiquer la température de la surface de la planète faisant face à la Terre, car LHS 3844b n'a probablement pas d'atmosphère. 

LHS 3844b est une super-Terre qui a un rayon de 1,32 R⊕ et une période orbitale de 11,1 heures. C'est l'une des plus petites exoplanètes à courte période avec une courbe de phase thermique mesurée. Les observations de Spitzer de la planète à 4,5 μm (dans l'infra-rouge) excluent de nombreux scénarios atmosphériques probables et limitent l'épaisseur globale de l'atmosphère à moins de 10 bars (Kreidberg et al. 2019 ; Whittaker et al. 2022 ). Ces observations sont cohérentes avec les modèles d'évasion atmosphérique, qui prédisent que la planète a perdu son atmosphère en raison du fort vent stellaire de l'étoile et du flux X-UV élevé. L'interprétation la plus plausible est que LHS 3844b est une planète à roche nue, ce qui élimine toute dégénérescence potentielle entre la rotation non synchrone et la redistribution de la chaleur atmosphérique, et rend LHS 3844b idéale pour tester l'hypothèse du verrouillage des marées.


Des analyses antérieures de LHS 3844b avaient révélé qu'en plus d'exclure une atmosphère épaisse, sa courbe de phase est cohérente avec une orbite circulaire, une rotation synchrone et une surface à albédo relativement faible composée de basalte (Kreidberg et al. 2019 ; Whittaker et al. 2022). Les chercheurs revisitent la courbe de phase de LHS 3844b produite par Spitzer, avec un modèle thermique d'une planète sans atmosphère et analysent l'impact d'une rotation non synchrone, ainsi que de l'excentricité, de la dissipation des marées et de la composition de la surface. On sait que les planètes qui ne sont pas (encore) synchronisées par les marées se réchauffent en raison du conflit entre leur rotation propre et la force de marée intense qui est exercée par leur étoile. Or l’équipe a découvert que la surface de LHS 3844b était relativement froide, comme on peut s’y attendre pour une planète qui ne subit pas d'échauffement de marée et qui est donc synchronisée.

Sur la base de l'absence de fort échauffement de marée observé, Lyu et al. excluent une rotation non synchrone rapide (y compris une résonance spin-orbite de type Mercure 3:2) et ils limitent l'excentricité de la planète à une valeur inférieure à 0,001. De plus, la courbe de phase de LHS 3844b implique deux autres effets possibles : soit que la planète est encore soumise à un très faible réchauffement de marée via son excentricité faible mais non nulle (mais dans ce cas cela nécessite la présence d'une compagne orbitale non détectée), ou soit que la surface de LHS 3844b du côté jour a été assombrie par l'altération du rayonnement. Parmi ces deux scénarios, Lyu et ses collaborateurs considèrent que c'est l’altération qui est la plus probable, même s'ils ne peuvent pas exclure l'autre. Pour eux, ces résultats soutiennent l’hypothèse selon laquelle les exoplanètes rocheuses de courte période sont bien verrouillées par les marées, et que l’altération spatiale peut modifier considérablement les surfaces des exoplanètes sans atmosphère.



Il s'agit de la preuve la plus convaincante du phénomène que l'on puisse obtenir avec les informations ou les instruments actuellement existants. Les observations futures permettront de tester et d’affiner cette interprétation de plusieurs manières. Les mesures de vitesse radiale peuvent être utilisées pour limiter l'excentricité de la planète et exclure la présence de planètes compagnes. De même, les observations par Webb peuvent identifier l'altération de surface grâce à son impact sur le spectre d'éclipse secondaire de la planète, tandis que le réchauffement des marées peut être déduit grâce à des courbes de phase thermique plus précises que celles de Spitzer. De telles mesures devraient être possibles avec Webb non seulement pour LHS 3844b, mais aussi pour d'autres exoplanètes candidates du même type (rocheuses sans atmosphère proches de leur étoile), on pense notamment à GJ 1252b, TRAPPIST-1b et TRAPPIST-1c.

Avis aux volontaires pour demander du temps d'observation sur le télescope Webb...

Source

Super-Earth LHS3844b is Tidally Locked
Xintong Lyu et al.
The Astrophysical Journal, Volume 964, Number 2 (28 March 2024)


Illustrations

1. Vue d'artiste de LHS 3844b (NASA/JPL-Caltech/R. Hurt (IPAC))
2. Le télescope spatial Spitzer (NASA/JPL-Caltech/R. Hurt (IPAC))
3. Schéma d'une planète verrouillée par les marées (Smurrayinchester) 

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