mardi 5 mars 2024

Le Grand Nuage de Magellan pesé grâce à ses amas globulaires


Une équipe d'astrophysiciens a pu estimer la masse du Grand Nuage de Magellan (LMC) en utilisant la cinématique de 30 amas globulaires de la galaxie naine. Ils ont effectué cette mesure en combinant les mouvements propres mesurés avec le télescope Hubble et le télescope Gaia. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal.

Le Grand Nuage de Magellan est la plus grande des galaxies naines en orbite autour de la Voie Lactée. Elle est si grande, en fait, que le nom de galaxie naine est un peu abusif. La masse est une quantité fondamentale de tout système stellaire. La quantité totale de masse et sa répartition déterminent le comportement du système et la manière dont les étoiles à l'intérieur se déplacent. 

La masse est aussi un point de référence. On peut étudier les galaxies proches de manière beaucoup plus détaillée que celles plus éloignées, et utiliser notre connaissance de l’univers proche pour aider à interpréter les observations de systèmes plus éloignés. La masse est ainsi une caractéristique couramment utilisée pour comparer et connecter des systèmes proches et éloignés.

La masse de la galaxie voisine Andromède (M31) est du même ordre de grandeur que celle de la Voie Lactée, bien que peut-être légèrement plus grande. La plupart des galaxies naines de notre galaxie et de M31 ont une masse inférieure de plusieurs ordres de grandeur, fournissant un point de référence de masse très différent.
Il existe quelques galaxies locales qui se situent entre les deux extrêmes : il s'agit, par ordre de masse décroissant, de M33, du LMC, M32, et le Petit Nuage de Magellan (SMC). M33 et M32 sont à peu près à la même distance que M31, ce qui limite les détails avec lesquels on peut les étudier, à la fois en termes de précision et de type de données. Le LMC et le SMC sont beaucoup plus proches, cette paire de galaxies étant probablement liées lors de leur première chute dans la Voie Lactée. Le LMC est  environ un ordre de grandeur moins massif que notre galaxie et le SMC encore un ordre de grandeur moins massif.
Le LMC est particulièrement intéressant car il est suffisamment massif pour avoir un effet significatif et observable sur la Voie Lactée. Laporte et al. ont par exemple montré en 2018 que la déformation du disque de la Voie Lactée pouvait être entièrement expliquée par une interaction du LMC. Garavito-Camargo et al. ont quant à eux montré en 2019 que le LMC devrait laisser un sillage clair lors de son déplacement à travers le halo de la Voie Lactée, vu à la fois spatialement et cinématiquement, et Petersen & Peñarrubia ont montré en 2020 que le LMC pouvait déplacer le barycentre du disque de la Voie Lactée, ce qui peut à son tour produire un mouvement réflexe dans le halo. Et Erkal et al. avaient utilisé en 2020 des modèles d'équilibre pour montrer que le fait de ne pas tenir compte de l'impact du LMC sur la Voie Lactée pouvait biaiser considérablement les estimations de masse de la Voie Lactée. L’étendue de l’influence du LMC et le fait qu’il soit effectivement le seul responsable de certaines des caractéristiques de voie Lactée dépendent de sa masse.

Le LMC peut également influencer les flux stellaires dans le halo de notre galaxie. Droit & Majewski (2010) ont utilisé le flux stellaire du Sagittaire en 2010 pour contraindre la forme du halo de la Voie Lactée et avaient trouvé des propriétés de halo inattendues dans un paradigme de matière noire froide, ce qui les avait amenés à conclure que cela pourrait être dû à l'influence du LMC. 

Comme la plupart des galaxies, le LMC serait dominé par la matière invisible, la matière visible ne représentant qu'une petite fraction de sa masse totale. Les astrophysiciens utilisent généralement la dynamique pour estimer la masse, en déduisant à la fois la quantité totale de masse et sa distribution en observant soit le mouvement relatif du LMC et d'autres objets proches, soit en étudiant les mouvements des étoiles à l'intérieur.

À ce jour, la plupart des études ont opté pour la première méthode. Mais Laura Watkins (Space Telescope Science Institute) et ses collaborateurs ont utilisé la seconde méthode, et plus particulièrement les amas globulaires du Grand Nuage de Magellan. Les astrophysiciens ont utilisé toutes les données de vitesse (mouvement propre et vitesse radiale) de 30 amas globulaires du LMC afin de définir les 3 composantes de leur mouvement. Ils ont dérivé une valeur de l'anisotropie de dispersion de vitesse (définie dans un système de coordonnées sphériques) β = −0,72 (+ 0,62− 1,07). Cette valeur négative de l'anisotropie indique que les vitesses tangentielles sont plus grandes que les vitesses radiales, et ça, c'est cohérent avec le fait que les amas globulaires forment un système aplati avec un mouvement azimutal important autour du LMC.
A partir des ces vitesses en trois dimension des 30 amas globulaires, les chercheurs appliquent ensuite un estimateur de masse et mesurent une valeur de masse (comprise dans un rayon de 13,2 kpc) qui vaut 26,6 (+4,2 −3,6) milliards M⊙. C'est globalement cohérent avec les résultats d’études antérieures effectuées à partir des vitesses radiales des amas globulaires et d’autres traceurs. En supposant ensuite une distribution de type NFW cosmologiquement contrainte pour la matière noire, qui implique un halo massif bien plus grand que la région mesurée par les amas globulaires, Laura Watkins et ses collaborateurs déduisent une masse virielle (totale) de 180  milliards (+105/-54 milliards) M⊙ pour le LMC.

Bien qu'il s'agisse d'une extrapolation d'un peu plus d'un ordre de grandeur sur le rayon (le rayon du halo est estimé par les chercheurs à 148 kpc alors que la masse mesurée par le mouvement des amas globulaires est celle incluse dans 13,2 kpc), ce résultat est cohérent avec les estimations qui ont été publiées avec d'autres méthodes directement sensibles à la masse totale du LMC, dans les plages d'incertitudes de chaque mesure. 
En considérant que la masse totale de la Voie Lactée est de 1100 milliards M⊙ (la valeur encore couramment admise par la communauté astrophysique), ces résultats indiquent que le LMC aurait une masse d'environ 17% de la masse de la Voie Lactée, ce qui en fait un contributeur significatif au potentiel gravitationnel du Groupe Local. En effet, Andromède ayant une masse totale de 1500 milliards de masses solaires et M33 environ 430 milliards, cela signifie que le LMC pèse 6% de l'ensemble du Groupe Local. 
Jusqu'à récemment, le manque de mesures de mouvements propres (vitesses tangentielles) constituait un facteur très limitant dans notre capacité à réaliser ce type d'études, mais aujourd'hui, grâce à Hubble et à Gaia, les mouvements propres sont souvent plus facilement disponibles que les vitesses radiales (dans la ligne de visée) ou les distances. Watkins et ses collaborateurs précisent que les estimations de distances et de vitesses radiales comportaient souvent de grandes incertitudes. L'acquisition d'informations de plus en plus précises sur la distance et la vitesse radiale des amas globulaires du LMC devrait augmenter à l'avenir la précision avec laquelle on peut estimer la masse, à la fois en raison des plus petites incertitudes et de l'augmentation de la taille de l'échantillon.

Source

The Mass of the Large Magellanic Cloud from the Three-Dimensional Kinematics of its Globular Clusters
Laura Watkins et al.
accepté pour publication dans The Astrophysical Journal 


Illustrations

1. Le Grand Nuage de Magellan (Lowell Observatory)
2. Laura Watkins


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