dimanche 10 mars 2024

Les amas ouverts des Pléiades, des Hyades et alpha Persei tournent aussi



En utilisant les paramètres astrométriques d'une grande précision et les vitesses radiales fournies par les données du télescope spatial Gaia, des astronomes chinois avaient déjà réussi à déterminer les paramètres 3D de rotation du célèbre amas ouvert Praesepe (alias M44 ou l'amas de la Ruche) en 2022. Ils remettent le couvert aujourd'hui en s'attaquant à trois autres fameux amas d'étoiles ouverts chers aux astronomes amateurs : les Pléiades (M45), les Hyades, et alpha Persei. Tous ces amas ouverts tournent gentiment. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal


Les Pléiades, Alpha Persei et les Hyades sont trois des amas ouverts les plus proches et les mieux étudiés. On pense que la plupart des étoiles de la Voie Lactée se forment en amas d'étoiles. Les amas ouverts sont des systèmes liés gravitationnellement, composés de dizaines jusqu'à des milliers d'étoiles, ils sont les rares survivants des amas engendrés dans les nuages ​​moléculaires formant des étoiles, avec des âges allant de quelques millions d'années à une dizaine de milliards d’années. À l'heure actuelle, la formation, l'évolution et la dispersion éventuelle des amas ouverts sont encore mal comprises, bien que des milliers d'amas ouverts galactiques aient été découverts. Afin de mieux comprendre la formation et l'évolution des amas ouverts, l'un des aspects clés est d'obtenir une caractérisation détaillée de leur cinématique interne.
Les simulations hydrodynamiques de la formation des amas et de leur évolution très précoce suggèrent que la rotation pourrait être courante chez les progéniteurs des amas ouverts, comme l'avaient montré Mapelli et al. en 2017. Mais contrairement aux amas globulaires, dont la rotation a été largement étudiée, nos connaissances sur la rotation interne des amas ouverts font cruellement défaut.


À ce jour, des signes de rotation n’ont été signalés que dans une douzaine d’amas ouverts. En identifiant la corrélation entre les vitesses tangentielles et les parallaxes des étoiles membres, Vereshchagin & Chupina (2013) et Vereshchagin et al. (2013) avaient exploré la rotation potentielle dans les amas des Hyades et des Pléiades et avaient émis l'hypothèse que leur rotation était comparable. De même, Kamann et al. (en 2019) et Healy et al. (en 2021) avaient étudié les vitesses tangentielles ou radiales des membres d'amas en fonction des distances au centre de l'amas, et avaient signalé la présence de signes de rotation dans Preasepe et NGC 6791 et l'absence de de rotation dans les Pléiades et NGC 6819. Puis Loktin & Popov (2020) ont analysé la rotation de Praesepe par des méthodes de mouvement propre résiduel ou de vitesse radiale. Plus récemment encore, en utilisant la troisième version de données de Gaia (EDR3) pour créer des cartes spatio-cinématiques des amas ouverts, Guilherme-Garcia et al. (2023 ) avaient rapporté la détection de modèles de rotation dans huit amas, avec neuf objets supplémentaires affichant des signes de rotation possibles. Mais, toutes ces études ont adopté des méthodes utilisant le mouvement projeté (mouvement propre ou vitesse radiale) pour étudier la rotation des amas ouverts. La rotation tridimensionnelle des amas est restée insaisissable jusqu'à ce que la rotation 3D de Praesepe soit révélée en 2022 par les auteurs de cet article, et dont nous étions fait l'écho ici en octobre 2022 (épisode 1403).


C.J. Hao (Observatoire de la Montagne pourpre) et ses collaborateurs rappellent combien étudier la rotation 3D des amas ouverts est un défi. L’une des principales difficultés est d’obtenir une caractérisation détaillée de la cinématique interne des étoiles, ce qui nécessite des mesures de haute qualité des mouvements propres et des vitesses radiales des étoiles membres. Pour les amas comportant des dizaines, voire des centaines d'étoiles assemblées dans des champs encombrés, les positions spatiales précises, et en particulier les parallaxes des étoiles membres, constituent des difficultés supplémentaires lorsqu'il faut déduire la rotation. Les données du catalogue Gaia DR3 offrent des paramètres astrométriques de haute précision et notamment les vitesses radiales pour un nombre suffisant de leurs étoiles membres. 
Après avoir développé en 2022 la méthode d'analyse des données et l'avoir appliquée sur l'amas Praesepe, Hao et ses collaborateurs l'ont donc appliquée pour évaluer la rotation 3D des Pléiades, α Per et des Hyades, puis pour explorer la relation qui pourrait exister entre la rotation des amas ouverts et les paramètres de l'amas (par exemple l'âge, la masse et le rayon).

Les Pléiades, que l'on connaît également sous le nom de Sept Sœurs, est un amas ouvert facilement visible à l'œil nu dans la constellation du Taureau. La distance des Pléiades a été estimée par de nombreuses méthodes, telles que la parallaxe, l'ajustement d'un diagramme couleur-magnitude et l'adoption des binaires à éclipses comme des chandelles standards. Actuellement, il est convenu que la distance des Pléiades est située entre 130 à 140 pc. L'âge de l'amas des Pléiades est un sujet de débat, avec des estimations qui vont d'environ 80 Mégannées, basées sur des comparaisons du diagramme couleur-magnitude de l'amas avec les isochrones théoriques de l'évolution stellaire, à environ 130 Mégannées dérivées de la méthode des limites d'épuisement du lithium, et une valeur de 132 Mégannées a par ailleurs été déduite à partir d'une naine blanche dans l'amas en 2019. Les Pléiades contiennent plus de 1000 étoiles membres qui partagent des mouvements propres communs, une latitude galactique élevée et une faible rougeur le long de la ligne de visée. Cet amas a un rayon de marée de 11,6 à 19,5 pc, un rayon de noyau de 0,9 à 3,0 pc et une masse de 721 à 870 M⊙.

L'amas α Per, quant à lui, également connu sous le nom de Melotte 20, est situé dans la constellation de Persée, comme son nom l'indique. Il est composé de plusieurs étoiles bleues de type B. La distance à cet amas est estimée entre 170 et 190 pc. Les différentes méthodes de mesure de distance donnent des valeurs cohérentes pour α Per, ce qui en fait une référence sur l'échelle des distances. Dans une étude approfondie, Lodieu et al. en 2019 avaient dérivé une distance moyenne de 177,7 ± 0,8 pc pour l'amas. α Per a un âge estimé entre 50 et 70 Mégannées. Il est situé à une basse latitude galactique de b ∼−7°, a un rayon de noyau de 2,3 ± 0,3 pc et un rayon de marée de ∼9,5 pc.

Les Hyades, qui est souvent considéré comme un amas frère des Pléiades, est l'amas ouvert le plus proche et l'un des amas d'étoiles les mieux étudiés. À l’aide de l’ensemble de données Hipparcos, Perryman et al. ont déduit en 1998 que sa distance était de 46,3 ± 0,3 pc, qui est similaire aux résultats obtenus en 2011 en utilisant les mesures du télescope spatial Hubble et avec l'ajustement du diagramme couleur-magnitude infrarouge par Majaess et al. en 2011 également. Sur la base des mesures de parallaxe de Gaia, la distance de l'amas a été mise à jour à 47,0 ± 0,2 pc en 2019. L'âge de l'amas des Hyades a été estimé par différentes méthodes, telles que la méthode théorique d'ajustement isochrone (625 ± 50 Mégannées), l'âge de refroidissement des naines blanches (648 ± 45 Mégannées), et la méthode de la limite d'épuisement du lithium (650 ± 70 Mégannées). L'amas se compose d'un groupe à peu près sphérique de centaines d'étoiles membres présentant des mouvements propres de 70 à 140 mas an-1 dans le ciel. L'amas a un rayon central de 2,5 à 3,0 pc et un rayon de marée de 10 pc.


Hao et ses collaborateurs, après une analyse statistique fine des données astrométriques de Gaia des étoiles membres de ces trois amas montrent clairement la présence d'une rotation tridimensionnelle dans les trois amas. Les vitesses de rotation moyennes des amas dans leur rayon de marée ainsi que les inclinaisons des axes de rotation par rapport au plan galactique qui sont trouvées sont : 
- Pléiades : 240 ± 40 m.s-1 avec un axe à 62° ±13°
- Alpha Persei : 430 ± 80 m.s-1, avec un axe de rotation à 48° ±14°
- Hyades : 90 ± 30 m.s-1, avec un axe à 7° ±7°

Les chercheurs chinois montrent que, tout comme l'amas de Praesepe qu'ils avaient étudié en 2022, la rotation des étoiles membres dans le rayon de marée de ces trois amas ouverts peut être bien interprétée par la gravitation Newtonienne. Et ils ne détectent aucune expansion ou contraction dans les trois amas. En combinant l'amas Praesepe qu'ils avaient analysé dans leur précédent article avec les trois amas étudiés dans cette présente étude, Hao et ses collaborateurs trouvent une relation possible entre la vitesse de rotation et l'âge et entre la vitesse de rotation et la masse de l'amas. Les amas ouverts massifs ont tendance à avoir une rotation interne importante et la vitesse de rotation diminue progressivement des amas jeunes aux plus âgés. Mais ces corrélations sont fondées sur un mini échantillon et doivent être confirmées davantage lorsque les caractéristiques de rotation d’un plus grand nombre d'amas seront révélées.
À ce jour, la cinématique interne de presque tous les amas ouverts connus est encore insaisissable. La méthode décrite dans ce travail fait un pas dans la direction de la révélation des propriétés cinématiques détaillées des amas ouverts. Avec l’amélioration de l’exactitude et de la précision astrométriques dans les prochaines publications de données de Gaia, on s’attend à ce qu’il y ait une multitude de propriétés cinématiques intéressantes des amas ouverts qui soit révélée dans les prochaines années... Ce qui est certain, c'est que vous ne regarderez plus ces amas ouverts au télescope avec le même oeil.

Source

Probing the Nature of Rotation in the Pleiades, Alpha Persei, and Hyades Clusters
C. J. Hao et al.
The Astrophysical Journal, Volume 963, Number 2 (8 march 2024)

Illustrations

1. Les Pléiades (Manfred Konrad) 
2. Les Hyades (José Mtandus)
3. Alpha Persei (Darius Kopriva)
4. Praesepe ( (NOAO/AURA/NSF)

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