jeudi 21 mars 2024

Observation d'étoiles extrêmement pauvres en métaux dans le Grand Nuage de Magellan


Le Grand Nuage de Magellan (LMC) est la galaxie satellite la plus massive de la Voie lactée, qui n'est tombée que récemment dans le puits de potentiel de notre Galaxie (il y a environ 2 milliards d'années). Ses étoiles les plus anciennes et déficientes en éléments lourds (de « faible métallicité ») sont des fenêtres uniques sur la formation des premières étoiles et la nucléosynthèse dans une région autrefois lointaine de l'univers. Une équipe d'astrophysiciens a identifié dix étoiles du LMC extrêmement déficientes en métaux, dont la plus extrême est l'étoile la plus déficiente en métaux du LMC jamais identifiée. Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.

Le Grand Nuage de Magellan est unique parmi les galaxies satellites de la Voie lactée. Comme il est arrivé dans le voisinage de la Voie lactée il y a seulement quelques gigannées, les étoiles de métallicité la plus faible du LMC peuvent permettre une comparaison unique avec celles de notre Galaxie. De telles étoiles préservent les signatures élémentaires des toutes premières supernovas dans un autre environnement proto-galactique. 

Anirudh Chiti (université de Chicago) et ses collaborateurs ont effectué une recherche d'étoiles à faible métallicité dans le LMC en appliquant des sélections photométriques sensibles à la métallicité dans les données du Data Release 3 (DR3) de la mission Gaia. Ils ont sélectionné les étoiles membres probables du LMC en identifiant toutes les étoiles situées à moins de 10° de son centre qui avaient des mouvements propres cohérents avec son mouvement global. Les astrophysiciens ont ensuite dérivé les métallicités de ces étoiles en calculant leur flux et en utilisant les données spectrophotométriques du photomètre de Gaia. Ces flux ont été comparés aux flux de spectres stellaires synthétiques à diverses métallicités pour sélectionner des étoiles avec des métallicités inférieures à celle de l'étoile géante rouge la plus pauvre en métaux du LMC à l'époque ([Fe/H] = −2,4 , où [Fe/H] est défini comme le rapport logarithmique fer/hydrogène par rapport du Soleil, bien que des étoiles jusqu'à [Fe/H] = −3,15 aient été caractérisées très récemment (Oh et al. 2023 et 2024). 

Anirudh Chiti et ses collaborateurs ont ensuite obtenu des spectres de suivi de ces étoiles candidates en utilisant le spectrographe à haute résolution MIKE sur le télescope Magellan-Clay de 6,5 m. Les dix étoiles les plus pauvres en métaux que les chercheurs ont identifiées ont des valeurs de métallicité  [Fe/H] comprises entre −4,15 et −2,5. La métallicité la plus basse (-4,15 ± 0,20) est d'un ordre de grandeur plus pauvre en métaux que n'importe quelle autre étoile détectée précédemment (qui était de -3,15). Les astrophysiciens ont également pu déterminer les abondances de jusqu'à 23 éléments pour leur échantillon en utilisant des modèles d'atmosphères stellaires unidimensionnels standard sous l'hypothèse d'un équilibre thermodynamique local. 

Les chercheurs pensent que l'étoile la plus déficiente en métaux du groupe, l'étoile LMC 119, est l'étoile à la métallicité la plus faible connue dans n'importe quelle galaxie externe. Compte tenu de sa métallicité extrêmement faible, cette étoile présente les caractéristiques d'une étoile de deuxième génération qui préserve les empreintes chimiques d'une supernova d'une étoile de première génération. On estime que les premières étoiles du LMC se sont probablement formées alors qu'il se trouvait à une distance de 1 à 3 Mpc de la Voie Lactée. L'étoile LMC 119 offre donc une riche opportunité d'explorer dans quelle mesure les premières étoiles locales diffèrent dans leur nature à travers différentes parties de la structure primitive de l'Univers, grâce à des comparaisons avec des étoiles analogues de la Voie lactée.
Chiti et al. ont ajusté les abondances chimiques de LMC 119 à l'aide des modèles de rendement de supernova de la population III qui avaient été calculés dans une étude antérieure, constatant qu'elles sont reproduites par des supernovas avec des masses d'étoiles progénitrices comprises entre 10 et 50 masses solaires et des énergies d'explosion allant jusqu'à 4 1051 erg. La composition chimique de LMC 119 correspond globalement à ce que l'on observe dans les étoiles de la Voie lactée de deuxième génération, excepté une abondance de carbone inhabituellement faible pour cette étoile ([C/Fe] < 0,3). Alors qu'environ 90 % des étoiles de la Voie lactée qui ont une métallicité [Fe/H] < −4,0 ont un rapport [C/Fe] > 0,7 (ces étoiles sont connues sous le nom d'étoiles pauvres en métaux améliorés en carbone (CEMP). Cet écart laisse donc entrevoir une possible divergence dans les canaux de production du carbone, dont la surabondance dans les étoiles du halo de la Voie lactée les moins métalliques est souvent considérée comme une signature caractéristique des premières étoiles. 

De manière frappante, les chercheurs constatent qu'aucune de leurs étoiles du LMC à faible métallicité n'est une étoile de type CEMP. Elles sont toutes déficientes en carbone. Ceci est en tension avec ce que l'on voit dans le halo de la Voie Lactée, où l'augmentation du carbone est fréquente (25 % lorsque [Fe/H] < −2,5). Il y a une probabilité de seulement 6 % pour qu'un échantillon de dix étoiles en dessous de [Fe/H] = −2,5 ne montrerait aucune amélioration du carbone. Pour approfondir cet écart, Chiti et ses collaborateurs ont observé 15 étoiles supplémentaires dans le LMC, dont huit avaient une métallicité inférieure à −2,5, pour dériver uniquement [Fe/H] et [C/Fe]. Le résultat est qu'aucune de ces étoiles n'est non plus renforcée en carbone. Cette analyse suggère que la fréquence statistique des étoiles dans le LMC avec [C/Fe] compris entre 0,7 et 1,3 est inférieure à celle de la Voie Lactée. Selon les chercheurs, le manque d'étoiles carbonées à faible métallicité dans le LMC suggère que certains sites de production de carbone dans l'écosystème primitif de la Voie lactée n'auraient peut-être pas été aussi dominants dans le LMC. La production d’éléments précoces, pilotée par les premières étoiles, semble donc se dérouler de manière dépendante de l’environnement.


Et Chiti et ses collaborateurs ont découvert un indice intrigants selon lequel un sous-ensemble de leurs étoiles pourrait avoir été accrété dans le LMC à partir de systèmes progéniteurs plus petits. Ils ont calculé le mouvement propre des étoiles par rapport au référentiel du LMC sur le plan du ciel et ils ont constaté que 8/10 tournent dans le sens du mouvement global de la galaxie mais que 2/10 tournent en sens inverse. Une façon de former des étoiles contrarotatives est de produire des événements d'accrétion ou bien une collision, par exemple  avec le Petit Nuage de Magellan. De plus, une poignée des étoiles étudiées présentent également une carence en baryum et en strontium ([Ba/Fe]  et [Sr/Fe]  ≲  −1,0), qui est une signature élémentaire généralement observée dans les étoiles qui se sont formées dans des structures plus petites comme des galaxies naines ultra-faibles. Ce qui est sûr en tous cas, c'est que ces étoiles sondent le gaz de ce qui était le premier écosystème du LMC.

Notre plus grande galaxie satellite constitue désormais une nouvelle frontière pour l'archéologie stellaire et elle permet aujourd'hui d'étendre ce domaine aux échelles extragalactiques.

Source

Enrichment by extragalactic first stars in the Large Magellanic Cloud
Anirudh Chiti, 
Nature Astronomy (20 mars 2024)

Illustrations

1. Le Grand Nuage de Magellan (Lowell Observatory)
2. Caractéristiques des 10 étoiles pauvres en métaux du LMC (Chiti et al.)
3. Anirudh Chiti

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