samedi 8 juin 2024

Découverte de l'étoile à neutrons la plus lente jamais détectée


Une équipe d'astrophysiciens vient de découvrir l'étoile à neutrons la plus lente jamais détectée grâce aux réseaux de radiotélescopes MeerKAT et ASKAP. Elle a une période de rotation de 54 minutes. L'étude est parue dans Nature Astronomy.

Manisha Caleb (Université de Sydney) et ses collaborateurs recherchaient un sursaut radio rapide dans la zone d'un sursaut gamma (GRB 221009A) lorsqu’ils ont repéré par hasard ce signal radio clignotant lentement dans les données. ASKAP J1935+2148, c'est son nom, est située à une distance de 16000 années-lumière, à l'ascension droite 19 h 35 min 05,126 s ± 1,5″ et à la déclinaison +21° 48′ 41,047″′ ± 1,5″, ce qui est par coïncidence à seulement 5,6′ du célèbre magnétar SGR 1935+2154, et se trouve au bord du reste de supernova dans lequel SGR 1935+2154 est centré. L'observation a duré environ 6 h, révélant 4 impulsions lumineuses d'une durée de 10 à 50 s dans les images. L'inspection des courbes de lumière des impulsions a révélé une période d'environ 54 minutes. Etonnamment, ASKAP J1935+2148 qui est très probablement une étoile à neutrons, affiche trois états d'émission distincts, chacun avec des propriétés totalement différentes des autres Les transitoires radio de longue période de ce type constituent une classe émergente d’événements astrophysiques extrêmes dont seulement trois spécimens sont connus aujourd'hui, avec ce dernier spécimen. Ces objets émettent des impulsions cohérentes et hautement polarisées d’une durée généralement de quelques dizaines de secondes et de périodes de quelques minutes à environ une heure. 

Bien que des naines blanches magnétiques et des magnétars, isolés ou dans des systèmes binaires, aient été invoqués pour expliquer ces phénomènes, aucun consensus clair ne s'est dégagé. Ce nouveau cas, ASKAP J1935+2148, a une période de 53,8 minutes exactement. Ses 3 états d'émission distincts sont premièrement un état d'impulsions brillants avec des impulsions hautement polarisées linéairement avec des largeurs de 10 à 50 secondes ; deuxièmement : un état d'impulsions faibles qui est environ 26 fois plus faible que l'état brillant avec des impulsions hautement polarisées circulairement d'une largeur d'environ 370 millisecondes ; et enfin, troisièmement un état de repos ou d'extinction sans impulsions. Il a été observé que les deux premiers états évoluent progressivement au cours d'une période de 8 mois, l'état éteint étant intercalé entre eux, suggérant des changements physiques dans la région produisant l'émission.

Caleb et ses collaborateurs montrent que la contrainte sur le rayon de la source pour la période observée exclut une origine de naine blanche magnétique isolée. Contrairement aux autres sources à longue période, ASKAP 1935+2148 présente des variations marquées dans les modes d'émission qui rappellent fortement  les étoiles à neutrons. Mais selon les chercheurs, ses propriétés radio remettent en question notre compréhension actuelle de l’émission et de l’évolution des étoiles à neutrons.


Une estimation de la mesure de dispersion du signal radio n’a malheureusement pas été possible en raison de la résolution temporelle grossière de 10 s. Mais Caleb et ses collaborateurs quantifient la polarisation des impulsions et trouvent une polarisation linéaire supérieure à 90 %, ce qui implique des champs magnétiques fortement ordonnés, avec une mesure de rotation de Faraday de +159,3 ± 0,3 rad m-2. En comparaison, la mesure de la rotation de Faraday de SGR 1935+2154 est d'environ +107 rad m−2

Les temps d'arrivée de toutes les impulsions détectées par ASKAP et MeerKAT ont été utilisés pour déterminer la période P et la dérivée de la période P°. Caleb et ses collègues trouvent une valeur de 3225,313 ± 0,002 s pour P et une limite supérieure sur la dérivée de la période, P°, inférieure à 1,2 ± 1,5 × 10-10 s.s-1. L'emplacement d'ASKAP J1935+2148 dans l'espace des paramètres P-P°, qui est fréquemment utilisé pour classer différents types de pulsars, est cohérent avec d'autres sources connues à longue période. ASKAP J1935+2148 réside en fait dans la "vallée de la mort" des pulsars, là où aucun signal radio détectable n'est attendu, ce qui remet en question les théories actuellement acceptées sur l'émission radio associée au ralentissement de la rotation des étoiles à neutrons (spin-down).

En supposant une origine d'étoile à neutrons, la période et la limite supérieure de la dérivée de période correspondent à une intensité de champ magnétique de surface de quelques 1016 G et à une luminosité de rotation de quelques 1026  erg s-1, pour une configuration de champ magnétique dipolaire, un angle d'inclinaison magnétique de 90° et un moment d'inertie de 1045 g.cm². On ne sait pas pourquoi un magnétar posséderait encore un champ magnétique aussi important à ce stade de son évolution. Alors que ASKAP J1935+2148 est assez semblable à GLEAM-X J1627−5235 et à GPM J1839−10, en revanche, la luminosité radio observée d'ASKAP J1935+2148 est beaucoup plus grande que la luminosité déduite du spin-down, ce qui suggère que des mécanismes d'émission alternatifs doivent être impliqués pour expliquer ces transitoires radio de longue période.

Et, pour les chercheurs, les divers états d'émission de cet objet rare offrent des informations précieuses sur les processus magnétosphériques et les mécanismes d'émission, montrant des similitudes avec les pulsars PSR J1107−5907, PSR B0823+26 et PSR B2111+46. Mais ils constatent que l'explication de l'émission radio via la production de paires au sein de magnétosphères dipolaires présente des défis considérables. Ils notent cependant qu'un champ magnétique important peut alimenter l'émission radio observée via la dissipation d'énergie qui serait due aux événements de reconnexion magnétique, ou bien à la détorsion des lignes de champ due au mouvement plastique de la croûte de l'étoile à neutrons.

Des simulations de synthèse de population intégrant divers paramètres tels que les masses, les rayons, les fractions de rayonnement et le champ magnétique montrent que seul un nombre limité d'émetteurs radio à longue période provenant d'étoiles à neutrons devraient exister dans la Galaxie. Alors que les naines blanches magnétiques ont été considérés comme responsables de l'émission radio observée dans des deux autres sources radio à longue période (GLEAM-X J1627−5235 et GPM J1839−10), cette solution est exclue pour ASKAP J1935+2148. Pour Caleb et ses collaborateurs, il est beaucoup plus probable qu’ASKAP J1935+2148 soit un magnétar ou une étoile à neutrons à période ultra longue, isolés ou bien dans un système binaire, même si ses caractéristiques posent des questions sur les modèles actuels des étoiles à neutrons.

Source

An emission-state-switching radio transient with a 54-minute period

M. Caleb et al.

Nature Astronomy (5 june 2024)

https://doi.org/10.1038/s41550-024-02277-w


Illustrations

1. Localisation avec ASKAP de la source J1935+2148, image centrée sur le magnétar galactique SGR +1935+2154 (Caleb et al.)

2. Graphe de la dérivée de la période en fonction de la période montrant la position singulière de ASKAP J1935+2148 (Caleb et al.)

3. Marisha Caleb


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