L'analyse du spectre infrarouge d'un quasar ancien (un objet quasi-stellaire alimenté par un trou noir) suggère que les trous noirs supermassifs et leurs mécanismes d'alimentation étaient déjà complètement matures lorsque l'Univers avait 5 % de son âge actuel (environ 760 mégannées). Une équipe de chercheurs a en effet trouvé un quasar énergisé par un trou noir de 1,5 milliards de masses solaires à un redshift de 7,08 et ils publient leur découverte dans Nature Astronomy.
Les étoiles et les galaxies ont énormément changé au cours de la vie de l’Univers, à mesure que la fusion stellaire a généré de plus en plus d’éléments chimiques lourds et que les galaxies se sont développées en consommant le gaz environnant. En revanche, des trous noirs supermassifs d'une masse de plus d'un milliard de masses solaires existaient déjà lors de « l'aube cosmique » (qui a commencé environ 100 millions d'années après le Big Bang), et la manière dont ils sont arrivés là reste un petit mystère. De plus, les propriétés des quasars qui les abritent – métallicité, force des écoulements et luminosité – sont étrangement très similaires ou identiques à celles des quasars observés dans l'Univers actuel.
Les observations de quasars à un redshift z > 7 avec des instruments optiques et dans le proche infrarouge (correspondant à l'ultraviolet de repos des quasars) ont révélé une image complexe. Les larges raies d'émission ultraviolettes des quasars à 5,7 < z < 7,5 sont identiques dans leurs luminosités et leurs rapports de flux à ceux plus proches de nous à 2 < z < 5, indiquant des niveaux inchangés d'enrichissement en métaux des régions à raies larges des quasars sur une période cosmique de 2,6 milliards. années.
Pour tenter de résoudre cette énigme, Sarah Bosman (Université de Heidelberg) et ses collaborateurs se sont tournés vers les propriétés dans l'infrarouge moyen des premiers quasars, qui contiennent des informations inédites sur les mécanismes de leur alimentation (à partir d'un tore environnant de gaz et de poussière) et sur la région des raies larges, formée par des amas de gaz qui gravitent autour du trou noir à des vitesses relativistes. Leur cible, le quasar brillant J1120+0641 avait été le premier découvert à un redshift z > 7 (en 2011 par Mortlock et al.). La valeur de son redshift z est de 7,0848). Il avait donc déjà été la cible d'observations approfondies à multi-longueurs d'onde, ce qui justifiait son inclusion comme cible prioritaire pour les observations à temps garanti dans le cycle 1 du télescope Webb. A ce jour, neuf quasars sont connus à z > 7.
Les chercheurs ont effectué leurs observations de J1120+0641 avec Webb JWST le 12 janvier 2023, en utilisant le spectrographe MRS de MIRI. Le spectrographe fournit une spectroscopie de champ intégral couvrant la plage de 4,9 à 27,9 μm avec une résolution spectrale intermédiaire. Les observations couvraient toute la gamme spectrale du MRS avec un temps d'intégration de 3153 s par configuration.
Bosman et ses collaborateurs se sont demandé si il était possible que les premiers quasars aient été plus efficaces que prévu pour accréter le gaz environnant ou bien si les quasars aient été plus affectés par l’extinction des poussières que prévu ? Dans ce dernier cas, leurs masses réelles auraient étaient largement surestimées. De nombreuses manières d’accélérer la croissance des premiers quasars ont été proposées, ce qui aurait des conséquences sur leur lumière dans l’infrarouge moyen. Les astrophysiciens ont utilisé l'imageur MIRI de Webb, et qui est le premier instrument capable de capturer les spectres des premiers quasars dans les longueurs d'onde de l'infrarouge moyen. Sa sensibilité est 4000 fois supérieure à celle du précédent meilleur spectrographe infrarouge moyen (celui du télescope spatial Spitzer). Grâce à MIRI, Bosman et son équipe ont donc réussi à obtenir le premier spectre d'un quasar à z élevé dans l'infrarouge moyen, et aussi accessoirement à détecter le tore chaud du quasar, en mesurant sa température et sa masse.
Ils ont également détecté les raies de l'hydrogène de la série de Paschen dans la région des raies larges, en vérifiant leur densité, leur niveau d'ionisation et donc indirectement la masse du trou noir : 1,52 milliards de masses solaires, et on est ici 760 mégannées après le BB..., c'est à dire environ 650 mégannées après l'apparition des toutes premières galaxies.
Toutes les propriétés mesurées sur J1120+0641, sont presque identiques à celles des quasars des époques ultérieures. La seule légère anomalie est une température élevée de la poussière du tore, mais les chercheurs notent que quelques quasars ont récemment été observés avec des poussières encore plus chaudes. Dans l’ensemble, les observations ne font qu’ajouter au mystère. Non seulement le trou noir supermassif lui-même, mais aussi ses mécanismes d'alimentation, semblent ici déjà complètement « matures » alors que l'Univers n'a que 5 % de son âge actuel. Pourquoi les galaxies évoluent-elles mais pas les trous noirs supermassifs ? Les résultats de Bosman et al. font fortement pencher la balance vers l’idée selon laquelle les trous noirs supermassifs sont primordiaux ou de grande taille dès le départ – c’est-à-dire qu’ils se sont formés très tôt avec des masses d’au moins 100 000 masses solaires dès leur naissance, au lieu de se former à partir des restes d’une étoile précoce et de croître. très vite. Selon les chercheurs, l’assemblage précoce de ce quasar particulier n’implique pas que tous les trous noirs supermassifs soient matures à l'aube cosmique, mais cela implique qu’il existe un mécanisme par lequel au moins un quasar moderne peut se développer en très peu de temps. Ils ajoutent qu'il est impossible de dire s’il existe une tendance dans la température du tore à des époques antérieures sur la base d’une seule observation spectroscopique.
En résumé, les structures de poussière du tore chaud et d'hydrogène de la région des raies larges de J1120+0641 sont impossibles à distinguer des quasars ultérieurs. Les observations démontrent que les structures complexes de ces zones du quasar peuvent s'établir autour d'un trou noir supermassif moins de 760 Mégannées après le Big Bang. Cette évolution rapide semble imiter l’enrichissement rapide en métaux qui est observé dans les premiers quasars, qui peut atteindre les valeurs actuelles de z = 6.
En outre, aucune preuve d'effets d'obscurcissement n'a été trouvée, des effets qui fausseraient les mesures de la masse du trou noir et du taux d'accrétion du quasar. Il n'y a aucune preuve, ni dans le tore poussiéreux ni dans la région des raies larges d'hydrogène, que J1120+0641 ait récemment subi une phase très obscurcie, ni aucun autre signe d'activité récente d'accrétion de super-Eddington.
Une observation plus approfondie d'autres quasars à l'aube cosmique avec MIRI sera cruciale pour confirmer cette première observation Heureusement, trois autres quasars précoces ont récemment été observés à l’aide de MIRI, et Bosman et ses collègues sont visiblement très impatients de les analyser. On devrait bientôt voir de nouveaux jeunes quasars se dévoiler sous nos yeux...
Source
A mature quasar at cosmic dawn revealed by JWST rest-frame infrared spectroscopy
Sarah Bosman et al.,
Nature Astronomy (17 june 2024)
Illustrations
1. J1120+0641 imagé par le Sloan Digital Sky Survey (petit point rouge au centre) (ESO/UKIDSS/SDSS)
2. Spectre de J1120+0641 enregistré par l'instrument MIRI de Webb (Bosman et al.)
3. Sarah Bosman
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