mercredi 5 juin 2024

L'étonnant minisatellite bilobé de l'astéroïde Dinkinesh


Dinkinesh est un petit astéroïde en orbite autour du Soleil près du bord intérieur de la ceinture principale d'astéroïdes à une distance du Soleil de 2,19 UA. A partir des observations de la sonde Lucy à moins de 450 km de l’astéroïde, une équipe d’astrophysiciens révéle que Dinkinesh, qui a un diamètre effectif de seulement 720 m, est d'une complexité inattendue. Ils confirment la découverte d’un satellite binaire de contact (le premier du genre) autour de Dinkinesh. Il est maintenant nommé (152830) Dinkinesh I Selam. L’étude est parue dans Nature.

(152830) Dinkinesh a été ajouté tardivement à la mission Lucy et devait principalement servir à tester en vol un système autonome de télémétrie et de suivi qui constitue un élément essentiel des opérations de Lucy. Il s'agissait d'une cible attrayante parce que la géométrie du survol imitait étroitement celle des cibles troyennes qui sont les cibles de Lucy. Lucy s'est approchée de Dinkinesh avec une vitesse relative de 4,5 km s-1. Lors de l'approche la plus faible, Lucy était à 430,629 ± 0,045 km de Dinkinesh et l'angle Lucy-Dinkinesh-Soleil était de 30°. Les images à haute résolution que nous offrent Harold Levison (Southwest Research Institute, Boulder) et ses collaborateurs montrent que la forme de base de Dinkinesh rappelle les formes observées dans la population des astéroïdes géocroiseurs (par exemple, Moshup, Bennu, Ryugu et, dans une moindre mesure, Didymos). Dinkinesh est également de taille similaire. Il a un diamètre effectif de 719 m, alors que Bennu, Ryugu et Didymos ont des diamètres effectifs compris entre environ 560 m et 900 m. Comme ces objets, Dinkinesh est dominé par une crête équatoriale proéminente. Il présente également une large dépression presque perpendiculaire à la crête. Bien que Ryugu et Didymos présentent des caractéristiques similaires, la dépression sur Dinkinesh semble plus importante. Et la crête recouvre le creux, ce qui implique qu'il s'agit de la plus jeune des deux structures. Mais on ne dispose pas d'informations sur leur âge absolu et elles pourraient donc s'être formées au cours du même événement.

Grâce aux images à haute résolution obtenues tout au long de la rencontre, les chercheurs peuvent reconstruire des modèles de forme pour chacune des composantes. En raison de la petite taille de Dinkinesh et de Selam, il n'a été possible d'obtenir des images à résolution utile que pendant quelques minutes avant et après le survol. La rotation de Dinkinesh a été observée, mais la quantité de terrain supplémentaire révélée par la rotation était faible (environ 10 %) par rapport à la partie non éclairée du corps. Aucun mouvement rotatif ou orbital de Selam n'a pu être observé en revanche. L'illumination de l'hémisphère anti-solaire de Dinkinesh par Selam était trop faible pour être observée. Ainsi, seul un hémisphère de chaque corps est visible sur les image. Mais des contraintes sur les hémisphères non observés ont tout de même été fournies par la photométrie de Lucy lorsqu'elle était trop éloignée pour résoudre les cibles. A partir des données enregistrées, Levison et ses collaborateurs parviennent à déterminer que Selam a une période de rotation de 52,44 ± 0,14 h, comparable à la période de 52,67 ± 0,04 h qui avait été trouvée à partir des observations au sol. La courbe de lumière après la rencontre montre également des creux dus à des éclipses mutuelles de Dinkinesh et Selam avec la même périodicité de 52 heures, démontrant que la période orbitale de Selam est très similaire à sa période de rotation. Le système semble donc verrouillé par les effets de marée.

Selam est particulier parce qu’il est constitué de deux lobes de taille presque égale avec des diamètres de 210 m et 230 m. Il est en orbite autour de Dinkinesh à une distance de 3,1 km. Et Levison et ses collaborateurs constatent que les centres de Dinkinesh et les deux lobes de Selam sont alignés, ce qui est cohérent avec un système verrouillé par la marée. La chronologie des événements dans la courbe de lumière après la rencontre, par rapport à la position orbitale de Selam pendant le survol, montre que son orbite doit être rétrograde par rapport à l'orbite héliocentrique de Dinkinesh.

Pour les chercheurs, l'état dynamique, le moment angulaire et les observations géomorphologiques du système indiquent que la crête et le creux de Dinkinesh sont probablement le résultat d'une rupture de masse résultant de la mise en rotation par l’effet YORP (Yarkovsky–O’Keefe–Radzievskii–Paddack), un effet du rayonnement solaire sur la rotation d’un petit corps. Cette perte de masse aurait été suivie d'une réacrétion partielle de la matière rejetée. Et Selam s'est probablement accrété à partir du matériau rejeté lors cet événement selon eux.



Dinkinesh partage de nombreuses caractéristiques avec d'autres astéroïdes de taille similaire, à la fois proches de la Terre et de la ceinture principale, et il est le seul objet de la ceinture principale de taille inférieure au kilomètre qui a été étudié à courte distance à ce jour. On sait qu’environ 15% des petits astéroïdes sont observés comme étant des systèmes binaires. Pour ceux qui sont bien caractérisés, le modèle dominant est un système avec un corps secondaire synchrone dans une orbite presque circulaire à environ 3 rayons du primaire. Mais Selam se différencie de ce schéma, avec un demi grand axe qui vaut 9 fois le rayon de Dinkinesh. La période de rotation de Dinkinesh est également plus longue que la période d'environ 2,5 h typiquement observée dans la population des astéroïdes binaires. Un scénario possible selon Levison et ses collègues est que Selam se soit formé à l'origine plus près de Dinkinesh et aurait ensuite évolué vers un plus grand demi-grand axe par une interaction de marée et/ou un effet YORP qui aurait également ralenti la rotation de Dinkinesh.

Pour expliquer la structure binaire de contact de Selam, les chercheurs évoquent trois scénarios. La nature binaire de Selam impose des contraintes importantes sur la formation de ce système de satellites, quelle que soit la manière dont il s'est formé. Tout d'abord, le fait que les deux lobes aient presque le même diamètre indique que le processus de formation des satellites de Selam favorise la construction d'objets d'une taille particulière. Deuxièmement, les deux lobes sont des corps distincts, de sorte que le processus qui a réuni les deux lobes doit l'avoir fait avec une vitesse suffisamment faible pour que les lobes aient survécu.

La complexité inattendue du système de Dinkinesh suggère fortement que les petits astéroïdes de la ceinture principale sont plus complexes qu'on ne le pensait. Le fait qu'une binaire de contact puisse se former en orbite autour d'un objet plus grand indique même un possible nouveau mode de formation de petits corps bilobés (on pense notamment à Itokawa). Ces petits corps à double lobe auraient pu naître dans les mêmes conditions que ce qu’aurait vécu Dinkinesh en perdant de la matière par effet YORP, une matière qui se serait ensuite réacrétée pour former deux petits satellites simultanément, ou bien deux petits satellites à deux époques distinctes, mais qui se seraient dans les deux cas recollés entre eux plus tard, ou bien un seul satellite un peu gros qui se serait scindé en deux puis recollé.

 

Source

 

A contact binary satellite of the asteroid (152830) Dinkinesh

H. Levison et al.

Nature 629 (30 May 2024).

https://doi.org/10.1038/s41586-024-07378-0

 


Illustrations


1. Dinkinesh et Selam imagés par Lucy (Southwest Research Institute)

2. Dinkinesh et Selam imagés par Lucy (Southwest Research Institute)

3. Schéma des trois scénarios proposés par les auteurs (H. Levison et al.)

3. Harold Levison

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