25/06/24

Les gros trous noirs détectés par leurs ondes gravitationnelles ne sont pas des trous noirs primordiaux


Les détecteurs d'ondes gravitationnelles ont révélé une population de trous noirs massifs (plusieurs dizaines de masses solaires) qui ne ressemblent pas à ceux observés dans la Voie lactée et dont l'origine est débattue. Selon une explication possible, ces trous noirs pourraient s'être formés à partir de fluctuations de densité dans l'Univers primitif : des trous noirs primordiaux. Ils devraient alors constituer une majeure partie de la matière noire. Si de tels trous noirs existaient dans le halo de matière noire de la Voie Lactée, ils seraient à l'origine d'événements de microlentille gravitationnelle sur des échelles de temps de plusieurs années. Une équipe d’astrophysiciens vient de montrer ses résultats de recherche de microlentilles dans le Grand Nuage de Magellan sur une plage de 20 ans. Aucun événement de lentille à grande échelle de temps n’est observé, donc pas de trous noirs massifs…


Przemek Mróz (université de Varsovie) et ses collaborateurs ont exploité les observations du programme OGLE (Optical Gravitational Lensing Experiment) qui a suivi les courbes de lumière de 78,7 millions d’étoiles de magnitude inférieures à 22 situées dans le Grand Nuage de Magellan pendant ses troisième (2001-2009) et quatrième (2010-2020) phases.

Les événements de microlentille gravitationnelle  sont sélectionnés sur la base d'une série de coupes de sélection. Cette procédure a permis aux chercheurs de trouver treize événements qui remplissent tous les critères de détection. De plus, trois événements ont été identifiés par une inspection visuelle des courbes de lumière, bien qu'ils ne remplissent pas tous les critères de sélection.

Ils ont également effectué des simulations approfondies des courbes de lumière afin de mesurer l'efficacité de la détection des événements en fonction de l'échelle de temps des événements. À cette fin, ils ont créé des courbes de lumière synthétiques d'événements de microlentille en injectant le signal de microlentille dans les courbes de lumière des étoiles constantes observées par le projet.

Ensuite, Mróz et son équipe ont mesuré la fraction d'événements simulés qui répondaient à tous les critères de sélection. Cette procédure a permis de prendre en compte le bruit dans les données, ainsi que les effets d'un échantillonnage irrégulier, de lacunes dans les données, de valeurs aberrantes, etc.

Les astrophysiciens trouvent que les treize événements de microlentille détectés peuvent être expliqués par des naines brunes, des étoiles, et des restes stellaires situés dans le LMC et le disque de la Voie Lactée. Ils ont ensuite calculé le taux théorique d'événements de microlentilles et la distribution de l'échelle de temps des événements dans chaque champ analysé par OGLE. A partir de là, les chercheurs ont estimé le nombre attendu d'événements en multipliant le taux d'événements par la durée des observations, le nombre d'étoiles sources et l'efficacité moyenne de détection des événements. Au total, ils s’attendaient à 5,7 événements dus à des lentilles du LMC et 7,0 ou 14,7 événements dus à des lentilles du disque de la Voie Lactée (selon le modèle adopté), ce qui peut être comparé au nombre total de treize événements observés.

Les distributions attendues des échelles de temps des événements, pour trois exemples de masses de trous noirs primordiaux de 0,01, 1, et 100 M⊙ s'échelonnent approximativement comme √M et s'élèvent respectivement à 8, 70 et 600 jours. D'autre part, le taux d'événements théorique est inversement proportionnel à √M.

Les observations ont la plus grande sensibilité pour les trous noirs primordiaux de 0,01 M. Si toute la matière noire était composée de tels objets, Mróz et son équipe auraient dû détecter plus de 1100 événements de microlentilles gravitationnelles.

Mais, grâce à la longue durée des observations, OGLE a aussi une sensibilité élevée pour des objets encore plus massifs. Pour des trous noirs de 1 M, les chercheurs auraient ainsi dû détecter 554 événements ; et pour M = 10 M : 258 événements ; pour M = 100 M : 99 événements ; pour M = 1000 M : 27 événements.

Seulement 13 événements ont été détectés. Mróz et ses collaborateurs peuvent donc déterminer des limites supérieures à 95 % pour que les trous noirs primordiaux soient les constituants de la matière noire. Ces limites sont inversement proportionnelles au nombre d'événements attendus si toute la matière noire était composée d'objets compacts d'une masse donnée.

Comme prévu, les limites sont les plus fortes (fraction de matière noire f = 2,8 × 10-3) pour une masse de trou noir de 0,01 M, pour laquelle le modèle prédit le plus grand nombre d'événements attendus. Avec une masse de 1 M pourraient représenter au plus 0,55 % de la matière noire ; pour M = 10 M, on arrive à une fraction f = 1,2 % ; pour M = 100 M, f = 3,0% ; pour M = 1000 M, les chercheurs arrivent à une fraction maximale f = 11%.

Plus globalement, Mróz et ses collaborateurs montrent que les trous noirs primordiaux dans la gamme de masse comprise entre 1,8 10-4 M et 6,3 M ne peuvent pas constituer plus de 1 % de la matière noire, et ceux situiés dans une plage plus large allant jusqu’à 8600 M ne peuvent pas constituer plus de 10 % de la matière noire.

Un modèle proposé par Carr et al. en 2021 prévoit quatre pics dans le spectre de masse des trous noirs primordiaux à 10-6, 1, 30 et 106 M. Ces pics seraient associés à différentes transitions de phase dans le plasma de quarks et de gluons qui remplit l'univers primitif (découplage des bosons W±/Z0, transitions quark-hadron, et e+e-), dont on pense qu'elles favorisent la formation de trous noirs primordiaux.

Plusieurs études soutiennent qu'une telle fonction de masse à plusieurs pics des trous noirs primordiaux peut naturellement expliquer les taux de fusion des trous noirs observés par les détecteurs d'ondes gravitationnelles, et une fraction importante (jusqu’à 100 %) de la matière noire. Mais si toute la matière noire était composée de trous noirs primordiaux avec le spectre de masse décrit par ce modèle de Carr et al., Mróz et ses collaborateurs auraient dû détecter plus de 500 événements de microlentilles ! La non-détection donne une limite supérieure à 95% sur la fraction de matière noire sous forme de trous noirs primordiaux f = 1,2% (en supposant un modèle de disque de la Voie lactée le plus récent, tenant compte de la décroissance képlérienne à longue distance). Et des limites similaires de l'ordre de 1% peuvent être obtenues pour d'autres fonctions de masse à plusieurs pics proposées dans la littératurePour les chercheurs, les observations démontrent clairement que les trous noirs primordiaux avec des masses entre 1 et 1000 M ne peuvent pas constituer une fraction significative de la matière noire et, en même temps, expliquer les taux de fusion de trous noirs observés

Les observations de Mróz et son équipe fournissent des limites sur les objets compacts qui peuvent composer la matière noire, et pas seulement les trous noirs primordiaux. En particulier, les étoiles à neutrons et les trous noirs d'origine stellaire sont estimés à moins de 0,01% de la masse totale du halo de la Voie Lactée, bien en dessous des limites présentées dans cet article.

 

Source

No massive black holes in the Milky Way halo

Przemek Mróz et al.

Nature (24 june 2024)

https://doi.org/10.1038/s41586-024-07704-6

 


Illustrations

1. Simulation d'un couple de trous noirs produisant des ondes gravitationnelles (LIGO/Caltech)

2. Fraction de la matière noire constituée de trous noirs primordiaux en fonction de leur masse, la zone rouge est exclue (Mróz et al.)

3. Przemek Mróz

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