29/11/24

L'origine d'un transitoire radio à longue période identifié pour la première fois


Des astrophysiciens ont trouvé une explication plausible pour un type de signal radio répétitif de longue période identifié pour la première fois il y a deux ans, mais qui apparaît désormais à de nombreux endroits dans le ciel. Ils ont identifié un tel signal périodique qu'ils ont pu clairement associer à une étoile naine rouge. Mais elle ne serait pas seule... C'est son interaction avec une naine blanche qui serait à l'origine du signal radio détecté. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

De nouveaux instruments ont récemment commencé à nous offrir une vue beaucoup plus large, et les analyses de grandes portions du ciel ont révélé une multitude de nouveaux types de signaux auxquels nous ne nous attendions pas et que nous ne pouvons souvent pas encore expliquer pleinement. L'un d'entre eux, une classe désormais connue sous le nom de "transitoires radio de longue période", a été signalé pour la première fois en 2022 , sur la base de données d'archives du Murchison Widefield Array (MWA), dont les relevés radio ont révélé de nombreuses étrangetés inattendues dans le ciel radio. Il a notamment montré un signal radio d'une durée de 30 à 60 secondes, se répétant toutes les 18,2 minutes, et ne correspondant à aucune classe d'objets connue. 

Tous les signaux radio transitoires de longue période présentent une forte polarisation, signe d'un champ magnétique puissant, mais se répètent trop lentement pour être des pulsars et, contrairement aux sursauts radio rapides répétitifs (FRB) (sauf un), ceux-là proviennent tous de l'intérieur de notre galaxie. Jusqu'à présent, il était impossible d'identifier la source de ces signaux répétés à longue période, car ils provenaient le plus souvent du disque galactique, là où la population stellaire est bien trop dense.

Natasha Hurley-Walker et ses collaborateurs viennent donc de faire une grande avancée en trouvant un exemple de transitoire radio à longue période  pas comme les autres, connu sous le nom de GLEAM-X J0704-37. En plus d'être l'exemple le plus lent de ce type de signal qui n'a jamais été observé (une période de 2,9 heures !), GLEAM-X J0704-37 provient également d'une zone bien en dehors du plan galactique où les objets confondants sont rares. Des observations de suivi ont ainsi été possibles et révèlent une étoile naine rouge de type M3, d'une masse d'environ 0,32 masses solaires, située exactement sur la localisation du signal radio pulsé.
Les naines rouges sont le type d'étoile le plus commun de la galaxie, mais on sait aussi qu'elles ne devraient pas avoir l'énergie ou le champ magnétique nécessaires pour produire un signal radio à longue période par elles-mêmes. Mais Hurley-Walker et ses collaborateurs montrent qu'il existe cependant des signes qui indique que la naine rouge serait en orbite autour d'un objet invisible. Pour les chercheurs, une étoile à neutrons semble peu probable, pour de nombreuses raisons, et certaines d'entre elles s'appliquent encore plus négativement à l'idée d'un trou noir. 
Un système binaire avec une étoile à neutrons est défavorisé car si l'émission radio est produite par un champ magnétique fort, l'étoile à neutrons devrait être jeune, ce qui est défavorisé par la latitude galactique élevée de GLEAM-X J0704-37. D'un autre côté, un scénario avec une étoile à neutrons à faible champ dans une binaire de faible masse (comme les pulsars transitionnels ou recyclés), avec une émission radio alimentée par le ralentissement magnétique dipolaire, est aussi défavorisé car la luminosité radio observée est de plusieurs ordres de grandeur supérieure aux limites de la puissance d'un tel ralentissement magnétique.

Il ne reste qu'une solution possible selon les chercheurs: une naine blanche fortement magnétisée. Le problème, c'est qu'il est également peu probable que les naines blanches produisent par elles-mêmes des émissions radio aussi fortes, répétées ou non. L’explication la plus probable pour Hurley-Walker et ses collaborateurs est que la gravité de la naine blanche arrache de la matière à la naine rouge, ce qui provoque indirectement les émissions radio. Dans ce scénario, l'émission radio devrait être générée par un vent stellaire circulant depuis la naine rouge vers la magnétosphère de la naine blanche, où il est accéléré. 
Dans les polaires, un type de variable cataclysmique magnétique, le champ magnétique de la naine blanche est de 10 à 200 MG, et les deux étoiles sont verrouillées en rotation synchrone. Les polaires intermédiaires (IP) ont quant à elles des champs magnétiques légèrement plus faibles (1 à 10 MG) et la naine blanche tourne à une vitesse plus rapide que l'orbite. Avec une vitesse de rotation de la naine blanche encore plus rapide, les systèmes de type AR Sco sont constitués d'une paire naine rouge/naine blanche sur une orbite serrée (environ 4 heures), de sorte que la naine M remplit presque le lobe de Roche (TR Marsh et al. 2016). 
Les interactions entre les deux étoiles provoquent une émission radio de type pulsar depuis la magnétosphère de la naine blanche, ce qui a été directement observée par exemple sur J1912−44, lorsque le faisceau de la naine blanche croise notre ligne de visée (I. Pelisoli et al. 2023). Les deux seuls systèmes de type « pulsar de naine blanche» qui sont connus ont été sélectionnés en recherchant une variabilité optique élevée, qui sélectionne préférentiellement les systèmes proches avec des naines blanches à rotation rapide (une période de quelques minutes). Pour Hurley Walker et son équipe, il est donc possible que des systèmes de type AR Sco à rotation lente aient pu être manqués par les recherches optiques. La périodicité observée ici de 2,9 heures pourrait être cohérente à la fois avec la vitesse de rotation et/ou l'orbite de la naine blanche dans ce scénario, bien que d'autres configurations ne puissent pas encore être complètement exclues. 

Par ailleurs, Hurley-Walker et ses collaborateurs montrent qu'il existe dans le signal radio des preuves provisoires d'une autre périodicité, d'environ 6 ans, probablement due à un bruit de synchronisation. Mais si elle est interprétée comme une période orbitale, alors elle impliquerait que les composantes du système binaire soient séparées par une distance supérieure d'un ordre de grandeur à celle qui est observée dans les systèmes de type AR Sco ou ILT J1101+5521, ce qui rend des interactions similaires peu probables. Des données supplémentaires seront nécessaires pour démêler la nature de cette périodicité à longue échelle de temps.
Le système polaire synchronisé ILT J1101+5521 (I. de Ruiter et al. 2024) récemment découvert, qui est composé d'une naine blanche et d'une naine rouge et qui présente une émission radio périodique et cohérente, pourrait être un système jumeau de GLEAM-X J0704−37. Si c'est le cas, la périodicité de 2,9 heures pourrait être interprétée à la fois comme le spin de la naine blanche et la période orbitale. Les propriétés de polarisation de ce système sont similaires à celles de GLEAM-X J0704−37, avec un mélange de polarisation linéaire et circulaire, ce qui pourrait s'expliquer par une version relativiste du mécanisme du maser cyclotron électronique (Y. Qu & B. Zhang 2024 ). 

Les chercheurs suggèrent donc provisoirement que GLEAM-X J0704−37 pourrait être un système polaire, similaire à ILT J1101+5521. En supposant une masse stellaire de 0,32 M⊙ pour la naine rouge et une masse de 0,8 M⊙ pour la naine blanche, le rayon du lobe de Roche de l'étoile naine rouge est de 0,2 UA. Pour une orbite circulaire de 2,9 heures avec ces masses, le rayon orbital serait de 0,005 UA, plaçant la naine blanche bien dans le lobe de Roche.

Afin de déterminer de manière concluante la nature de ce système transitoire radio à longue période, les astrophysiciens suggèrent une surveillance radio plus poussée pour contraindre les mesures de périodes, ainsi que des observations sensibles dans le bleu ou l'UV pour rechercher la présence d'une naine blanche, et aussi une mesure de la vitesse radiale de la naine rouge en étudiant les décalages Doppler de ses raies spectrales. Jusqu'à aujourd'hui, les limites supérieures dans l'UV qui ont été dérivées d'observations avec Swift, excluent la présence d'une naine blanche chaude avec T ≳ 20 000 K, soit environ 20 % de la population des naines blanches magnétiques. De plus, aucune raie d'émission forte n'est observée dans le spectre infrarouge, ce qui pourrait être attendu pour une naine blanche chaude sur une orbite proche. 
Cependant, les naines blanches de J1912–44, AR Sco et ILT J1101+5521 sont toutes beaucoup plus froides, cette dernière ayant par exemple une température de 5156 K. Donc, la limite supérieure que Hurley Walker et al. déduisent du spectre infrarouge et des observations UV (20 000 K) sur la présence d'une naine blanche dans le système n'est pas fortement contraignante. Tout est encore ouvert. 

Source

A 2.9 hr Periodic Radio Transient with an Optical Counterpart
N. Hurley-Walker et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 976, Number 2 (26 november 2024)

1 commentaire :

Anonyme a dit…

Un immense bravo à l'équipe de Natasha Hurley-Walker pour cette découverte passionnante d'une nouvelle classe d'objets astrophysiques ! Deux ans après leur première identification de signaux radio périodiques, cette nouvelle observation enrichit encore la compréhension des systèmes binaires et des phénomènes radio.
Le fait que ce signal provienne probablement d'une naine rouge, avec l'interaction d'une naine blanche, ouvre de nombreuses perspectives. Il est d'autant plus excitant de se demander si nous pourrons observer directement cette naine blanche et confirmer son rôle dans cette émission radio unique.
La périodicité de 6 ans suscite une réelle curiosité. Plusieurs hypothèses pourrait expliquer ce phénomène fascinant, en vrac :
Des interactions gravitationnelles avec un autre objet, comme une exoplanète ou une autre étoile.
Une accrétion de matière qui varie lentement sur la naine blanche.
Des instabilités dans l'orbite du système binaire.
Une variation de l'inclinaison ou du champ magnétique des étoiles.
Des cycles magnétiques longs ou des éruptions qui affectent les signaux.
Des changements internes dans la structure stellaire des étoiles.
Des perturbations dans un disque d'accrétion.
Et puis, plusieurs questions restent à élucider :
Comment ces systèmes binaires génèrent-ils des émissions radio aussi intenses ?
Ces transitoires sont-ils spécifiques à certains types de binaires ?
Existe-t-il d'autres transitoires avec des périodes encore plus longues ou des caractéristiques différentes ?
Cette découverte ouvre la voie à de nouvelles questions excitantes, et j'ai hâte de voir ce que l’avenir nous réserve en termes d’observations et de recherches dans ce domaine !