jeudi 27 janvier 2022

Observation d'une source radio transitoire de période très inhabituelle


Une équipe australienne publie aujourd'hui dans Nature la découverte d'une source radio transitoire qui se répète toutes les 18 minutes. Cette période est très atypique pour ce type de source et difficilement compréhensible. Deux scénarios sont évoqués... 

Le ciel vu en ondes radio de haute fréquence regorge de transitoires de type synchrotron provenant d'explosions d'étoiles massives et d'événements d'accrétion, mais vu en ondes radio de basse fréquence, jusqu'à présent, les observations ont toujours mené à un ciel calme en dehors de la population de pulsars galactiques et de la scintillation des noyaux actifs de galaxie. La bande de basse fréquence radio est pourtant connue pour être sensible à des processus d'émissions radio un peu exotiques, cohérentes et polarisées, tels que l'émission cyclotron des étoiles naines, les interactions du plasma magnétosphérique stellaire avec les exoplanètes ou une population de pulsars à spectre dur. Mais en recherchant ce type de source, ce n'est pas du tout ce que Natasha Hurley-Walker et son équipe ont trouvé. 
Les chercheurs australiens ont analysé les données radio de basse fréquence dans les archives du radiotélescope australien Murchison Widefield Array, le programme GLEAM-X (Galactic and Extragalactic All-sky MWA – Extended). Et ils sont tombés sur J1627-5235. Le signal périodique qu'ils ont identifié émet des impulsions exactement toutes les 18,18 minutes, une périodicité très inhabituelle qui n'a jamais été observée auparavant. L'émission est hautement polarisée linéairement, brillante, et persiste pendant 30 à 60 s à chaque occurrence. Elle est visible dans une large gamme de fréquences. Durant environ 1 minute sur 20, J1627-5235. est tout simplement le source radio la plus brillante du ciel.
Mais en plus de ce comportement périodique avec une période particulièrement longue de 18,18 minutes (donc une rotation lente), les impulsions suivent aussi une distribution modulée dans le temps avec une activité durant 30 jours (observations du 3 janvier au 2 février 2018 et du 28 février au 28 mars 2018), suivie d'une période d'extinction qui dure 26 jours, avec des temps de montée rapides et des temps de descente lents... 
Certaines fois, on constate que les impulsions peuvent être de courte durée (<0,5 s) et à d'autres moments, un profil plus lisse est observé. Ces profils évoluent d'ailleurs sur des échelles de temps de plusieurs heures. Hurley-Walker et ses collaborateurs peuvent affirmer avec une bonne certitude que cette source se situe dans notre galaxie, grâce à la mesure de la dispersion des impulsions radio par rapport à leur fréquence, qui dépend de la quantité de matière traversée par les ondes radio (la densité d'électrons). Plus précisément, sa distance est de l'ordre de 1,3 kpc (4000 années-lumière).
L'équipe pense qu'il pourrait s'agir soit d'une étoile à neutrons extrêmement magnétisée (un magnétar à rotation super lente, ou période ultra-longue) ou bien d'une naine blanche dotée d'un champ magnétique particulièrement intense. C'est la forte polarisation qui met sur la piste d'un champ magnétique très élevé, et on peut être sûr qu'il s'agit d'un objet compact du fait des variations de luminosité qui apparaissent sur des échelles de temps inférieures à 0,5 s. Et la température de brillance d'un objet de 0,5 seconde-lumière produisant 20 Jy de densité de flux à 1,3 kpc est d'environ 1016 K, ce qui implique un mécanisme d'émission cohérente.

Les magnétars connus ont des périodes de rotation de quelques secondes, mais en théorie, des magnétars pourraient tourner beaucoup plus lentement et avoir une période ultra-longue de plusieurs minutes. Les magnétars sont couramment détectés et caractérisés par des observations en rayons X, et quatre des cinq magnétars connus qui ont produit des émissions radio pulsées détectables ne l'ont fait qu'après des éruptions de rayons X. Cependant, tous les magnétars émettant des rayons X ne produisent pas d'émissions radio détectables. Des études antérieures ont montré que les magnétars ne produisent des émissions radio que si leur luminosité de repos en rayons X dans la bande 0,5-10 keV est inférieure à leur luminosité de spin down (ralentissement magnétique). Ici, avec J1627-5235, les astrophysiciens peuvent prédire que la luminosité X doit être inférieure à 6 1027 erg s-1. Hurley-Walker et ses collaborateurs ont donc complété leur étude en demandant (et en obtenant) du temps d'observation en rayons X avec le télescope Swift. Ils ont ainsi mesuré une luminosité X < 1032 erg s-1, cohérente avec la prédiction, et qui est une luminosité X de repos inférieure à celle de tous les magnétars connus, sauf deux, les plus faibles :  SGR 0418+5729 et Swift J1822.3-1606. 
L'autre hypothèse envisagée, une naine blanche magnétisée, aurait l'avantage d'avoir un moment d'inertie important et donc une luminosité de ralentissement 100 000 fois plus grande, permettant la possibilité de pulsations radio alimentées par la rotation. Mais cette hypothèse nécessite selon les chercheurs d'être testée d'une manière plus approfondie, notamment dans l'ultraviolet et l'infrarouge. 

L'existence d'une source radio transitoire inattendue, à pulsation lente et intermittente, ouvre un nouveau champ d'exploration, en particulier à basse fréquence. Alors que de nombreux relevés sensibles à basse fréquence (≲340 MHz) ont déjà recherché des transitoires dans des champs extragalactiques à des cadences de quelques minutes, voire jusqu'à une heure, aucune étude systématique de ce type n'a été menée pour des transitoires inconnus à des périodes de quelques minutes dans le plan galactique sur des échelles de temps similaires. Comme les pulsars et magnétars connus ont généralement des périodes inférieures à 10 s, les études sont conçues avec des temps de d'observation relativement courts d'environ 100 à 5 000 s et utilisent des filtres pour atténuer le bruit du télescope, ce qui les rend insensibles aux sources à longue période. La stratégie actuelle de relevés du MWA qui enregistre le ciel durant de longues périodes peut donc être sensible à une large population de ces sources. 
Les chercheurs précisent que l'archive MWA contient déjà des milliers d'heures d'observations sensibles du plan galactique jusqu'à 10°, qui peuvent donner des centaines d'autres objets similaires. D'autres détections permettront aux astronomes de savoir s'il s'agit d'un événement unique et rare ou d'une nouvelle population qui n'avait jamais été remarquée auparavant. Un suivi rapide et à haute résolution des candidats permettra de déterminer de manière plus concluante la nature de ces sources.

La clé de la découverte de cette source atypique J1627-5235 et de l'étude de ses propriétés détaillées réside dans le fait que les astrophysiciens ont pu collecter et stocker toutes les données produites par le MWA au cours des dix dernières années au Pawsey Research Supercomputing Centre. Le fait de pouvoir consulter un ensemble de données aussi volumineux dès que l'on trouve un objet singulier est encore assez unique en astronomie mais va très vite se généraliser, non seulement en ondes radio avec le futur SKA, mais aussi dans le visible avec l'Observatoire Vera Rubin qui va stocker des petaoctets de données sur tout ce qui bouge et varie dans le ciel.

Source

A radio transient with unusually slow periodic emission
N. Hurley-Walker et al.
Nature volume 601 (26 january 2022)


Illustrations

1. Vue d'artiste d'un magnétar (ICRAR)
2. Signaux radio enregistrés sur différentes périodes, se répétant toutes les 18,18 minutes (Hurley-Walker et al.) 

3 commentaires :

Pascal a dit…

Bonjour Eric,

Tu écris "Et la température de brillance d'un objet de 0,5 seconde-lumière produisant 20 Jy de densité de flux à 1,3 kpc est d'environ 10^16 K, ce qui implique un mécanisme d'émission cohérent." Confirmes-tu les 10^16 K, sachant que la température de surface d'un magnétar est de l'ordre de 10^6 K, et celle d'une naine blanche au mieux de 10^5 K ? A quoi se réfère ici un mécanisme d'émission cohérent ?

Merci, bonne soirée

Dr Eric Simon a dit…

Bonjour Pascal, il y a juste une petite coquille : il faut lire "émission cohérente", oui, c'est l'émission qui est cohérente, pas le processus... Et je confirme bien le 10^16, ça c'est pas une coquille. Les auteurs montrent simplement que ça ne peut pas être une émission thermique. Si c'était une émission thermique de type corp noir (ou émission incohérente), l'objet aurait cette température démesurée... Et donc, c'est une émission cohérente, non thermique. Une émission cohérente c'est typiquement ce qu'on trouve dans les plasmas (on parle de masers) ou dans le rayonnement synchrotron, avec des photons synchronisés et une émission anisotrope, tout le contraire d'un rayonnement thermique

Pascal a dit…

Merci Éric pour cette réponse parfaitement claire