lundi 2 mars 2020

Trois trous noirs supermassifs au coeur d'un quasar


Ce n'est pas un, ni deux, mais trois trous noirs supermassifs que des astrophysiciens français viennent de mettre en évidence au centre d'un quasar. Cette découverte a été faite grâce à la déformation des jets polaires du noyau actif observés à haute résolution, et permet de comprendre le mouvement apparent de cette source radio dans le temps. Une étude parue dans Astronomy & Astrophysics.



La galaxie active 4C31.61 (2201+315) a été observée en interférométrie à très longue base avec le réseau VLBA (Very Long Baseline Array) durant 20 ans dans le cadre d'un relevé appelé MOJAVE (Monitoring Of Jets in Active galactic nuclei with VLBA Experiments). Elle se situe à une distance de 1460 Mpc (4,76 milliards d'années-lumière).
La plus grande part de la masse du noyau du quasar est associée à un système binaire de trous noirs supermassifs séparés de seulement 0,3 millisecondes d'arc, soit une distance de 1,3 parsecs. Ce système de trous noirs montre un ratio de masse d'environ 2. L'un des deux est deux fois plus massif que l'autre. Mais en observant attentivement l'émission radio des jets qui émane du coeur de 2201+315, et en comparant avec des modélisations prenant en compte les effets de précession du disque d'accrétion entourant le trou noir principal et le mouvement des trous noir, Jacques Roland (Institut d'Astrophysique de Paris) et ses collaborateurs  trouvent quelque chose qui ne colle pas. Ils ne parviennent pas à reproduire les observations sans devoir ajouter une troisième composante massive, un troisième trou noir supermassif, mais 100 fois plus petit que les deux principaux. Ce troisième trou noir massif doit être situé à une distance angulaire de 0,37 millisecondes d'arc du centre de gravité des deux autres, ce qui fait 1,6 parsecs (5,2 années-lumière). 
Les astrophysiciens français parviennent à évaluer assez précisément les masses relatives des trois trous noirs à partir des caractéristiques des formes des jets perturbés qui sont observés mais la détermination de la masse absolue est très difficile. Ils ne peuvent que fournir une plage de masse pour la somme des trois trous noirs : cette masse totale est comprise entre 200 000 et ... 28 milliards de masses solaires

La source radio de 2201+315 a été observée entre 1995 et 2018 par le relevé MOJAVE. La premier coeur (nommé C0) a été vu durant toute la période, le deuxième (C3) entre 1995 et 2010 et le troisième (C9) entre 2009 et 2017. Chacun des trois coeurs montre une luminosité variable dans le temps. La résultante, la somme des trois, est ainsi vue centrée sur une position qui varie dans le temps : en 1998-1999, le coeur principal (C0) montrait une densité de flux similaire au deuxième (C3), mais entre 2001 et 2002, C0 dominait la densité de flux totale, puis en 2003, le flux de C0 redevenait similaire à celui de C3. Cela produit un mouvement nord-sud du centroide du flux radio. Mais entre 2009 et 2012 puis entre 2014 et 2015, c'est la densité de flux du troisième coeur (C9) qui dominait celle de C0. La position astrométrique de 2201+315 déterminée à la fréquence de 8 GHz, s'en est alors trouvée décalée dans une autre direction. Sur une vingtaine d'années, la position apparente de 2201+315 est donc variable dans plusieurs directions à cause de la présence de trois trous noirs supermassifs, et la position astrométrique "moyenne" du quasar se trouve finalement entre les trois coeurs.

Ce résultat des chercheurs français montre l'importance de déterminer avec précision la structure des noyaux des sources radio extragalactiques et notamment des quasars avec des observations interférométriques à très longue base. Elles permettent de détecter la présence de multiples coeurs qui peuvent expliquer des décalages de position apparente dans le temps qui sont parfois notés dans les observations astrométriques telles que celles de Gaia. Des mesures cruciales pour la maintenance des référentiels astronomiques basés sur les quasars lointains qui sont sensés ne pas bouger dans l'arrière plan des étoiles de notre galaxie et des galaxies proches.


Source

Multiple black hole system in 4C31.61 (2201+315)
J. Roland et al.
A&A Volume 634, February 2020


Illustration

Image radio du quasar 2201+315 obtenue à 15 GHz avec le VLBA (Roland et al.)

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