samedi 2 juin 2012

Les mystères de l'Astronomie (1/8) : Qu'est ce que l'Energie Noire ?

La revue Science en fait sa couverture cette semaine : les Mystères de l'Astronomie... Les rédacteurs de la célèbre revue américaine ont sélectionné, sur l'avis de nombreux spécialistes, 8 mystères astrophysiques, qui sont aujourd'hui incompris et qui devraient pouvoir être élucidés par l'observation, à moins qu'ils ne le soient jamais. Ils restent autant de questions très intrigantes... Nous allons passer en revue un à un ces grand mystères d'aujourd'hui.

1/8 : Qu'est ce que l'Energie Noire ?

C'était il y a 14 ans, la découverte de l'énergie noire a bouleversé l'astrophysique. Deux équipes d'astronomes et astrophysiciens étudiaient des explosions d'étoiles distantes appelées supernovae Ia pour mesurer l'évolution de l'expansion de l'Univers dans le temps. Alors qu'il s'attendaient à observer un ralentissement de cette expansion, ils découvrirent à l'inverse une accélération de cette expansion, comme si une mystérieuse énergie sombre étirait l'espace. La nature de cette énergie noire (ou énergie sombre) est probablement le mystère le plus profond de la cosmologie et de l'astrophysique. Et cela pourrait le rester longtemps et une part du mystère vient du fait que nous n'avons aucune idée si nous pourront y trouver une réponse.
L'Energie Noire peut être trois choses différentes. Premièrement, cela pourrait être simplement une propriété de l'espace vide lui-même. La théorie de la relativité générale d'Einstein permet justement l'existence d'une telle propriété sous la forme d'une constante cosmologique, qui serait une propriété de l'espace-temps.

Téléscope Blanco (NOAO/AURA/NSF)
Deuxième possibilité : l'énergie noire pourrait être quelque chose comme un nouveau type de champ de force qui occupe tout l'espace, un peu comme l'air remplit un ballon. Cette deuxième solution est appelée "quintessence".
Troisième possibilité et non des moindres, l'énergie noire pourrait n'être qu'une simple illusion, le signe que les physiciens ne comprennent pas encore correctement la gravité.

Dans le but de déterminer la bonne solution, les astrophysiciens cherchent à répondre à une question-clé : Comment varie la densité de l'énergie noire lorsque l'Univers s'étend ? Si l'énergie noire est une constante cosmologique, comme son nom l'indique, sa densité devrait rester constante. Si au contraire il s'agit de quelque chose contenu dans l'espace, sa densité doit décroître avec l'expansion.
Cette question revient à mesurer l'ultrasimple équation d'état de l'énergie noire et notamment un paramètre nommé w, qui doit être égale à -1 dans le cas d'une constante cosmologique et environ -0.9 dans le cas de la quintessence.
Les astronomes disposent de deux types de mesures pour tester ces hypothèses. 
La première cherche à reconstruire le plus précisément possible l'histoire de l'expansion de l'Univers, par exemple en étudiant les chandelles cosmiques que sont les supernovae Ia, dont on mesure la distance en connaissant parfaitement leur luminosité intrinsèque, ou encore en étudiant ce qu'on appelle les oscillations acoustiques baryoniques dans le fond diffus cosmologique.

La seconde famille de mesures cherche à détecter les effets de l'énergie noire sur la formation des grandes structures de l'Univers. Par exemple, l'énergie noire devrait gêner la formation des amas de galaxies en étirant l'espace. Il suffit ainsi de simplement compter les amas de galaxie de certaines tailles pour en déduire des précieuses informations sur l'énergie noire...
télescope EUCLID (EADS)

Évidemment, pour essayer de parvenir à cette ultime compréhension, les astronomes utilisent toutes ces techniques sans exception. A la fin de cette année va débuter une grande collaboration rassemblant plus de 120 astrophysiciens autour du projet DES (Dark Energy Survey), qui exploitera le télescope Blanco de 4 m du Cerro Tololo au Chili pour observer environ 250 millions de galaxies, cataloguer 100 000 amas de galaxies et enregistrer 4000 supernovae. De quoi affiner l'équation d'état de l'énergie noire.

Peut-être pourront-ils même répondre à la question "l'énergie noire existe-t-elle vraiment ? Ou bien y a-t-il un trou dans la raquette einsteinienne ?
Par exemple, si les résultats obtenus sur les supernovae et sur les amas de galaxies sont incohérents, cela signifiera que c'est bien la théorie de la relativité générale qui a du plomb dans l'aile...
Au delà de cet effort de recherche de cette année, l'agence spatiale européenne voit encore plus loin avec le projet prévu pour la fin de la décennie (et 570 millions de dollars) de satellite appelé Euclid, qui aura pour objectif d'étudier l'énergie noire via l'observation des oscillations acoustiques baryoniques et des effets de microlentilles gravitationnelles.
Un télescope terrestre est aussi en prévision, le Large Synoptic Survey Telescope (8.4 m), entièrement dévolu à l'énergie noire par les différentes techniques mentionnées.

Mais l'énergie noire risque de ne jamais révéler sa nature... Les données actuelles permettent de donner une valeur à w de -0.98 plus ou moins 10%, ce qui est compatible à la fois avec la solution constante cosmologique et la solution quintessence. Et les théoriciens ne savent pas dire de combien w devrait être éloigné de -1 si il s'agit bien de quintessence. Si par exemple, les futures données conduisent à une valeur de disons -0.99 plus ou moins 1%, cette valeur serait toujours ambigüe : cohérente avec les deux solutions. 

Mais la plupart des astrophysiciens restent tout de même optimiste en espérant que la nature sera coopérante avec eux et qu'ils pourront déterminer l'origine de cette énergie noire.
Cela vaut certainement le coup de passer dix ans de sa carrière sur cette question...


Source :
science, vol 336 (1 June 2012)

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