lundi 11 avril 2016

Les briques de l'ADN synthétisées à partir des glaces des comètes

Le ribose est une sorte de sucre. Il ne vous dit peut-être rien, mais sans cette molécule, vous ne seriez pas en train de lire ces lignes. Il suffit de dire "acide ribonucléique" ou "acide désoxyribonucléique" pour que l'on comprenne aussitôt l'importance de ce sucre. Il s'agit bien évidemment de la molécule de base de l'ARN et de l'ADN, bref, de la vie telle qu'on la connait. L'origine du ribose sur Terre reste une inconnue, mais une équipe française vient de créer du ribose et de nombreux autres types de sucres en laboratoire simplement à partir de glaces interstellaires (composées de H2O (eau), CH3OH (méthanol) et NH3 (ammoniac) irradiées par de la lumière ultraviolette telle qu'elle pouvait exister dans les prémices de notre système solaire...

La chambre à vide cryogénique utilisée
par Cornelia Meinert et al. (CNRS)
On pense que la molécule d'ADN a évoluée à partir d'acide ribonucléique (ARN). Le squelette de l'ARN est constitué de molécules de ribose. L'équipe française d'astrochimistes a simulé expérimentalement une comète composée de glaces en observant attentivement quelles étaient les molécules produites par insolation de rayonnement UV, grâce à la spectrométrie de masse par chromatographie de temps de vol en 2 dimensions. Cette technique pointue permet de classer les molécules en fonction de leur masse et de les identifier avec une très grande précision.
Le scénario qu'ils ont déployé implique la photochimie et la thermochimie des glaces dites "pré-cométaires". Il prend pour hypothèse que les planétésimaux (astéroïdes, comètes, petits corps précurseurs des météorites) se sont formés par agrégation de grains de glace déjà présents, et se place dans un environnement de type disque protoplanétaire où les matériaux peuvent se mélanger. Les astrochimistes et astrophysiciens de l'Université de Nice, de l'Institut d'Astrophysique Spatiale (Université Paris 11) et du synchrotron Soleil ont utilisé des grains de poussière composés de silicates et de carbone, entourés par une couche de glace composée majoritairement d'eau, de méthanol et d'ammoniac, les glaces les plus communes. Les grains ont tout d'abord été irradiés par de la lumière ultra-violette à basse température (78 K) et basse pression puis remis aux conditions normales de température et pression. Afin de contrôler l'absence de contamination, les molécules de méthanol utilisées étaient marquées par du carbone radioactif (13C), de manière à pouvoir le suivre dans les produits organiques formés.

C'est la première fois que des chercheurs parviennent à montrer que des sucres complexes peuvent être produits simplement à la surface des premiers corps du système solaire. La formation d'autres éléments organiques constitutifs du vivant comme des acides aminés formant les protéines est un peu mieux comprise car déjà observée dans des expériences semblables en laboratoire et aussi détectée dans des échantillons de comètes ou météorites. Les sucres restaient encore mystérieux du fait de leur détection difficile .

Cornelia Meinert (Université Nice Sophia Antipolis), auteure principale de l'étude parue dans Science précise : "Nous ne sommes probablement pas les premiers à avoir produit ces molécules complexes dans des expériences d'astrochimie, les sucres, dont le ribose devait être là, mais restés non détectés... Nous avons pu les détecter grâce à notre instrumentation de chromatographie gazeuse multidimensionnelle...".
Elle ajoute : "On pourrait penser qu'il n'y a pas beaucoup de molécules organiques formées dans ces glaces, mais c'est en fait l'opposé : nous avons formé de nombreux composés et classes de composés très différents, des acides aminés, des acides, des alcools, des aldéhydes, et des sucres."
Ces résultats semblent confirmer les indices de présence de molécules organiques complexes à la surface des comètes comme a pu le montrer le robot Philae à la surface de Chouryumov/Gerasimenko dès son atterrissage, où il a mis en évidence la présence de précurseurs d'acides aminés et de sucres.

Les implications de cette découverte sont importantes, car les types de glaces étudiées (eau, méthanol, ammoniac) existent quasi partout autour des étoiles jeunes entourées d'un disque de poussières. Ces molécules complexes comme le ribose doivent donc être très répandues, et avec elles, les briques nécessaires à la vie.


Source :

Ribose and related sugars from ultraviolet irradiation of interstellar ice analogs
C. Meinert et al.
Science Vol 352 Issue 6282 (8 April 2016) 
http://dx.doi.org/10.1126/science.aad8137

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