samedi 9 avril 2016

Le trou noir supermassif qui ne devrait pas être là

La détection de quasars très lumineux ayant un décalage spectral z supérieur à 6 suggère que des trous noirs supermassifs de plus de 10 milliards de masses solaires étaient déjà présents à une époque reculée il y a 13 milliards d'années. Deux possibles descendants - désormais inactifs - de ces trous noirs supermassifs sont observés aujourd'hui dans les galaxies NGC 3842 et NGC 4889, des galaxies situées au centre des amas de galaxies du Lion et de Coma respectivement. Ces deux amas de galaxies forment en outre la région centrale du "grand mur", la plus grande structure galactique dans notre univers proche. De tels trous noirs supermassifs ne sont pas trouvés à l’extérieur de tels amas  très riches en galaxies. Mais un intrus de 17 milliards de masses solaires  vient d'être mis en évidence, contre toute attente, au sein d'une galaxie très isolée...



NGC 1600 (au centre) avec un zoom sur sa partie centrale où se trouve
un trou noir supermassif de 17 milliards de masses solaires
(NASA, ESA, Digital Sky Survey 2)
La galaxie en question est une grosse galaxie elliptique nommée NGC 1600, qui se trouve non loin du centre d'un petit groupe de galaxies, située à 64 mégaparsecs de la Terre (209 millions d'années-lumière). L'équipe d'astronomes menée par Jens Thomas du Max Planck-Institute for Extraterrestrial Physics, à Garching publie sa découverte dans Nature cette semaine. Ils ont établi la masse du trou noir central de NGC 1600, non pas en l'observant directement mais en observant les vitesses des étoiles à proximité du centre de cette galaxie. Ils en déduisent une masse de 17 milliards de masses solaires, ce qui en fait le deuxième trou noir le plus massif connu à ce jour (le premier ayant une masse de 21 milliards de masses solaires). Ils ont utilisé pour cela à la fois le télescope spatial Hubble et le télescope hawaïen Gemini North de 8 m et son spectrographe GMOS (Multi-Object Spectrograph). L'étude de Thomas et ses collaborateurs internationaux est issue du programme de relevé MASSIVE, qui vise à étudier les galaxies les plus massives et les trous noirs supermassifs dans l'univers proche.

La surprise vient de l'endroit où est trouvé ce monstre noir. La galaxie NGC 1600 se trouve assez esseulée, pas du tout au centre d'un vaste superamas de galaxies où l'on s'attendrait à trouver ce genre de trou noir supermassif. Le recordman de 21 milliards de masses solaire se trouve par exemple au centre d'une grosse galaxie au cœur de l'amas de Coma qui contient plus de 1000 galaxies. A contrario, NGC 1600 se trouve dans un petit groupe d'une vingtaine de galaxies. 
Or il se trouve que les petits groupes de galaxies comme celui de NGC 1600 sont au moins 50 fois plus abondants que les très vastes amas comme l'amas de Coma. La question que se posent donc les chercheurs est : "Est-ce que l'on vient de trouver le sommet d'un l'iceberg ?", les trous noirs supermassifs extrêmes sont-ils beaucoup plus communs que ce que l'on pense ?

L'environnement galactique de NGC 1600 (à gauche) comparé à
celui de NGC 4889 (à droite) (Nature)
Une autre étrangeté avec ce trou noir de NGC 1600, c'est que sa masse ne correspond pas avec la masse de la galaxie hôte. Les modèles indiquent qu'il existe une corrélation entre la masse du bulbe de la galaxie et la masse de son trou noir. Plus la masse du bulbe galactique (la partie centrale de la galaxie riche en étoiles) est grande, et plus celle du trou noir est importante. Ici, la masse estimée de NGC 1600 (830 milliards de masses solaires en étoiles et 150 000 milliards de masses solaires pour le halo) dit que le trou noir devrait être 10 fois moins massif que la valeur trouvée. La relation établie ne semble plus fonctionner pour les trous noirs supermassifs les plus imposants.

Une hypothèse évoquée pour expliquer ce trou noir monstrueux est qu'il aurait pu être la conséquence de la fusion de deux trous noirs plus petits dans un lointain passé quand les interactions de galaxies étaient plus nombreuses qu'aujourd'hui. Le trou noir résultant aurait par la suite absorbé de grandes quantités de gaz de la galaxie nouvellement formée. Ce phénomène pourrait également expliquer pourquoi NGC 1600 se trouve dans un si petit groupe de galaxies en étant de loin la plus lumineuse de toutes ses voisines d'après les chercheurs.
NGC 1600 devait à cette époque suivant tout juste la fusion être un quasar brillant, son trou noir accrétant d'énormes quantités de gaz en le faisant rayonner par échauffement. Mais aujourd'hui, il ne se passe plus rien autour de ce géant; il a fait le vide autour de lui au centre de la galaxie et on ne peut le mettre en évidence qu'à partir des effets gravitationnels qu'il produit sur les étoiles les plus proches de son horizon, jusqu'à 3000 années-lumière de distance.
Ce qu'observent en outre les astrophysiciens, c'est une zone dépeuplée d'étoiles autour du trou noir, comme si ce dernier ou l'interaction passée de deux trous noirs en avaient éjecté  un nombre important par effets gravitationnels. Thomas et ses collaborateurs estiment la masse d'étoiles ainsi éjectées du centre de la galaxie elliptique à près de 40 milliards de masses solaires, soit l'équivalent de toutes les étoiles formant le disque de la Voie Lactée... 

Les prochains résultats du programme MASSIVE révéleront peut-être si NGC 1600 est le sommet d'un vaste l'iceberg ou juste un cas très particulier.

Source :

A 17-billion-solar-mass black hole in a group galaxy with a diffuse core
J.Thomas et al.
Nature online (6 April 2016) 

2 commentaires :

L6 Atmo a dit…

" Ils ont établi la masse du trou noir central de NGC 1600, non pas en l'observant directement mais en observant les vitesses des étoiles à proximité du centre de cette galaxie."

Bonjour,

J'ai un peu de mal avec cette phrase car il me semble avoir lu qu'on ne pouvait pas résoudre d'étoiles dans une galaxie autre qu la Voie Lactée, c'est moi qui me plante? En plus, on peut lire plus loin dans l'article que les chercheurs ont analysé les mouvements des étoiles jusqu'à 3000 AL du TN et cela à 209 millions d'AL de la Terre, ya pas une coquille quelque part?

Dr Eric Simon a dit…

Merci pour cette question qui va me permettre de préciser les choses. Il n'y a pas de coquille, effectivement, les astrophysiciens ne résolvent pas les étoiles de cette lointaine galaxie. Les mouvements qu'ils observent ne sont pas des mouvements d'étoiles individuelles mais une vitesse d'ensemble. Ils mesurent des spectres à 86 endroits différents de la galaxie en question et regardent comment bouge la raie d'absorption du calcium. Les décalages spectraux permettent de construire la distribution de vitesse des étoiles par rapport au centre de la galaxie
La résolution angulaire qu'ils obtiennent sur les distributions de spectres stellaires est de 0,6 arcsec... J'espère avoir répondu à votre question!