Une équipe d’astronomes vient de résoudre l’énigme du mystérieux comportement changeant du trou noir supermassif de la galaxie active Markarian 1018 (Mrk 1018) grâce au Very Large Telescope de l'ESO ainsi qu’aux télescopes spatiaux Chandra et Hubble : un quasar qui s'est "allumé" en 1986 et qui s'éteint aujourd'hui.
De nombreuses galaxies sont classées sous le terme de « galaxie active » ou quasars, car montrant un noyau très brillant, qui est en fait alimenté par l’accrétion de matière autour du trou noir supermassif central. Mrk 1018, qui est située à une distance de 607 millions d’années-lumière, fait partie de cette classe de galaxies. L’émission lumineuse des galaxies actives (leur distribution spectrale) peut varier énormément d’une galaxie à l’autre, ce qui a mené les spécialistes à définir une classification au sein des galaxies actives : Seyfert 1, 1.2, 1.5, 1.8, 1.9 et 2. Le type 1, le plus brillant, correspondant à une situation on on a une vue directe du disque d’accrétion et le type 2, à l’opposé, correspond à un obscurcissement complet du disque par le tore de matière entourant le trou noir supermassif. Certaines galaxies actives ont été observées changer de luminosité brutalement (en quelques années), les faisant passer d’une classe à une autre. Mais Mrk 1018 fait encore mieux : elle vient de changer de classe pour la deuxième fois en l’espace de trente ans. Après avoir été découverte relativement peu lumineuse (type 1.9), elle s’est brusquement « allumée » en 1986 pour atteindre la classe Seyfert de type 1., et elle vient de revenir à son état initial après une décroissance observée durant ces 5 dernières années.
La forte baisse de luminosité de Mrk 1018 a été détectée grâce à l’instrument MUSE (Multi-Unit Spectroscopic Explorer) installé sur le Very Large Telescope de l’ESO, dans le cadre du projet Close AGN Reference Survey (CARS) dont l’objectif est de fournir une vue détaillée et multi-longueurs d’ondes de 40 galaxies à noyau actif de type 1. En voyant ce phénomène exceptionnel quasi en direct, les chercheurs ont alors demandé et obtenu du temps d’observation spécifique sur Chandra et Hubble pour faire un suivi dans le temps de l’évolution de Mrk 1018.
Les astrophysiciens avouent eux-mêmes avoir eu beaucoup de chance d’avoir pu observer Mrk 1018 tout juste après le début de la décroissance de sa luminosité, ce qui leur permet d’étudier de près la physique de l’accrétion de matière par les trous noirs supermassifs. Rebecca McElroy (Université de Sydney) et ses collègues internationaux (dont l’astronome française Françoise Combes qu’on ne présente plus) se sont alors fixés comme objectif de comprendre le processus qui est à l’origine de ce rapide changement. Les chercheurs ont pour cela évalué toutes les possibilités, parmi lesquelles les plus plausibles étaient d’une part l’avalement d’une étoile par le trou noir (ou plutôt sa destruction par effet de marée, les fameuses "crêpes flambées d'étoiles" chères à Jean-Pierre Luminet qui a prédit le phénomène il y a 20 ans), et qui aurait ici mis trente ans pour accréter entièrement sa matière, et d’autre part (et inversement) l’apparition d’un obscurcissement du disque d'accrétion par des nuages de gaz de la galaxie.
La réponse est venue grâce aux données combinées des observations faites avec les deux télescopes spatiaux : le trou noir s’est « éteint » par manque de carburant, par manque de gaz à accréter...
Il semble que le flux de matière du disque d’accrétion ait été interrompu. Les chercheurs, pour expliquer cette soudaine interruption, évoquent la possibilité d’une interaction avec un second trou noir supermassif. Cette proposition est d’autant plus plausible que Mrk 1018 est connue pour être le fruit de la fusion de deux grosses galaxies, qui contenaient très probablement toutes les deux un trou noir supermassif…
Cette étude est l’objet de deux articles à paraître tous les deux dans Astronomy & Astrophysics, le premier relatant la découverte de l’affaiblissement de la luminosité de Mrk 1018 et le second le suivi du phénomène et son explication. L'équipe part maintenant à la recherche de nouveaux cas similaires pour étayer ses avancées.
Références :
The Close AGN Reference Survey: Mrk 1018’s return to the shadows after 30 years as a Seyfert 1
R.E. McElroy et al.
A&A, 593 L8 (16 septembre 2016)
http://dx.doi.org/10.1051/0004-6361/201629102
The Close AGN Reference Survey (CARS): What is causing Mrk 1018’s return to the shadows after 30 years?
Illustration :
Mrk 1018 imagée avec le Very Large Telescope (CARS Survey / ESO)
2 commentaires :
Bonjour Eric,
Si Mrk possède deux trous noirs supermassifs dans la même région, s'attend-on à observer des ondes gravitationnelles sous peu?
Un tsunami?
Par contre, est-il indispensable d'avoir un gros T.N. pour faire un gros quasar?
Ça ne dépend pas plutôt de son orientation et de ce qu'il a à se mettre sous la dent?
Un gros T.N. va avaler plus d'étoiles qu'un petit je suppose, mais l'énergie dissipée
est-elle fonction de la masse du T.N.?
Déjà, est-ce qu'un petit T.N. peut faire un quasar?
Si les deux trous noirs sont très proches, ils pourraient émettre des ondes gravitationnelles surtout vers le moment de leur fusion. Mais LIGO ou VIRGO ne sont pas adaptés pour détecter les ondes gravitationnelles de trous noirs supermassifs, il faudra attendre le détecteur eLISA en orbite...
Oui, la "puissance" d'un quasar dépend peu de la masse du trou (quand même un peu), mais surtout de la quantité de matière à disposition.
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