mardi 25 février 2020

Surprise métallique dans la galaxie du Sombrero


La galaxie du Sombrero (M104) est l'une des galaxies les plus connue des astronomes amateurs, mais sa nature exacte et son histoire sont toujours inconnues. Des observations récentes du halo de M104 sur la composition de ses étoiles (leur métallicité) viennent de mettre en évidence un résultat complètement inattendu, révélant un passé violent... Une étude parue dans The Astrophysical Journal.



C'est avec le télescope spatial Hubble que Roger Cohen (Space Telescope Science Institute) et ses collaborateurs ont scruté deux zones situées dans le halo de la galaxie du Sombrero, le long de son axe mineur, à une distance de 16 et 33 kpc respectivement. Ils ont mesuré la couleur et la luminosité de nombreuses étoiles situées le long de l'axe mineur de la galaxie pour estimer le gradient de métallicité, ou la "fonction de distribution de métallicité". La métallicité d'une étoile est le paramètre qui quantifie sa richesse en éléments lourds, plus lourds que l'hélium, les éléments qui ont été formés par des générations antérieures d'étoiles. 
Les astrophysiciens ont ainsi tracé la métallicité en fonction de la distance radiale du centre de la galaxie du Sombrero, sur son axe mineur. Et Cohen et ses collaborateurs trouvent des valeurs de métallicité très élevées dans les deux zones étudiées, donc même assez loin du bulbe de la galaxie (environ 17 fois le rayon du bulbe). La métallicité moyenne [Z/H] vaut -0,15 (valeur logarithmique du rapport des abondances en éléments lourds vis à vis de l'hydrogène), ce qui fait un ratio d'abondance Z/H = 0,7 en moyenne. Et la fraction d'étoiles qui ont une métallicité inférieure -1 (Z/H < 0,1) apparaît être négligeable. Une telle valeur n'a jamais été observée dans des halos de galaxies massives, y compris des galaxies elliptiques géantes.
Et les chercheurs trouvent également qu'il existe un gradient radial important dans la métallicité : la fraction des étoiles relativement pauvres en métaux augmente en fonction du rayon. Le profil de densité stellaire que les astrophysiciens observent est corrélé avec la métallicité : la densité évolue moins vite en fonction du rayon pour les étoiles moins riches en métaux.
Ces résultats sont étonnants car dans un halo de galaxie, on s'attend à trouver des vieilles étoiles qui sont donc composées de peu de métaux. Ce sont les étoiles des toutes dernières générations qui doivent exhiber le plus d'éléments lourds. Et ces étoiles jeunes se trouvent avant tout dans le disque des galaxies, où la population d'étoiles est bien plus dense. Qui plus est, les amas globulaires entourant les galaxies sont généralement peuplés d'étoiles pauvres en métaux et les étoiles de ces amas globulaires sont classiquement vouées à quitter leur amas et se retrouver in fine dispersées dans le halo galactique. Ce processus semble avoir été très peu efficace dans le cas de la galaxie du Sombrero...

Ces observations inédites et atypiques conduisent Roger Cohen et son équipe à formuler des scénarios de formation pour la galaxie du Sombrero après avoir comparé les observations avec des simulations. Les astrophysiciens en viennent à la conclusion que la somptueuse galaxie du Sombrero, sous son aspect pourtant lisse et calme, aurait connu des événements de fusions galactiques violents il y a plusieurs milliards d'années. Les astrophysiciens évoquent des fusions "majeures", c'est à dire des collision de galaxies de même taille (à la différence des fusions "mineures" qui décrivent des absorptions de galaxies naines). Les galaxies naines, à l'instar des amas globulaires, contiennent en effet avant tout des étoiles pauvres en métaux (à faible métallicité).
Une ou plusieurs fusions majeures (avec des grosses galaxies) est donc la seule solution possible pour apporter des étoiles de forte métallicité dans les régions du halo de M104 qui ont été étudiées, d'après les chercheurs. 
Cette solution est étonnante lorsque l'on connaît l'aspect actuel de la galaxie du Sombrero, ce disque et ce bulbe quasi parfaits ne montrant aucune trace de disruption. Les fusions de galaxies massives produisent typiquement des énormes galaxies elliptiques avec un halo étendu après une phase très distordue. Mais M104 n'a jamais été classée parmi les galaxies elliptiques, ni dans les spirales, d'ailleurs. C'est une galaxie hybride. C'est pour sa particularité que Cohen et son équipe se sont intéressés à elle sous l'angle de la métallicité. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ne doivent pas être déçus de leur choix. D'autres galaxies hybrides similaires au Sombrero sont déjà dans la liste des futures observations à mener, que ce soit avec Hubble ou avec ses successeurs WFIRST et Webb.


Source

The Strikingly Metal-rich Halo of the Sombrero Galaxy
Roger E. Cohen et al.
The Astrophysical Journal, Volume 890, Number 1 (12 february 2020)


Illustrations

1) La galaxie du Sombrero imagée par Hubble (NASA/ESA and The Hubble Heritage Team (STScI/AURA))

2) Champs d'étoiles du halo de M104 étudiés par Cohen et al. (NASA/Digitized Sky Survey/P. Goudfrooij (STScI)/The Hubble Heritage Team (STScI/AURA))

1 commentaire :

Pascal a dit…

Bonjour,

Petite précision sur la métallicité, elle est exprimée en référence au rapport solaire :
[Z/H] = Log((Z/H)*/(Z/H)°), avec Z/H solaire =0.0134. Donc [Z/H]=-0.15 signifie que le rapport massique d'abondance absolu (Z/H)* est de 0.0095, soit environ 0.7 fois le rapport solaire...