30/04/20

Précession relativiste d’un trou noir supermassif autour d’un autre



C’est un nouveau phénomène de précession relativiste qui vient d’être observé mais cette fois-ci, sur l’orbite d’un trou noir supermassif autour d’un autre trou noir supermassif. L’orbite du trou noir de 150 millions de masses solaires a été prédite puis vérifiée avec une précision de seulement 4h, ce qui permet de déduire des caractéristiques de l’énorme trou noir supermassif central de 18 milliards de masses solaires… Une étude parue dans The Astrophysical Journal Letters.


La galaxie OJ 287 est très distante, située à 3,5 milliards d’années-lumière, c’est un quasar qui est connu pour abriter l’un des plus gros trous noirs supermassifs, avec plus de 18 milliards de masses solaires. Mais elle possède également un second trou noir supermassif, dix fois plus petit (150 millions de masses solaires) qui lui tourne autour. Et tous les 12 ans environ, le « petit » traverse le disque d’accrétion entourant le « gros », dans un sens puis dans l’autre. Et à chaque fois, deux fois tous les 12 ans environ, ce passage produit une gigantesque éruption de rayonnements : deux bulles de gaz en expansion se créent de part et d’autre du disque d’accrétion du gros trou noir, multipliant par 4 la luminosité en moins de 2 jours.
L’orbite du « petit » trou noir supermassif (tout de même 35 fois plus gros que Sgr A*) est très elliptique et l’apparition des éruptions apparaît ainsi très irrégulière. En effet, son orbite subit une précession relativiste (voir billets récents à ce sujet) et des ondes gravitationnelles sont émises lors du rapprochement des deux trous noirs. De plus l’orbite du petit trou noir se trouve très décalée par rapport au plan du disque d’accrétion du gros trou noir. La prédiction de l’apparition des éruptions associées a été pendant longtemps très difficle.
En 2010, une équipe était parvenue à modéliser la précession de l’orbite et à pouvoir prédire l’apparition de la prochaine éruption en décembre 2015. Ils ne s’étaient trompés que de 3 semaines, une performance déjà remarquable. Mais en 2018, une autre équipe de chercheurs conduite par Lankeswar Dey du Tata Institute of Fundamental Research publiait un article avec un modèle encore plus précis pour prédire les éruptions de OJ 287, et donc l’orbite du petit trou noir autour du gros trou noir, avec les caractéristiques des deux trous noirs et du disque d’accrétion principal. Ils annoncèrent qu’une éruption devrait avoir lieu le 31 juillet 2019 et la nommèrent l’éruption d’Eddington, pour célébrer le centenaire de l’observation mythique d’Arthur Eddington de la déflection relativiste d’un rayonnement par l’effet gravitationnel du Soleil.


Il ne restait plus qu’à confirmer le pouvoir prédictif de ce nouveau modèle en pointant nos télescopes vers OJ 287 le jour J ainsi que quelques jours avant et après. Mais gros problème ! Le 31 juillet, le quasar est hors de la vue des télescopes terrestres car il se trouve derrière le Soleil ! Il ne serait visible qu’à partir de septembre… Heureusement, les astrophysiciens ont de la ressource… et un télescope en orbite non pas terrestre mais héliocentrique. Ils se sont ainsi tournés vers le vénérable télescope Spitzer alors en fin de vie (sa mission a été terminée en janvier 2020 après 16 ans d’opérations fructueuses). Le télescope infra-rouge était alors situé à 254 millions de km de la Terre et était le seul instrument à pouvoir pointer OJ 287 sans être gêné par le Soleil, mais seulement à partir du 31 juillet, c’est-à-dire exactement le jour J ! Spitzer a pu ensuite observer le quasar entre le 31 juillet et le 4 septembre quand les télescopes terrestres ont pu prendre le relais.

Saippo Laine (Caltech), Lankeswar Dey et leurs collaborateurs décrivent leurs observations effectuées avec Spitzer. Ils détectent effectivement une éruption de rayonnements le 31 juillet en provenance de OJ 287 et seulement avec 4h d’écart par rapport à la fenêtre temporelle prédite par Dey et ses collaborateurs en 2018 ! Une précision incroyable quand on sait qu’il s’agit de deux trous noirs supermassifs situés à 3,5 milliards d’années-lumière…
Le modèle de Dey et ses collaborateurs pour calculer aussi précisément l’orbite du « petit » trou noir (et sa précession) utilise les résultats obtenus par LIGO et Virgo sur les émissions d’ondes gravitationnelles de trous noirs stellaires. Mais avec ces seules améliorations par rapport au modèle antérieur, les chercheurs ne parvenaient à une précision de seulement 1,5 jour. Ils ont donc ajoutés de nouveaux paramètres sur les caractéristiques propres aux trous noirs, à savoir des paramètres liés à ce qu’on appelle le « No Hair Theorem », qui a été défini à la fin des années 1960 et qui décrit à quel point un trou noir doit être parfaitement symétrique, sans aucune variation de la forme sphérique, sans quoi son effet gravitationnel au voisinage serait très légèrement différent, ce qui aurait un impact détectable sur la trajectoire d’un trou noir en orbite, comme dans le cas du système de OJ 287 .
C’est en appliquant ces contraintes du No Hair Theorem sur le « gros » trou noir de OJ 287 que Dey et ses collaborateurs ont pu établir l’orbite du « petit » trou noir avec cette précision exceptionnelle de 4h seulement. Dans les années 1970, Kip Thorne (prix Nobel 2017 pour les ondes gravitationnelles) avait montré comment la trajectoire d’une masse autour d’un trou noir pouvait permettre de tester le No Hair Theorem. La précision obtenue par Dey et al. sur la prédiction du moment de l’éruption de rayonnement associée au passage du « petit » trou noir dans le disque d’accrétion du « gros » trou noir donne ainsi une preuve observationnelle du No Hair Theorem et notamment de la symétrie des trous noirs le long de leur axe de rotation.
En résumé, la précession relativiste d’un trou noir supermassif autour d’un autre trou noir supermassif extrêmement distants a pu être prédite avec une précision inouïe grâce à la prise en compte des caractéristiques des trous noirs (émission d’ondes gravitationnelles et symétrie parfaite issue du No Hair Theorem). Une nouvelle preuve éclatante de l’existence de ces objets si communs prédits par la Relativité Générale.

Source
Spitzer Observations of the Predicted Eddington Flare from Blazar OJ 287
Seppo Laine, Lankeswar Dey, et al.
The Astrophysical Journal Letters (28 April 2020,)
https://doi.org/10.3847/2041-8213/ab79a4

Illustration
Schélma du système de trous noirs supermassifs du quasar OJ 287 (Andres Rojas) 

2 commentaires :

Frank a dit…

Bonjour,
c'est très intéressant !
J'ai une question: en percutant le disque d'accrétion du plus gros des deux, le plus petit devrait se charger d'une importante quantité de matière et donc grossir à chaque entrée. Est-ce le cas ou bien fait-on l'hypothèse qu'il prend mais qu'il donne aussi ? En toute logique, il devrait plus prendre que donner ?

Merci,

Frank

Dr Eric Simon a dit…

Très bonne remarque ! Effectivement, la perturbation du disque qui est engendrée par le passage du "petit" trou noir doit accélérer son accrétion de matière (il faut savoir que le "petit" a aussi son propre disque d'accrétion autour de lui). Difficile de dire si cet apport de matière fraiche est important ou pas. Je pense que c'est une fraction infime de sa masse à chaque passage (il fait 150 millions de masses solaires rappelons-le). En tous cas, il ne peut pas perdre de la masse, un trou noir massif ne perd jamais de masse à l'échelle de l'âge de l'Univers.