On le sait, le milieu interstellaire est peuplé de champs magnétiques, dont on ne comprend pas bien les processus de production et d'amplification dans les plasmas astrophysiques. Une équipe internationale vient d'apporter des résultats très intéressants en réussissant à reproduire pour la première fois en laboratoire un plasma turbulent comme ceux qui sont rencontrés dans les grandes structures de l'Univers, une étude publiée dans les Proceedings of the National Academy of Science of the US.
La connaissance des processus de production et d'amplification des champs magnétiques est cruciale pour quiconque veut étudier en détail la formation des grandes structures de l'Univers, où ces champs sont omniprésents et jouent un rôle important. On croit savoir aujourd'hui que le maintien dans le temps et l'amplification des champs magnétiques passent par un phénomène qui est appelé le mécanisme de la dynamo turbulente. Jusqu'à présent, l'amplification du champs magnétique par la dynamo turbulente n'avait été déduite que par la théorie et observée dans des simulations numériques fondées sur ces équations théoriques. Archie Bott (Université de Oxford) et ses collaborateurs américains et français ont monté une collaboration qu'ils ont simplement nommée TDYNO pour aller faire des expériences auprès de l'installation Omega Laser Facility du Laboratory for Laser Energetics de l'Université de Rochester.
Ils y avaient déjà effectué quelques campagnes expérimentales il y a deux ans au cours desquelles ils avaient prouvé l'existence du mécanisme de dynamo turbulente. Mais aujourd'hui ils vont un cran plus loin en étudiant de près le phénomène d'amplification du champ magnétique qui est induit par la dynamo turbulente, en le suivant de façon dynamique.
Les lasers du Omega Laser Facility ne sont pas des lasers comme les autres, ils délivrent une grande énergie dans un très court laps de temps : 500 J en 1 nanoseconde, répété 10 fois pour l'expérience. 500 Joules en 1 nanoseconde, en terme de puissance, cela fait 500 GW, la puissance qui est produite par environ 500 centrales nucléaires simultanément... (heureusement que c'est sur une durée extrêmement courte...).
Avec ces faisceaux laser, les physiciens peuvent produire des plasmas très chauds à partir de gaz, qui ont les caractéristiques du plasma rencontré entre les galaxies à l'intérieur d'un amas. Ils effectuent trois types de diagnostics pour caractériser à la fois le plasma et le champ magnétique. La distribution spatiale du plasma dans la zone d'interaction turbulente est investiguée par une radiographie dynamique par rayons X (les rayons X émis par le plasma), les propriétés du plasma lui-même sont étudiées par diffusion Thomson optique et la mesure des champs magnétiques, elle, est obtenue par une imagerie protonique sur laquelle il faut s'arrêter un instant car elle n'est pas très conventionnelle. Pour cette imagerie protonique permettant de cartographier l'intensité du champ magnétique, Bott et ses collaborateurs utilisent une microcapsule de 420 µm de diamètre d'un mélange de deutérium et d'hélium-3 gazeux qu'ils font imploser au même moment que la production du plasma turbulent et du champ magnétique en l'irradiant par 17 faisceaux laser de 270 J avec des pulses de 600 ps (450 GW).
L'implosion de la capsule va alors produire la fusion nucléaire entre deutérium et hélium-3, un processus qui libère 1 milliard de protons de deux énergies bien définies (3,3 et 15 MeV), et ces protons vont traverser la zone du champ magnétique située à 1 cm de la capsule pour être détectés 28 cm plus loin après avoir été partiellement déviés par les lignes de champ magnétique. On peut ainsi mesurer en même temps la forme des lignes de champ et l'intensité du champ.
Les champs magnétiques galactiques primordiaux sont générés avec une intensité beaucoup plus faible que celle qui est observée aujourd'hui dans la plupart des amas de galaxies. Les mouvements stochastiques du plasma peuvent ensuite amplifier l'intensité des "graines" de champ magnétique via des étirements, des torsions et des recombinaisons du champ. Mais la vitesse de cette évolution, le "taux de grossissement" du champ magnétique, selon le modèle théorique, doit être différent selon les échelles spatiales des turbulences du plasma : élevé aux plus petites échelles et faible aux grandes échelles.
Mais dans leur nouvelle expérience très ingénieuse (et unique au monde), les chercheurs de TDYNO observent finalement une amplification magnétique très rapide, qui excède les prédictions théoriques. Bott et ses collaborateurs montrent que le phénomène de dynamo turbulente, observé dans un plasma réaliste, peut générer des champs magnétiques intenses beaucoup plus rapidement que ce que l'on pensait par la théorie ou les simulations de magnéto-hydrodynamique. Les physiciens attribuent cet effet à la présence de forts cisaillements directionnels dans le plasma turbulent.
Ces résultats donnent ainsi des pistes d'explications pour l'origine des champs magnétiques colossaux qui sont observés dans les amas de galaxies. Et ils ouvrent également la porte à d'autres recherches en laboratoire de processus astrophysiques qui sont liés de près ou de loin à la turbulence des plasmas.
Source
Time-resolved turbulent dynamo in a laser plasma
Archie Bott et al.
PNAS 118 (16 March 2021)
Illustrations
1) Evolution en fonction du temps des flux de protons détectés dans l'expérience (deux rangées du haut) et déduction des caractéristiques du champ magnétique (en bas) (Bott et al.)
2) Simulation numérique de l'expérience (collaboration TDYNO)
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