La collaboration HAWC de détection de rayons cosmiques vient d'identifier une imposante source de rayons cosmiques très énergétiques, et à la surprise des chercheurs, celle-ci n'est pas un des accélérateurs astrophysiques classiquement attendus comme des résidus de supernova, mais simplement un amas d'étoiles en formation. Une étude publiée dans Nature Astronomy.
L'observatoire HAWC (High-Altitude Water Cherenkov) est un grand détecteur de gerbes de particules secondaires générées par des photons gamma très énergétiques impactant l'atmosphère. Il est constitué de dizaines de cuves instrumentées qui détectent les particules (des muons pour la majorité) via l'effet Cherenkov qu'elles produisent lorsqu'elles passent dans l'eau. Il est installé sur les pentes d'un volcan mexicain près de Puebla.
Udaya Abeysekara (université de l'Utah) et ses collaborateurs ont observé l'existence d'une source de photons gamma d'énergie comprise entre 1 et 100 TeV en provenance d'une région du ciel dénommée le "Cocon du Cygne", qui est une superbulle qui entoure une région de formation d'étoiles massives appelée Cyg OB2. Or on sait que de tels photons très énergétiques doivent être produits par des rayons cosmiques fraîchement accélérés jusqu'à des énergies atteignant 1 PeV (1000 TeV). Traditionnellement, on considère que les résidus de supernova sont les meilleurs candidats pour produire de telles accélérations de particules, même si c'est un peu difficile d'accélérer des protons jusqu'au niveau du PeV. Mais dans la région de formation stellaire Cyg OB, point de résidus de supernova ! Ce dont les chercheurs sont quasi sûrs grâce à l'analyse spectrale des photons gamma détectés (indirectement) par HAWC, c'est qu'ils doivent avoir une origine dans des interactions de type hadronique (une accélération de protons, et non d'électrons).
Le cocon du Cygne (et l'amas Cyg OB2 en particulier) est ainsi devenu l'accélérateur astrophysique le plus puissant connu à ce jour. Le cocon du Cygne est une vaste structure qui s'étend sur 180 années-lumière à une distance de 4600 années-lumière. Il occupe une zone dans le ciel égale à 4 fois le disque de la Lune, en plein milieu de la célèbre constellation du Cygne. Les chercheurs ont enregistré patiemment les photons gamma en provenant, durant 1343 jours très exactement.
Les astrophysiciens des particules (ou physiciens des astroparticules) estiment que ce sont les vents stellaires puissants des très jeunes étoiles à l'intérieur de l'amas qui doivent jouer un rôle crucial dans l'accélération très efficace des protons. Selon eux, les turbulences générées lorsque les émissions de particules des étoiles (les vents stellaires) interagissent entre elles doivent produire un confinement des protons pendant plusieurs millions d'années sans qu'ils puissent s'échapper de l'amas. Et certains d'entre eux peuvent alors subir une série d'accélérations de plus ou moins grande importance et finir par se retrouver au final avec une énergie de l'ordre du Petaélectronvolt, avant de s'échapper vers n'importe quelle direction et interagir avec le milieu environnant (le gaz interstellaire) pour produire des mésons pi qui vont se désintégrer en photons qui s'échapperont encore plus facilement eux aussi dans n'importe quelle direction dont celle de la Terre, et du Mexique en particulier...
Pour résumer le cheminement de ces différents processus qui mènent de la naissance de ces rayons cosmiques jusqu'à leur détection : les protons sont accélérés par piégeage dans l'amas. Ils produisent ensuite des mésons pi très énergétiques en s'échappant, ces pions neutres se désintègrent rapidement en deux photons gamma emportant chacun la moitié de l'énergie disponible puis ces photons atteignent la haute atmosphère de la Terre 4600 ans plus tard, ce qui produit des gerbes de particules dans l'atmosphère (pions, électrons, positrons, neutrinos, muons...) et les muons interagissent avec les électrons dans l'eau des détecteurs mexicains et émettent des photons dans le visible (couleur bleue) qui sont détectés par des photomultiplicateurs. C'est l'analyse de cette lumière Cherenkov captée dans les cuves de HAWC qui permet aux chercheurs de remonter jusqu'à la turbulence des vents stellaires de l'amas Cyg OB2...
Mais il existe un petit biais dans cette suite de processus physiques : plus les protons sont accélérés à des hautes énergies, plus leur temps de confinement est raccourci. Les chercheurs montrent ainsi qu'il est fort probable que les protons qui ont les plus hautes énergies s'échappent du cocon très vite, sans avoir eu le temps de produire de rayons gamma, ce qui prouverait indirectement que Cyg OB2 est bien capable de produire des protons jusqu'au PeV, ce serait bien un Pevatron... et l'un des principaux dans notre galaxie.
Udaya Abeysekara et ses collègues concluent leur article en rappelant que leurs résultats suggèrent que le cocon du Cygne doit du coup être aussi un émetteur de neutrinos de haute énergie, qui sont créés par les désintégrations des pions chargés et des muons produits dans les interactions des protons avec le milieu interstellaire. Le détecteur IceCube ainsi que des futurs détecteurs de neutrinos astrophysiques devraient pouvoir les identifier d'après eux.
Et les futurs observatoires gamma à très grands champs de vue comme SWGO ou LHAASO pourront quant à eux fournir des données sur les photons gamma avec encore plus de statistique pour étudier le cocon du Cygne ou d'autres amas d'étoiles semblables.
Source
HAWC observations of the acceleration of very-high-energy cosmic rays in the Cygnus Cocoon
Udaya Abeysekara et al.
Nature Astronomy (11 march 2021)
Illustration
Le cocon du Cygne et son amas de formation d'étoiles OB2 (IFJ PAN / HAWC)
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