mardi 2 mars 2021

Un Pevatron décelé dans un résidu de supernova proche


Ce qu'on appelle un Pevatron, c'est un accélérateur astrophysique de particules, qui peut les accélérer jusqu'à des énergies de l'ordre du Pétaélectronvolt (1 million de Gigaélectronvolts). Un tel système d'accélération vient d'être identifié grâce aux photons gamma énergétiques qui y sont produits en réactions secondaires. Une étude publiée dans Nature Astronomy.

On pense qu'il existe plusieurs Pevatrons dans notre galaxie, capables de produire les rayons cosmiques parmi les plus énergétiques que l'on parvient à détecter. Mais, alors qu'une caractéristique attendue d'un tel Pevatron est la production de photons gamma très énergétiques au dessus de 100 TeV, aucun des Pevatrons connus n'a été détecté comme une source gamma de très haute énergie, indiquant soit qu'ils ne sont pas si efficaces dans leur accélération, ou bien que nos détecteurs ne sont pas assez sensibles pour capter le flux à haute énergie peu intense. 
Mais aujourd'hui arrivent les physiciens des astroparticules chinois et japonais et leur réseau de détecteurs gamma nommé Tibet ASγ (Air Shower Gamma). Ils ont observé l'émission gamma d'un résidu de supernova nommé G106.3+2.7 qui se trouve très proche d'un pulsar (PSR J2229+6114). La plage en énergie que détecte Tibet ASγ via des gerbes de particules induites par les photons gamma dans l'atmosphère s'étend jusqu'à plus de 100 TeV. 
Il s'agit d'un réseau de 597 détecteurs scintillateurs déployés depuis 1990 à 4300 m dans la province tibétaine du Yangbajing, sur 65,700 m², et qui a été amélioré en 2014 par l'ajout de 64 détecteurs Cherenkov sur 3450 m². Ces derniers sont adaptés pour ne mesurer que les muons des gerbes atmosphériques (ils sont enterrés à 2,4 mètres sous la surface) en coincidence avec les détecteurs de surface. La direction et l'énergie des muons permet de reconstruire la gerbe atmosphérique jusqu'au photon initial qui est arrivé au sommet de l'atmosphère en provenance de la source astrophysique.

Après analyse, les chercheurs parviennent à déterminer que le flux de photons gamma au delà de 10 TeV se trouve être très bien corrélé non pas avec le pulsar, mais avec un nuage de gaz moléculaire qui entoure le résidu, à une distance angulaire de 0,44° du pulsar. Cette curiosité, associée à l'analyse de la morphologie de la zone d'émission permet aux chercheurs chinois de déterminer le mécanisme d'émission des photons gamma dans le Pevatron qu'est le résidu de supernova G106.3+2.7. 
Sachant que ce résidu et le pulsar se trouvent à une distance de seulement 800 pc (2600 années-lumière), la distance qui sépare le centroïde de l'émission gamma détectée et le pulsar vaut 6 parsecs (9 années-lumière).
Il existe en effet deux voies de production de rayons gamma énergétiques dans un accélérateur astrophysique de particules : la première est par l'accélération d'électrons qui vont ensuite produire des photons gamma par effet Compton inverse en transférant une grande partie de leur énergie cinétique à des photons qui étaient au départ de basse énergie (par exemple des photons de lumière visible). La seconde est par l'accélération de hadrons (des protons) qui, en interagissant avec les protons du gaz interstellaire, produisent des mésons 𝜋0 (aussi appelés pions neutres), qui se désintègrent très rapidement en photons gamma en leur fournissant leur énergie. Dans les deux cas les photons gamma sont des produits secondaires des rayons cosmiques accélérés jusqu'à des vitesses relativistes, mais leur origine est très différente. Ces deux voies de production concurrentes sont appelées respectivement la voie leptonique et la voie hadronique. Il est très difficile de départager les deux origines possibles pour ces photons gamma. La différenciation se fait d'avantage à plus haute énergie, d'où le fort intérêt de pouvoir détecter de tels photons jusqu'à plus de 10 TeV. 
Ces nouvelles données à haute énergie viennent compléter d'autres résultats obtenus dans les années récentes par quatre autres expériences, mais toutes à plus basse énergie : Fermi-LAT jusqu'à 0,3 TeV, VERITAS jusqu'à 10 TeV, MILAGRO à 50 TeV et HAWC jusqu'à un peu moins de 100 TeV.

Les chercheurs essayent de faire coller au mieux les deux modèles de production aux données qu'ils ont enregistrées, en jouant sur les paramètres physiques qui entrent en jeu dans les mécanismes d'accélération et de confinement des particules à l'intérieur du résidu de supernova et des interactions avec le nuage de gaz moléculaire qui l'entoure. On sait par exemple que l'énergie maximale des protons qui restent dans un résidu de supernova est proportionnel à l'inverse de la racine carrée de l'âge du résidu. Or ici l'âge  de G106.3+2.7 est estimé à 10 000 ans, et l'énergie de coupure des photons gamma est de l'ordre de 0,5 PeV. Cela implique pour les protons l'atteinte d'une énergie de 1,6 PeV sur une durée de 1000 ans, selon les chercheurs de Tibet AS, et donc aussi une bonne efficacité d'accélération et une bonne quantité d'hydrogène à disposition pour convertir une grande partie des protons accélérés en photons gamma via des désintégrations de pions. 
Concernant le scénario leptonique (à base d'électrons), il apparaît beaucoup moins probable d'après les analyses des physiciens, mais il ne peut néanmoins pas encore être complètement exclu. Il faudrait pour cela connaître la limite supérieure du flux du rayonnement synchrotron (dans le domaine des rayons X). Les chercheurs évoquent également la possibilité d'un scénario hybride dans lequel coexisteraient une accélération de protons et une accélération d'électrons. Il faudrait pour cela que la position de naissance du pulsar ait coïncidé avec le nuage de gaz moléculaire. Dans ce cas, les électrons et les protons accélérés dans les premiers temps du pulsar par effet Compton inverse et réactions  (p + p → π0 → 2γ) peuvent produire une partie des photons aux énergies de l'ordre du TeV. Le problème de cette variante est qu'aucune augmentation d'émission gamma n'a aujourd'hui été observée par le télescope Fermi-LAT au voisinage proche du pulsar, seul VERITAS a détecté quelques photons gamma en excès dans cette zone. Ce scénario alternatif signifierait que le pulsar aurait bougé de 0,4° depuis sa naissance, ce qui veut dire avec une vitesse de 570 km/s pendant une durée de 10 000 ans. Seule une future mesure de la vitesse du pulsar PSR J2229+6114 pourrait permettre de valider ou invalider ce scénario.

Quant à l'origine purement hadronique de l'émission gamma observée en provenance de SNR G106.3+2.7, elle pourra être investiguée de manière plus approfondie par de futures observations dans différentes longueurs d'ondes, à commencer par les rayons X. 


Source

Potential PeVatron supernova remnant G106.3+2.7 seen in the highest-energy gamma rays
The Tibet ASγ Collaboration
Nature Astronomy (1 march 2021)


Illustrations

1) Localisation du Pevatron associé au SNR G106.3+2.7 (Collaboration Tibet ASγ) 

2) Vue d'artiste d'une gerbe de particules détectée par le réseau de détecteurs de Tibet AS (Collaboration Tibet ASγ) 

1 commentaire :

Pascal a dit…

Bonjour,

Je ne suis pas certain d'avoir bien compris : le pulsar est-il issu de la SN responsable du SNR ? Le scénario hadronique est-il privilégié en raison de la coïncidence spatiale entre SNR, nuage de gaz moléculaire et flux gamma énergétique, alors que les gamma du scénario leptonique devraient venir du pulsar ?