Du fait de son absence d’atmosphère, la surface de la Lune est constamment bombardée par le rayonnement cosmique du Soleil, des photons de toutes longueurs d’ondes, ainsi que des météorites plus ou moins grosses. Toutes ces interactions peuvent libérer certains atomes du régolithe et les envoyer dans l’espace où ils pourront être accélérés par la pression des photons solaires. Une étude montre aujourd’hui les caractéristiques de ce type d’émanation pour le sodium, qui forme ce qui ressemble à une véritable queue de comète et qui est visible une fois par mois lors de chaque nouvelle Lune, lorsque la Terre se trouve dans l’axe Soleil-Lune. Une étude publiée dans Journal of Geophysical Research.
A l’approche de la Nouvelle Lune, les atomes de sodium du sol lunaire qui en sont expulsés se retrouvent emportés par les photons solaires dans la direction opposée au Soleil, c’est-à-dire vers la Terre. Ils subissent alors le champ gravitationnel de la Terre et se retrouvent collimatés en un faisceau de plus grande densité. Cette structure particulière est visible dans le ciel à la bonne longueur d’onde, celle du sodium à 589 nm (couleur orange) où elle forme un « spot » d’environ 3° de diamètre, soit 6 fois plus large que le disque de la Lune.
Il est nommé par les astronomes le SMS (Sodium Moon Spot). Il n’est pas visible à l’œil nu, car environ 50 fois plus faible que la plus faible magnitude visible.
Jeffrey Baumgardner (Université de Boston) et ses collaborateurs ont étudié le SMS sur une très longue période avec les données de l’imageur du ciel du Complejo Astronómico El Leoncito en Argentine, pour le caractériser précisément et comprendre quels paramètres pouvaient avoir une incidence sur sa luminosité et sur sa forme. Est-ce qu’il varie avec le cycle d’activité du Soleil ? Avec le flux de rayons cosmiques (protons ou noyaux d’hélium) ? avec les caractéristiques physiques du vent solaire (sa densité, sa pression, sa température) ?
Pour cette analyse, les chercheurs avaient besoin de grandes quantités de données sur une période longue de manière à pouvoir déceler des effets faibles et potentiellement associés à des phénomènes périodiques lents.
Les résultats d’analyse ne montrent aucune corrélation ni avec l’activité du Soleil, ni avec le flux de rayons cosmiques ni avec les propriétés du vent solaire. En revanche, Baumgartner et ses collaborateurs ont découvert d’autres corrélations intéressantes : le SMS est plus lumineux lorsque la Lune se trouve au nord du plan de l’écliptique lors de la nouvelle Lune (rappelons que la Lune n’est pas exactement dans le plan Soleil-Terre, parfois plus au nord, parfois plus au sud, son passage dans le plan lors de la nouvelle Lune correspondant à des éclipses solaires).
Les chercheurs trouvent également que le spot de sodium est plus lumineux lorsque cette nouvelle Lune arrive au moment de son périgée (la distance Terre-Lune la plus faible). Les astronomes observent aussi qu’en moyenne, le spot de sodium lunaire atteint son maximum environ 5h après la Nouvelle Lune et sa courbe de luminosité n’est pas symétrique en fonction du temps par rapport au moment de la Nouvelle Lune.
Mais Baumgartner et son équipe observent également une autre corrélation inattendue : leurs données divisées en 264 observations réparties sur 14 ans montrent qu’il existe une très nette corrélation et un lien de cause à effet entre l’intensité de la luminosité du spot de sodium et le taux de météores sporadiques observés sur Terre enregistré par des données radar (un taux moyenné sur 4 ans). Ce lien entre l’activité météoritique et l’intensité du SMS est observée pour la première fois. Une étude précédente du même type effectuée en 2009 n’avait pas trouvé de corrélation entre météores et SMS mais elle n’avait regardé que la période (courte) 2006-2009. Baumgartner et ses collègues montrent que si ils ne gardent dans leurs données que la période 2006-2009, il ne voient pas non plus de corrélation. Il fallait regarder plus longtemps… En effet, des centaines de mesures du SMS sont nécessaires pour réduire le « bruit » photométrique qui est omniprésent dans ce type de mesure où existent de nombreuses sources d’émission de sodium parasites.
Les chercheurs estiment que les impacts de micrométéorites sur la Lune, comme il s’agit d’un processus à plus haute énergie que des interactions de protons ou d’ions, doivent produire une population d’atomes de sodium qui ont une plus grande probabilité d’échappement. Il est donc possible selon eux que la luminosité du SMS soit plus sensible aux impacts de météorites qu’aux autres processus où les atomes de sodium restent liés à la Lune dans son « atmosphère ». Les impacts de micrométéorites seraient alors responsables d’une minorité de tout le sodium relâché par le régolithe lunaire mais d’une majorité du sodium visible par le SMS.
Pour ensuite tenter d’expliquer pourquoi ils observent une plus grande production de sodium lorsque la Lune se trouve au nord de l’écliptique, Baumgartner et son équipe évoquent la possibilité que la trainée de sodium lunaire ne soit pas axisymétrique. Des inhomogénéités dans la composition de la croûte lunaire de la face visible pourraient en être à l’origine selon eux. En effet, on ne connaît pas aujourd’hui la concentration en sodium du régolithe, mais on sait en revanche que la concentration en potassium, elle, est plus élevée dans l’hémisphère nord de la Lune, alors pourquoi pas aussi une différence pour le sodium ? Pour répondre à cette question, des modélisations détaillées devront être effectuées et comparées aux données d’observation.
Cette étude rappelle en tous cas (si on l’avait oublié) qu’évoluer à la surface de la Lune est tout sauf une partie de plaisir. Plus on y passe du temps, plus on prend le risque de se prendre un petit caillou sur le coin du casque avec les conséquences catastrophiques que ça implique…
Source
Long‐Term Observations and Physical Processes in the Moon's Extended Sodium Tail
Jeffrey Baumgardner et al.
Journal of Geophysical Research – Planets Volume 126, Issue 3 (March 2021)
Illustrations
1) Le SMS observé et modélisé par les auteurs (Baumgardner et al.)
2) Vidéo de la simulation du phénomène (James O’Donoghue/@PhysicsJ et Jody K. Wilson)
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