mercredi 7 avril 2021

Annonce des résultats de Muon g-2 : Confirmation de l'écart avec le modèle standard (ou pas)!

Ce 7 avril 2021, la collaboration Muon g-2 a annoncé ses premiers résultats très attendus par de nombreux physiciens depuis 2004. Après avoir présenté les aspects théoriques ainsi que la complexité de la mesure expérimentale qui nécessite d'effectuer une série de corrections très fines et de réduire drastiquement les effets systématiques qui peuvent introduire des biais dans la mesure, le porte-parole de Muon g-2 a fini par dévoiler la valeur obtenue pour le paramètre aµ
La valeur obtenue par calcul à partir du modèle standard vaut aµ = 116 591,810 10-8 et la nouvelle de Fermilab vaut aµ = 116 592,04 10-8 alors que celle de Brookhaven en 2004 valait  116 592,08 10-8. Combinées entre elles, les deux valeurs expérimentales valent donc 116 592,061 10-8. Avec la précision améliorée de 15% par rapport à la mesure précédente, la nouvelle mesure de Muon g-2 parvient à une incertitude statistique de seulement 462 parties par milliard (462 ppb). 

La valeur théorique calculée à partir du modèle standard a été déterminée par un consortium de 132 physiciens théoriciens, nommé le Theory Initiative, dans un livre blanc publié l'année dernière, mais des calculs sont toujours en cours par différentes méthodes et par différentes équipes.
Et c'est justement aujourd'hui même que le journal Nature a eu la bonne idée (et la très bonne opportunité) de publier un nouveau calcul, qui va à l'encontre du livre blanc du consortium Theory Initiative et qui trouve une valeur totalement cohérente avec les mesures expérimentales ! 
Dans cet article, Sz. Borsanyi et ses collègues (qui se font appeler le groupe BMW pour Budapest, Marseille and Wuppertal) se sont intéressés au terme correctif du moment magnétique anomal qui est le plus incertain dans le modèle standard en utilisant des superordinateurs et la méthode de QCD en maillage (lattice QCD).
Les physiciens expérimentateurs de Fermilab vont avoir du mal à avaler cette nouvelle évaluation théorique qui vient jusqu'à saper l'annonce de leur mesure, eux qui ont mis près de 20 ans pour arriver à ce résultat. 
Le consortium Theory Initiative était au courant du calcul de BMW mais ne l'a pas intégré dans son formalisme car les chercheurs ont considéré qu'il devait encore être validé par d'autres groupes indépendants. Le consortium de théoriciens a été constitué à partir de 2016 dans le but de converger vers une valeur du moment magnétique anomal du muon avant que Muon g-2 ne sorte son premier résultat. Et c'est l'été dernier qu'ils ont publié leur valeur théorique pour le paramètre g= 2,0023318362 qui produisait un écart avec la valeur expérimentale de Brookhaven avec une signifiance statistique de 3,7 sigma (une valeur plus petite).
La plus grande incertitude de la prédiction du modèle standard vient de la contribution des quarks aux particules virtuelles qui entourent le muon et qui modifient son moment magnétique. Les quarks sont soumis à la chromodynamique quantique (QCD) qui régit l'interaction forte qui est très difficile à mettre en équations et à résoudre.
Le scénario dominant est le suivant : le muon émet un photon qui se transforme en une paire quark-antiquark, qui s'annihile très vite pour reformer un photon qui est réabsorbé par le muon. Cette suite de processus est appelée la polarisation hadronique du vide. La difficulté vient ici qu'il faut prendre en compte la somme de toutes les combinaisons de paires de quarks-antiquarks qui peuvent apparaître. Le terme correctif dans le moment magnétique qui est associé à cette polarisation hadronique du vide peut à lui seul résorber la différence qui est vue entre théorie et expérience. 

Il y a plusieurs façons d'évaluer ce terme : la première, utilisée par le consortium Theory initiative, ne cherche pas à calculer le comportement des quarks, elle cherche simplement à traduire les données d'autres expériences pour en déduire le terme de polarisation hadronique. Cette approche a été raffinée et optimisée depuis de très nombreuses années et plusieurs groupes de recherche utilisant des détails un peu différents, arrivent au même résultat. 
La deuxième méthode repose sur des calculs massifs sur des machines de haute performance. Le but est de résoudre les équations de l'interaction forte en des points discrets d'un maillage d'espace-temps plutôt que dans un volume continu. Cela permet de transformer un problème infiniment détaillé en un problème fini, à l'image de ce qui se fait pour les prévisions météo. Ensuite, le calcul peut être rendu de plus en plus précis en rapprochant de plus en plus les différents noeuds du réseau. C'est la méthode qui est utilisé par le groupe BMW. Leur nouveau résultat tire profit de quatre améliorations importantes dans leur calcul qui nécessitent des puissances de calcul gigantesques. Ils ont notamment multiplié par plus de 2 la taille de leur réseau, ce qui permet de s'affranchir des effets de bord lorsqu'on regarde ce qui se passe au centre. Ils ont aussi introduit les petites différences de masse entre quarks qui étaient jusque là négligées.
Borsanyi et ses collaborateurs ont utilisé sept superordinateurs répartis dans plusieurs institutions à Jülich, Munich, Stuttgart, Orsay, Rome, Wuppertal et Budapest. Ils ont fait tourner leurs calculs sur plusieurs centaines de millions de coeur-heures pour déterminer le terme de polarisation hadronique du vide. Leur résultat avait été publié en février 2020 sur arXiv, mais seulement officiellement aujourd'hui dans Nature, le jour même de l'annonce de Fermilab (le papier a été reçu par Nature le 2 aout 2020)... 

Le chiffre que BMW trouve est g= 2,00233183908 ce qui se traduit par a= 116591,954 10-8 une valeur théorique qui n'est séparée de la valeur de Muon g-2 que de 0,09 10-8 et de celle de Brookhaven de 0,13 10-8.
Les résultats annoncés aujourd'hui par la collaboration Muon g-2 ne concernent que le premier run de l'expérience, les données des runs 2 et 3 sont déjà en cours d'analyse et le run 4 est en cours de prise de données. Ce run 1, qui permet d'arriver à une incertitude statistique remarquable de 462 ppb, ne représente que 6% de ce que pourra produire Muon g-2 en tout. La précision sur la valeur du moment magnétique anomal du muon ne pourra que ce préciser d'avantage dans un futur proche et probablement dès cet été, d'après ce qu'a annoncé le porte parole de l'expérience. 

Il est un peu dommage que cette annonce qui tend à confirmer de sérieuses possibilités de nouvelle physique via la présence de particules non prédites par le modèle standard soit ternie par la publication opportune de Nature montrant que le calcul théorique serait erroné. Car il est tout aussi possible que le calcul numérique se trouve être lui aussi faux. Une source d'erreur a très bien pu être mal évaluée dans le calcul. Tant que ces gros calculs n'auront pas été refaits par d'autres équipes, le flou persistera.
Du côté de la méthode du consortium Theory Initiative, les chercheurs estiment très improbable que les données utilisées soient elles mêmes erronées car elles proviennent de plusieurs décennies de mesures très précises sur 35 processus hadroniques. Mais c'est leur interprétation qui pourrait éventuellement être trompeuse selon les spécialistes. Il se pourrait par exemple que des interférences réduisent la probabilité des processus hadroniques qui apparaissent dans certaines collisions électron-positron sans affecter par ailleurs la polarisation hadronique du vide au voisinage des muons. L'extrapolation d'un jeu de données à l'autre ne pourrait alors pas marcher. Mais la résolution de ce type de défaut pourrait aussi produire une nouvelle tension avec la valeur mesurée expérimentalement... renforçant le besoin d'une nouvelle physique. 

On l'aura compris, les deux événements de la journée : l'annonce du premier résultat de Muon g-2 à Fermilab et la publication du groupe BMW ne permettent pas de crier à la découverte d'une physique au delà du modèle standard. Ils montrent plutôt le début d'une guerre entre théoriciens, qui aura été déclenchée par un résultat expérimental exceptionnel. 

Retrouvez les présentations de la collaboration du consortium Theory initiative et Muon g-2 ci-dessous. 

Sources

Measurement of the positive muon anomalous magnetic moment to 0.46 ppm
B. Abi et al. (Muon g-2 Collaboration),
Phys. Rev. Lett. 126, 141801 (2021).

Measurement of the anomalous precession frequency of the muon in the Fermilab Muon g−2 Experiment
T. Albahri et al. (Muon g-2 Collaboration)
Phys. Rev. D 103, 072002 (2021)

Magnetic-field measurement and analysis for the Muon g−2 Experiment at Fermilab
T. Albahri et al. (Muon g-2 Collaboration)
Phys. Rev. A 103, 042208 (2021)

Leading hadronic contribution to the muon magnetic moment from lattice QCD. Nature (2021). 
Borsanyi, S., Fodor, Z., Guenther, J.N. et al.
Nature (7 april 2021)


Illustration

Résultat de Muon g-2 comparé à la valeur théorique du consortium Theory Initiative et à celle de l'expérience de Brookhaven (Muon g-2)

1 commentaire :

Anonyme a dit…

"la nouvelle mesure de Muon g-2 parvient à une incertitude statistique de seulement 462 parties par milliard "

Ce qui veut dire pas très loin des 5 sigmas ? (désolé, j'y connais rien, j'ai simplement regardé ce que cela donnait avec une loi normale)