dimanche 25 avril 2021

Des exoplanètes à utiliser comme détecteurs de matière noire


Voilà une idée très intéressante avec un fort potentiel : utiliser les exoplanètes comme des calorimètres pour détecter la matière noire et sa répartition dans notre galaxie ! Il ne suffirait que de mesurer avec précision la température des exoplanètes et observer comment celle-ci évolue en fonction de la position de la planète au sein de la galaxie. Une étude parue dans la prestigieuse Physical Review Letters

Rebecca Leane (MIT) et Juri Smirnov (Ohio State University) suggèrent dans leur article que la matière noire (sous forme de particules massives interagissant faiblement et pouvant s'annihiler) pourrait être détectée en mesurant l'effet qu'elle produit sur la température des exoplanètes. L'idée est simple : lorsque la gravité des exoplanètes capture des particules massives formant la matière noire, celle-ci se déplace vers le noyau planétaire où elle s'annihile et libère finalement son énergie sous forme de chaleur. C'est le lot commun de toute forme de dégradation d'énergie, qui se termine toujours par de la chaleur (qui n'est autre que de l'agitation microscopique des noyaux d'atomes et des électrons). 
En physique des particules, les calorimètres (qu'on appelle aussi des bolomètres) sont les détecteurs ultimes qui permettent de mesurer l'énergie totale qui est déposée par les interactions de particules, qu'elle soit déposée par ionisation, création de paires particules-antiparticules ou autre. Le LHC est équipé par exemple d'énormes calorimètres pour mesurer l'énergie des particules. L'idée n'est donc pas nouvelle, mais c'est le type de calorimètre utilisé qui est nouveau...

Leane et Smirnov montrent, équations et graphes à l'appui, que plus la quantité de matière noire capturée est importante, plus l'exoplanète devrait se réchauffer, et ce réchauffement peut être mesuré par le télescope spatial James Webb, un télescope infrarouge sensible au rayonnement thermique, capable de mesurer la température des exoplanètes lointaines. Le JWST peut mesurer des températures au dessus de 650 K pour des distances galactocentriques entre 0,1 kpc et 7 kpc, puis des températures beaucoup plus basses entre 7 et 9 kpc, c'est à dire des distances faibles autour de la position du Soleil (qui se trouve à 8 kpc du centre galactique). Or les physiciens montrent que pour des super-jupiters de masse comprise entre 30 et 50 fois la masse de Jupiter, si la matière noire n'a aucun effet sur elles (ou si elle n'existe pas sous la forme envisagée), leur température ne doit pas varier quelle que soit leur distance du centre galactique : cette température ne doit pas dépasser 550 K. Mais si la matière noire les échauffe, leur température doit déjà dépasser les 650 K pour une bonne partie d'entre elles à la distance de 8 kpc, donc au voisinage du Soleil.  

Et cette température augmente assez rapidement lorsqu'on se rapproche du centre galactique, notamment à partir de 0,3 kpc du centre où elle serait de l'ordre de 800 K, et elle atteindrait les 1000 K à 0,1 kpc du centre (au lieu de 550 K en cas d'absence d'effet rappelons-le). L'effet d'augmentation de la température en fonction de la distance galactocentrique vient du fait que selon les modèles actuellement admis concernant la matière noire et sa répartition dans la galaxie, elle doit être de plus en plus dense lorsqu'on se rapproche du centre de la Galaxie. Deux exoplanètes similaires se trouvant à différentes localisations dans la Galaxie ne devraient donc pas avoir le même échauffement interne induit par la matière noire, et donc pas la même température. 


Les théoriciens démontrent que les grosses exoplanètes seraient plus particulièrement utiles pour détecter des particules légères, entre 1 MeV et 1 GeV, car des particules de faible masses sont plus enclines à rester piégées dans des grosses exoplanètes assez massives de types super-jupiters.  
La force de cette idée de méthode de détection réside dans le fait que nous connaissons déjà plus de 4300 exoplanètes confirmées et 5695 candidates en attente de confirmation, avec des milliards qui n'attendent que d'être découvertes. 
Leane et Smirnov proposent de se focaliser en premier lieu sur des géantes gazeuses proches du Soleil (des "super jupiters) et des naines brunes pour trouver des preuves d'un réchauffement anormal causé par la matière noire. Le JWST peut déterminer si des exoplanètes de 30 à 50 masses joviennes proches sont plutôt inférieures à 550 K (cas sans matière noire) ou plutôt supérieures à 550 K (cas avec présence de matière noire). 
En en plus de cette recherche locale, les chercheurs américains suggèrent de rechercher des exoplanètes ou des naines brunes plus éloignées, jusqu'à la limite de sensibilité de JWST à 0,1 kpc du centre galactique, et surtout des planètes solitaires qui ne sont plus en orbite autour d'une étoile. L'absence de rayonnement d'une étoile permettrait de réduire en effet les interférences thermiques qui peuvent masquer un signal d'échauffement produit par la matière noire. Le but ici est de déceler une évolution de la température en fonction de la distance galacto-centrique. Soyons clairs, si une telle détection s'avère positive, on pourrait annoncer très probablement une découverte de la matière noire.

L'un des gros avantages de l'utilisation des exoplanètes comme détecteurs de matière noire est qu'elle ne nécessite pas nécessairement de nouveaux types d'instruments. Le télescope Gaia par exemple devrait identifier des dizaines de milliers d'exoplanètes candidates dans les prochaines années, et le télescope TESS en détecte tous les jours ou presque. Et le télescope Webb qui sera lancé avant la fin de l'année, a les capacités de mesurer des températures anormales avec une bonne précision comme le montrent Leane et Smirnov. 

En 1985, deux théoriciens américains, Mark Goodman et Edward Witten publiaient un article dans Physical Review D, cité plus de 1700 fois depuis, qui annonçait la possibilité de détecter directement les WIMPs via leur diffusion élastique sur des noyaux atomiques dans des détecteurs appropriés, notamment des bolomètres. Il a été à l'origine de plus de trente ans de développements expérimentaux de nombreux détecteurs en sites souterrains, qui sont encore en évolution aujourd'hui. Même si ils n'ont pas (encore) trouvé de signal de WIMP, ils ont permis de fixer de sévères contraintes sur les modèles de matière noire et ils n'ont pas dit leur dernier mot. Il est bien possible que Leane et Smirnov soient les Goodman et Witten des trente prochaines années, et on ne peut que leur souhaiter plus de succès pour ce qui est de la future Découverte.

Source

Exoplanets as Sub-GeV Dark Matter Detectors
Rebecca K. Leane and Juri Smirnov
Phys. Rev. Lett. 126 (22 April 2021)


Illustrations

1) Evolution de la température de superjupiters comprises entre 30 et 50 masses soalire en fonction de leur distance du centre de la galaxie (Leane et Smirnov, Phys. Rev. Lett.)

2) Evolution de la température de différents types d'exoplanètes ou naines brunes pour différents types de profils de matière noire dans la galaxie (Leane et Smirnov, Phys. Rev. Lett.)

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