mardi 6 avril 2021

Découverte d'une émission gamma diffuse de PeVatrons dans le disque galactique


Il y a un peu plus d'un mois, je vous relatais la détection d'un PeVatron (un accélerateur de rayons cosmiques) dans un résidu de supernova par le détecteur gamma Tibet ASγ. Deux semaines plus tard, c'était dans un cocon d'étoiles qu'un autre PeVatron semblait avoir été découvert par l'expérience HAWK. Aujourd'hui, la collaboration sino-japonaise de Tibet ASγ publie une nouvelle étude, cette fois-ci dans Physical Review Letters, pour annoncer la détection d'une émission diffuse de rayons gamma énergétiques, dans tout le disque galactique, révélant la présence de rayons cosmiques très énergétiques un peu partout dans notre galaxie, et indiquant le présence de nombreux PeVatrons.

On le sait, malgré plusieurs décennies de recherches, seulement une poignée de PeVatrons a pu être identifiée dans notre galaxie. Une des difficultés qui est rencontrée est qu'on ne peut pas identifier l'origine des rayons cosmiques (des protons ou des noyaux d'hélium pour leur grande majorité) uniquement en mesurant leur direction d'origine lorsqu'ils arrivent au niveau de la Terre. Etant chargées électriquement, ces particules qui peuvent être très énergétiques sont déviées par le moindre champ magnétiques qu'elles rencontrent dans leur mouvement. Et la galaxie fourmille de champs magnétiques. Pour identifier l'objet source de ces rayons cosmiques, les chercheurs essayent donc de détecter non pas seulement les particules primaires, mais aussi des particules secondaires qui ont pu être produites très peu de temps après l'accélération de ces noyaux d'atomes "primaires" : des particules secondaires dont le mouvement ne serait pas sensible aux champs magnétiques. Les meilleurs particules secondaires pour cela sont les photons (gamma) et les neutrinos.
Mais la détection des photons gamma et des neutrinos de très haute énergie (de l'ordre du TeV ou au delà) est difficile car ces particules sont rares. Elle requiert l'utilisation de détecteurs de très grande surface ou volume. Pour les photons gamma énergétiques, les astrophysiciens des particules ont déployé des systèmes de détection couvrant des dizaines ou centaines de milliers de mètres carrés, comme c'est le cas pour les expériences Tibet ASγ, H.E.S.S, HAWK ou MAGIC; et pour les neutrinos, des volumes de l'ordre du km cube (avec par exemple IceCube ou KM3Net).

Tibet ASγ est un réseau de 597 détecteurs scintillateurs déployés depuis 1990 à 4300 m dans la province tibétaine du Yangbajing, sur 65,700 m², et qui a été amélioré en 2014 par l'ajout de 64 détecteurs Cherenkov sur 3450 m². Ces derniers, enterrés,  sont adaptés pour ne mesurer que les muons des gerbes atmosphériques en coïncidence avec les détecteurs de surface. La direction et l'énergie des muons permet de reconstruire la gerbe atmosphérique jusqu'au photon gamma initial qui est arrivé au sommet de l'atmosphère en provenance de la source astrophysique.
Dans leur étude, les physiciens chinois et japonais montrent qu'ils ont observé pour la première fois un flux diffus de photons gamma, c'est à dire qui provient de partout sur le disque de la Voie Lactée et dont l'énergie est comprise entre 100 TeV et 1 PeV. En particulier, aucun des photons gamma détectés à plus de 398 TeV ne provient d'une source identifiée précédemment comme étant une source gamma au niveau du TeV.
L'analyse du rayonnement gamma observé fournit une très bonne signature de PeVatrons, et notamment de l'une des deux voies attendues pour leur production : la voie hadronique. Dans ce processus, ce sont des hadrons (des protons ou des noyaux légers) qui sont accélérés fortement et qui vont ensuite interagir très vite dans le gaz intragalactique et produire des mésons π0. Ces mésons π0 ont une durée de vie très courte (8 10-17 s) et se désintègrent dans 98,8% des cas en une paire de photons gamma qui emportent avec eux l'énergie de masse du pion ainsi que son énergie cinétique, qui correspond à environ 10% de l'énergie du noyau primaire.
Donc le fait de voir des photons gamma très énergétiques de plusieurs dizaines de TeV de manière diffuse dans tout le disque galactique indique que des rayons cosmiques ayant une énergie de l'ordre du Peta-électronvolt se retrouvent bien un peu partout dans notre galaxie. Et cela indique par là même que les objets astrophysiques qui sont responsables de l'accélération de ces noyaux atomiques, ce qu'on appelle les PeVatrons, qui peuvent être des résidus de supernova, des cocons de jeunes étoiles, ou d'autres objets, seraient distribués également de manière homogène dans le disque galactique.
Les chercheurs chinois et japonais de Tibet ASγ peuvent arriver à cette conclusion grâce à la détermination des directions d'arrivée précises des photons gamma, par leur double détection de gerbes atmosphériques. Ils peuvent déterminer à la fois l'énergie des photons et leur direction avec une résolution d'une fraction de degré seulement. C'est ainsi qu'ils ont vu cette émission diffuse apparaître préférentiellement sur quelques degrés autour du plan galactique. Les chercheurs, après analyse du signal (le spectre en énergie), peuvent aussi exclure les nébuleuses de vent de pulsar pour origine de ces photons gamma .
Maintenant que l'on a la confirmation que de nombreux PeVatrons peuplent notre galaxie, la chasse va pouvoir s'exacerber. De nouveaux grands détecteurs viennent justement d'être installés ou acceptés, sans compter ceux qui sont en construction ou en projet dans les tiroirs. Pour ne citer que les détecteurs gamma, on mentionnera le chinois Large High Altitude Air Shower Observatory (LHAASO) entré en fonction en 2019, l'international Cherenkov Telescope Array (CTA) qui devrait débuter ses opérations vers 2023, 100 détecteurs en réseau répartis entre le désert de l'Atacama au Chili et les îles Canaries, ou encore le Southern Wide-field Gamma-ray Observatory (SWGO), un projet de détecteur à très grand champ de vue qui serait installé quelque part en Amérique Latine entre les latitudes 10° et 30° Sud... 
Les PeVatrons se cacheront peut-être encore un moment mais ils finiront tôt ou tard par nous dévoiler tous leurs secrets.

Source

First Detection of sub-PeV Diffuse Gamma Rays from the Galactic Disk: Evidence for Ubiquitous Galactic Cosmic Rays beyond PeV Energies
M. Amenomori et al. (Tibet AS γ Collaboration)
Phys. Rev. Lett. 126 (5 April 2021)


Illustrations

1) L'installation du réseau de détecteurs de Tibet ASγ (collaboration Tibet ASγ ) 
 
2) Cartographie en coordonnées équatoriales des directions d'arrivée des photons gamma détectés par Tibet ASγ pour trois plages d'énergie différentes (de haut en bas : 100 < E < 158 TeV, 158 < E < 398 TeV et  398 < E < 1000 TeV) (collaboration Tibet ASγ ) 


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