14/04/21

Découverte d'un trou de 3 masses solaires à 1500 années-lumière


Une équipe d'astrophysiciens vient de publier la découverte d'un des trous noirs les plus proches de nous connu à ce jour. Situé à 460 parsecs (1500 années-lumière), il a une masse de seulement 3 masses solaires, un cas rare. Une étude à paraître dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

C'est en étudiant ce qui ressemblait à un système d'étoiles binaire à éclipse que Tharindu Jayasinghe (Ohio State University) et ses collaborateurs sont arrivés à la conclusion que l'étoile invisible compagne de la géante rouge V723 Mon ne pouvait être qu'un trou noir. V723 Mon était connue pour être une étoile variable qui incorpore une géante rouge évoluée ayant une luminosité 173 fois plus forte que celle du Soleil en orbite exactement circulaire avec un autre objet avec une période orbitale de 59,9 jours. Les astrophysiciens ont utilisé trois télescopes pour étudier de près la courbe de luminosité de V723 Mon (la variation de sa luminosité dans le temps) : ASAS (All-Sky Automated Survey) , KELT (Kilodegree Extremely Little Telescope), et TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite). Ils montrent grâce aux données cinématiques (période, vitesse radiale) ainsi que par la température stellaire mesurée que le système binaire est en fait vu quasi par la tranche, avec une inclinaison du plan orbital de 87° par rapport à la normale à la ligne de visée. Le rapport entre les masses en jeu est aussi déterminé avec une très bonne précision :  q≃0,33±0,02.  L'étoile géante rouge a un rayon 25 fois plus grand que le rayon solaire et a une masse qui est la plus petite du couple, elle vaut 1,00 ±0,07 M, la masse de la compagne, qui s'avèrera être un compagnon noir, vaut donc 3,04 ± 0,06 M
Ce qui a définitivement mis Jayasinghe et ses collaborateurs sur la piste d'un trou noir c'est la forme de la distribution spectrale en énergie ainsi que la présence d'un fond continu qui ne peut pas être d'origine purement stellaire, puisque non éclipsé. Il y aurait donc là en permanence devant l'étoile géante de la matière en cours d'accrétion par un objet compact. Mais comme une étoile à neutrons ne peut pas avoir une masse supérieure à 2,5 masses solaires en théorie et que l'étoile à neutrons la plus massive connue fait 2,14 masses solaires (MSP J0740+6620), la solution la plus probable est de loin un trou noir, pour Jayasinghe  et ses collaborateurs.
C'est en tout cas le scénario le plus simple et qui collerait le mieux avec les observations. Mais avant d'arriver à cette conclusion, les chercheurs ont tout de même testé toutes les hypothèses possibles qui pourraient inclure deux petits objets pour former la masse de la compagne invisible. Toutes les combinaisons faisant intervenir au moins une petite étoile, une étoile naine blanche, une étoile à neutrons et un trou noir ont été testées. Outre le trou noir seul, deux solutions paraissent possibles mais avec une plus faible probabilité :  un couple étoile à neutrons+naine blanche (mais dans ce cas la naine blanche doit nécessairement avoir  une masse supérieure à 0,8 M, et un couple de deux étoiles à neutrons qui devraient alors avoir chacune une masse supérieure à 1,2 M⊙ et un ratio de masse entre elles supérieur à 0,67. Le trou noir de 3,04 masses solaires est privilégié par Jayasinghe  et ses collaborateurs.
La luminosité X du système qui peut être produite par le processus d'accrétion de matière autour du trou noir est évaluée par l'équipe grâce à des observations des télescopes spatiaux Swift et XMM-Newton, elle vaut 7,6×1029 ergs s−1, ce qui est très faible, correspondant à 1 milliardième de la luminosité de Eddington (qui est la luminosité maximale théorique d'un processus d'accrétion).  Mais les chercheurs notent que, étant donné la rotation rapide sur elle même de la géante, une bonne partie de la luminosité X pourrait en fait provenir de la chromosphère de l'étoile et non d'une accrétion. D'ailleurs, l'énergie des rayons X mesurée, assez faible, va plutôt dans ce sens (les rayons X provenant d'un disque d'accrétion ont généralement une énergie supérieure à 5 keV). Jayasinghe et son équipe appellent à effectuer un suivi plus fiable de l'émission X de V723 Mon pour clarifier la chose. Si il s'agit bien d'une accrétion de matière de la géante rouge par le trou noir, les astrophysiciens calculent la masse qui est transférée ainsi : 8 × 10−10 𝑀 par an seulement (ce qui fait environ 0,0003 masses terrestre) ! 
Nous aurions donc en présence dans ce couple une géante rouge de 1 masse solaire 25 fois plus grande que le Soleil et un trou noir de 3 masses solaires (9 km de rayon) qui pourrait lui accaparer un tout petit peu de matière, suffisamment peu pour être passé complètement inaperçu malgré sa distance relativement faible. 

Ce qui est très intéressant ici, outre ce nouveau record de proximité pour un trou noir stellaire, c'est la masse de cet engin. Le précédent plus proche trou noir était A0620-00 (V616 Mon) avec une distance de 1,6 kpc (3500 années-lumière) et une masse de 6,6 masses solaires. Ici, 3 masses solaires pour ce nouveau trou noir, c'est petit, et ça tombe dans la zone de masse que les spécialistes appellent le "mass gap" : l'intervalle de masse qui se trouve entre la masse maximale des étoiles à neutrons (2,5 masses solaires) et la masse que l'on pense minimale pour les trous noirs (environ 5 masses solaires). Il s'agirait donc d'un nouveau trou noir dans ce cas, après trois autres spécimens récemment trouvés : tout d'abord l'objet résiduel de la fusion de deux étoiles à neutrons lors du collapse gravitationnel GW170817 en août 2017 qui est fortement suspecté d'être un trou noir de 2,6 masses solaires, puis le trou noir dans le système binaire 2MASS J0521+4359, assez similaire à V723 Mon, détecté en 2019 avec ses 3,3 masses solaires, et enfin l'une des deux composantes trous noirs de la détection gravitationnelle GW190814, publiée en 2020 (2,59 masses solaires). 
Le "mass gap" est donc en train de se peupler petit à petit et va sans doute finir par perdre son nom spécifique. 
L'avenir nous dira si V723 Mon garderaa plus longtemps son statut de trou noir le plus proche ou bien sa place sur le podium des trous noirs poids plumes...


Source

A Unicorn in Monoceros: the 3𝑀 dark companion to the bright, nearby red giant V723 Mon is a non-interacting, mass-gap black hole candidate
Tharindu Jayasinghe et al.
à paraître dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society


Illustration 

Vue d'artiste d'un système binaire avec un trou noir et une étoile géante (IAC)

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