samedi 24 avril 2021

Observation d'un pont à flambée d'étoiles entre deux galaxies naines en voie de fusion


Un couple de galaxies naines relativement proches en voie de fusionner révèle une grosse formation d'étoiles induite par leur interaction, de quoi comprendre les processus à l'œuvre dans l'Univers jeune. une étude parue dans The Astrophysical Journal.  

C'est avec des observations en multi-longueurs d'ondes que Erin Kimbro (Montana State University) et ses collègues se sont penchés sur un très joli groupe de galaxies nommé Mrk709. Les images obtenues avec le télescope Hubble montrent un groupe serré de trois galaxies, mais une parmi les trois est une intruse qui se trouve fortuitement en arrière plan du couple de galaxies naines Mrk 709 South et Mrk 709 North. Ces deux galaxies naines qui sont situées à un redshift z de 0,052 (214 Mpc, soit environ 700 millions d'années-lumière) ont la particularité d'être pauvres en métaux, de former beaucoup d'étoiles et de posséder pour l'une d'entre elles un noyau actif (un AGN). Elles sont donc des très bons analogues "locaux" de galaxies précoces et permettent d'étudier aisément l'évolution des galaxies de l'Univers jeune et de leur trou noir supermassif.
Kimbro et ses collaborateurs ont utilisé l'imagerie dans le visible et l'UV avec Hubble, la puissance du télescope Keck pour faire de la spectroscopie et l'interférométrie radio à très longue base pour investiguer le coeur de l'un des deux galaxies (un super-réseau de radiotélescopes nommé le High Sensitivity Array (HSA), qui comprend le réseau Very Long Baseline Array (VLBA) agrémenté du radiotélescope de Green Bank (GBT) et du Very Large Array (VLA).
Les chercheurs déterminent ainsi que les deux galaxies naines commencent tout juste leur fusion, ils montrent que les deux galaxies en sont à leur premier passage rapproché (elles devront en faire deux ou trois avant d'avoir entièrement fusionné). 
Mais surtout, ce que montre l'image de Hubble, c'est un spectaculaire pont de très jeunes étoiles entre les deux galaxies, qui est long de 10 kpc (32000 années-lumière). Il y a là un nombre important d'amas d'étoiles dont la masse individuelle est estimée être supérieure à 100 000 masses solaires. Et ces étoiles sont toutes âgées de moins de 10 millions d'années. 
Une telle flambée de formation d'étoiles entre les deux galaxies naines en cours de rapprochement est expliquée par l'interaction gravitationnelle entre les deux galaxies qui a pour effet de fortement perturber les masses de gaz intra galactique et de produire des compressions et des fractionnements par les effets de marée entre les deux entités. On appelle ce phénomène un "pont de marée". Le taux de formation d'étoiles dans ce pont reliant les deux galaxies est évalué à 0,5 masse solaire par an (la moitié de ce que produit une grosse et vieille galaxie comme la nôtre).

L'équipe de Erin Kimbro trouve également que la galaxie méridionale Mrk 709 S subit un mode de formation d'étoiles qui ressemble fortement à celui qui est observé dans les galaxies à haut redshift, avec de multiples jeunes amas produits par grappes, ayant des masses stellaires comprises entre 10 et 100 millions de masses solaires, pour une moyenne de 40 millions de masses solaires!). 
Ils identifient 6 amas d'étoiles dans Mrk 709S, alors qu'il y en a 5 dans Mrk 709N et 15 dans le pont de marée entre les deux galaxies. Les amas d'étoiles du pont sont d'ailleurs moins massifs en comparaison, avec une moyenne plus proche de 500 000 masses solaires. Ces masses d'amas sont les masses typiques des amas globulaires que l'on connaît autour de notre galaxie. L'âge des amas des deux galaxies naines est d'ailleurs un peu différent de celui des amas du pont : alors que ceux visibles dans le pont sont plus proches de 8 millions d'années, les amas des deux galaxies sont âgés entre 10 et 15 millions d'années. La formation de multiples amas d'étoiles à l'intérieur des deux galaxies est également lié à leur rapprochement, grâce à l'arrivée de gaz " frais" d'une part et de l'autre. Il a été montré il y a plusieurs années que lors d'une fusion galactique, les flambées de formation d'étoiles étaient plus prononcées lors du premier passage rapproché et lors de leur dernier, clôturant la fusion. 

De plus, les astrophysiciens apportent des preuves supplémentaires de la présence d'un AGN de faible luminosité dans Mrk 709 S, c'est à dire d'un trou noir massif, grâce à la fois aux raies dans le visible du fer fortement ionisé (la raie FeX à 637,4 nm) et aux caractéristiques des émissions radio qu'ils observent dans la cette galaxie naine (un AGN qui avait été identifié pour la première fois en 2014 par Reines et al. à l'aide d'observations radio et X). Kimbro et ses collaborateurs montrent ici que l'émission radio observée en provenance du coeur de Mrk 709S ne pourrait être produit que pour 8% par des supernovas ou des résidus de supernovas. Il y a donc une autre source d'émission radio non thermique. Et comme les observations de 2014 semblaient indiquer un trou noir  de l'ordre de 100 000 masses solaires très peu actif, avec ces hypothèses, les chercheurs montrent que le signal radio observé est tout à fait compatible. Le trou noir massif n'accréterait que peu de matière.
Les chercheurs remarquent pour finir un élément intriguant : la position du trou noir est quasi coïncidente avec celle d'un gros amas stellaire de 40 millions de masses solaires âgé de 13 millions d'années. Il se peut que cette superposition spatiale soit juste un effet de projection, mais il se peut aussi que non et qu'il existe un lien entre les deux. Kimbro et ses collègues comparent avec un cas un peu similaire, une galaxie naine nommée Henize 2-10 qui comporte un trou noir massif qui n'a rien de visible juste à sa position, mais qui est entouré non loin de lui de plusieurs jeunes amas d'étoiles massifs de moins de 200 millions d'années. Les chercheurs font donc le rapprochement en se demandant s'il ne pourrait pas exister un processus spécifique de formation d'amas d'étoiles autour de trous noirs massifs préexistants. Leur remarque s'invite ainsi dans le débat sur la formation des graines de trous noirs supermassifs dont l'une des hypothèses fait intervenir des collisions multiples au sein d'amas d'étoiles compacts. 

Pour Kimbro et ses collaborateurs, le système Mrk 709 donne avant tout un aperçu unique des processus clés de la formation hiérarchique des galaxies et de la croissance des trous noirs dans l'Univers jeune. Les propriétés de ce système relativement proche de galaxies naines en voie de fusion illustrent bien la complexité et l'interaction de différents processus qui ont probablement lieu au cours des premières étapes de la formation des galaxies. 


Source

Clumpy Star Formation and AGN Activity in Dwarf-Dwarf Galaxy Merger Mrk 709
Erin Kimbro et al.
à paraître dans The Astrophysical Journal

Illustrations 

1) Le système Mrk 709 imagé avec Hubble (Kimbro et al.) 

2) Identification des amas d'étoiles dans les deux galaxies et dans le pont de marée (Kimbro et al.)

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