samedi 15 mai 2021

Identification d'atomes de plutonium de supernovas dans le fond océanique

[ASTROPHYSIQUE] Il n'aura suffi que de moins de 200 atomes de plutonium-244 extraits d'un échantillon prélevé dans un fond marin sédimentaire, associés à quelques centaines d'atomes de fer-60, deux éléments radioactifs à très longue période, pour mieux contraindre les processus de production des éléments les plus lourds dans les phénomènes astrophysiques. Ils confirment également que des débris de deux explosions de supernova ont atteint la Terre dans les 10 derniers millions d'années. Une étude parue dans Science cette semaine.

Les éléments les plus lourds de la table périodique de Mendeleiev, au-delà du fer, où on retrouve par exemple le zirconium, l'or, le plomb, l'uranium ou même le plutonium, sont produits lors de phénomènes astrophysiques violents comme des supernovas ou des collisions d'étoiles à neutrons. La formation de ces noyaux très riches en neutrons requiert des processus de capture neutronique que les spécialistes appellent le processus-s (s pour "slow") et le processus-r (r pour "rapid"). Dans ces processus, des noyaux de plus en plus riches en neutrons se forment très vite par captures successives de neutrons avant que le noyau radioactif n'ait eu le temps de se désintégrer par radioactivité béta (ou plus rarement alpha). Ces noyaux très instables vont ensuite subir une succession de décroissances béta au cours desquelles un neutron se désintègre en un proton, un électron et un antineutrino, jusqu'à arriver à des noyaux stables ou possédant une période radioactive très grande.

La grande différence entre le processus-s et le processus-r est la vitesse qui est requise. Le processus-r nécessite de l'ordre de 100 captures neutroniques par seconde et donc une quantité de neutrons à disposition qui doit être phénoménale. Le processus-s est plus lent et impose de partir de "graines" de noyaux déjà riches en protons et neutrons, des noyaux formés préalablement par le processus rapide. 

Le processus-r est typiquement rencontré dans des supernovas (explosions d'étoiles) et des kilonovas (collisions d'étoiles à neutrons) où les densités neutroniques peuvent atteindre rapidement 1024 neutrons/cm3. Mais on ne sait toujours pas très bien quelle est la proportion de ces éléments lourds qui est formée par des supernovas ou par des kilonovas. Ce que l'on sait assez bien en revanche c'est que le processus-r produit à lui seul la moitié des éléments plus lourds que le fer. On sait aussi depuis l'événement fondamental de fusion d'étoiles à neutrons/kilonova GW170817 détecté par LIGO et des centaines d'autres télescopes dans toutes les longueurs d'ondes, que le processus-r a bien lieu dans ces cataclysmes particuliers et que c'est plus seulement théorique.

En avril 2019, je vous relatais une étude parue dans Nature fondée sur l'analyse isotopique de météorites qui démontrait la source très probable de tous nos éléments lourds (notamment l'or et l'uranium) par une fusion d'étoiles à neutrons et impliquant le processus-r, qui aurait eu lieu 80 millions d'années avant la condensation de la nébuleuse protosolaire et qui aurait été très proche d'elle. 

Mais deux études ont aussi rapporté en 2016 des preuves de la présence sur Terre d'un isotope radioactif du fer qui ne fait pas partie des éléments produits par le processus-r mais qui est assurément produit par des supernovas. Or la demi-vie du fer-60 est beaucoup plus faible (2,6 millions d'années) que l'âge de la Terre (la demi-vie est la durée au bout de laquelle la moitié des noyaux a subi une décroissance radioactive, au bout de 10 demi-vies, le nombre de noyaux initial a été divisé par 1024). le fer-60 ne provient donc pas du nuage de gaz et de poussières qui était à l'origine du système solaire. Il a dû être produit par une supernova il y a moins de 10 millions d'années et est ensuite arrivé sur Terre. Les chercheurs à l'origine de ces études sont même allés plus loin en montrant qu'il ne s'agissait pas d'une seule supernova mais de deux, prouvant que les premiers atomes de fer-60 étaient âgés d'environ 8 millions d'année et les seconds entre 2 et 3 millions d'années. 

Anton Wallner (Helmholtz Zentrum Dresden / Australian National University) et ses collaborateurs internationaux ont réalisé que ces mêmes dépôts sédimentaires récupérés au fond du Pacifique pouvaient également contenir des atomes créés par le processus-r lors de l'explosion de ces supernovas.  Ils ont donc analysé un échantillon de croûte océanique de 2,5 centimètres d'épaisseur, constitué principalement de fer et de manganèse, par spectrométrie de masse à la recherche d'éléments produits par le processus de capture neutronique rapide. Ils se sont focalisés sur un isotope qui n'est absolument pas commun dans la nature, le plutonium-244. On dit même souvent que le plutonium est le seul élément existant (avec plusieurs kilogrammes) qui est entièrement fabriqué par l'Homme, mais il n'en n'est rien, puisqu'il est également produit naturellement par des processus astrophysiques cataclysmiques. Wallner et ses collaborateurs ont aussi mesuré la quantité de fer-60 afin de faire des comparaisons avec les études antérieures et surtout pour pouvoir comparer les teneurs en Fe-60 et en Pu-244 pour contraindre les processus qui leur donnent naissance. Comme le fer-60, le Pu-244 possède une demi-vie bien plus faible que l'âge de la Terre (80,6 millions d'années), donc il ne peut provenir que d'événements relativement récents. 

Wallner et ses collaborateurs ont trouvé dans leur échantillon 435 atomes de fer-60, et 181 atomes de plutonium-244. Grâce aux atomes de Fe-60, les chercheurs peuvent confirmer les conclusions des études de 2016 :  il y a bien eu 2 supernovas distinctes, espacées d'environ 4 millions d'années et ils donnent des dates beaucoup plus affinées que les précédentes études : la plus ancienne a eu lieu il y a 6,3 millions d'années et la plus récente il y a 2,5 millions d'années.

Quant aux 181 atomes de plutonium-244, ils sont répartis dans l'échantillon qui correspond à une plage temporelle de 10 millions d'années. On ne peut pas dater plus précisément leur date de production. Les chercheurs ont tout de même calculé les rapports plutonium/fer pour les deux pics du Fe-60 associés aux supernovas et les ont comparés aux prédictions d'une série de modèles de processus-r pour les supernovas. Le rapport Pu/Fe observé est le même pour les deux pics, mais il est bien inférieur à celui prédit par les modèles en considérant les supernovas comme les sources principales du processus-r. Vues les quantités de fer-60 observées, si les supernovas qui en sont responsables étaient aussi les sources principales de processus-r, on aurait dû voir beaucoup plus de plutonium-244, donc un ratio Pu-244/Fe-60 plus élevé que ce que mesurent Wallner et ses collaborateurs.

Cela amène ainsi les chercheurs à confirmer que les supernovas ne peuvent pas expliquer à elles seules l'abondance des éléments lourds produits par le processus-r qui est observée globalement dans la galaxie. Les étoiles à neutrons via leurs fusions, doivent nécessairement apporter leur contribution pour expliquer ce que nous voyons, selon eux.

Les chercheurs espèrent maintenant pouvoir encore mieux comprendre la part de l'un et l'autre cataclysme dans le production d'éléments lourds par le processus-r, en récupérant davantage de débris provenant de supernovas et de kilonovas distinctes dans le passé géologiquement récent de la Terre. Etant donné la présence de Pu-244, on devrait pouvoir trouver d'autres éléments produits par le processus r, et qui ont des périodes radioactives ni trop courtes, ni trop longues, notamment (et dans l'ordre croissant de masse) : Zr-93, Pd-107, I-129, Cs-135, Hf-182, U-236, Np-237 ou Cm-247. Et si ce n'est pas au fond des océans terrestres, ils pourraient aussi être recherchés dans le régolithe lunaire... 


Source

60Fe and 244Pu deposited on Earth constrain the r-process yields of recent nearby supernovae 
A. Wallner et al. 
Science  Vol. 372, Issue 6543 (14 May 2021) 


Illustration

La table des éléments, classifiés selon leur origine la plus probable

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