lundi 17 mai 2021

Détection de photons gamma de plus de 1 péta-électronvolt


[ASTROPARTICULES] Ils vivent certes sous la coupe d'un régime autoritaire qui généralise la surveillance de masse et qui a réussi à effacer des mémoires les événements de 1989, les chercheurs chinois arrivent tout de même à faire de la très belle science. Une nouvelle preuve en est cette détection des photons gamma les plus énergétiques jamais détectés par l'Homme. C'est en tout 12 nouveaux PeVatrons galactiques qui viennent d'être identifiés. Une étude parue dans Nature. 

La détection de rayons cosmiques d'énergie aussi élevée que 1 péta-électronvolt (1 PeV, soit 1015 électronvolts) indique l'existence de ce que l'on appelle les PeVatrons, des usines à rayons cosmiques qui accélèrent les particules à des énergies démesurées. Ces PeVatrons doivent être localisés précisément pour trouver l'origine de ces rayons cosmiques galactiques (GCR). Or la détection des rayons cosmiques (des particules chargées) ne permet pas de localiser leur origine, car ces particules sont défléchies par les champs magnétiques qu'elles rencontrent sur leur parcours jusqu'à la Terre. Mais heureusement, une partie de ces particules ultra-énergétiques interagissent très vite dans le voisinage de l'objet qui les a accélérées et ces interactions finissent souvent par produire des photons très énergétiques, des photons gamma. Et les photons gamma se propagent en ligne droite dans notre galaxie. 
La principale signature des PeVatrons accélérant des électrons ou des protons est ainsi le rayonnement γ dépassant 100 TeV. Des preuves de la présence d'un PeVatron accélérant des protons ont été trouvées par la collaboration H.E.S.S en 2016 dans le centre galactique, à partir de la détection d'un rayonnement gamma à spectre dur s'étendant jusqu'à 40 TeV.  Plus récemment en 2021, des rayons γ d'une énergie légèrement supérieure à 100 TeV (0,1 PeV) ont été détectés provenant de différents objets situés dans le plan galactique par les collaborations HAWC et Tibet ASγ. Le premier photon gamma d'une énergie supérieure à 0,1 PeV avait été détecté en 2019 par la collaboration sino-japonaise Tibet ASγ. 
Mais le record d'énergie n'aura pas tenu très longtemps. Aujourd'hui, c'est un photon de 1,4 PeV qui a été détecté par la collaboration sino-européenne LHASSO (Large High Altitude Air Shower Observatory). Ce sont en tout 530 photons à des énergies supérieures à 100 TeV, et donc jusqu'à 1,4 PeV, qui ont été identifiés en provenance de 12 sources astrophysiques distinctes, dont la très célèbre nébuleuse du Crabe qui abrite le résidu de la supernova de 1054 (une supernova déjà rapportée par écrit par des astronomes chinois de l'époque...). Ces photons gamma de ultra-haute énergie sont détectés avec une signifiance statistique supérieure à sept sigmas. Il n'y a donc aucun doute sur la réalité de cette détection. 

Zhen Cao (Institute of High Energy Physics, Chinese Academy of Sciences, Beijing) et ses 247 coauteurs (!!) décrivent leur traque aux photons gamma ultra-énergétiques avec le détecteur LHASSO. LHAASO est une installation qui a été conçue pour l'étude à la fois des rayons cosmiques (gerbes de particules atmosphériques produites par les rayons cosmiques primaires) et des rayons γ à des énergies de l'ordre du téraélectronvolt et du pétaélectronvolt. Il se compose de trois détecteurs interconnectés : le Water Cherenkov Detector Array (WCDA), le Kilometer Square Array (KM2A) et le Wide Field-of-view Cherenkov Telescope Array (WFCTA). Ces multiples détecteurs sont situés à 4 410 m d'altitude dans la province du Sichuan. 
La vaste surface des détecteurs de surface de la composante électromagnétique des gerbes de particules, associée à l'efficacité élevée de la séparation γ-proton, donne une sensibilité de l'ensemble du réseau, en termes de flux d'énergie minimale détectable, qui avoisine 10-14 erg cm-2 s-1, ce qui est bien inférieur aux sensibilités des autres grands détecteurs de rayons γ. 
A une énergie de 100 TeV, la résolution énergétique de LHASSO est meilleure que 20% et la résolution spatiale est d'environ 20 minutes d'arc (environ le diamètre de la Lune). Cette résolution spatiale ne permet pas encore d'identifier finement les sources de photons gamma ultra-énergétiques, à l'exception notable du pulsar du Crabe, qui est d'ailleurs utilisé comme référence. Les performances du grand détecteur chinois permettent tout de même des études spectroscopiques et morphologiques sur les sources identifiées. 


L'analyse des gerbes de particules détectées dans un large champ de vision par KM2A, partiellement achevée en moins d'un an de fonctionnement, a révélé de multiples "points chauds" sous forme d'amas de rayons γ provenant de directions spécifiques du ciel, dont 12 avec des énergies supérieures à 100 TeV. Et deux parmi elles produisent des photons de plus de 800 TeV, la recordman atteignant 1,42 ± 0,13 PeV. Cette source ultra-énergétique est nommée LHAASO J2032+4102 et ne tiendra certainement pas son record très longtemps... 
Et cette source ne semble pas être une inconnue... La position de LHAASO J2032+4102 coïncide en effet avec le cocon du Cygne qui entoure Cygnus OB2, une région de formation d'étoiles massives, là même où les chercheurs de la collaboration HAWK avaient détecté des photons gamma de 100 TeV au début 2021. Abeysekara et son équipe avaient alors montré que l'origine de ces photons gamma devait être hadronique et non leptonique. Et ici, les chercheurs chinois et leurs quelques collaborateurs européens montrent qu'une origine leptonique (l'effet Compton inverse) peut être exclue en raison de la morphologie de l'image γ vers Cygnus OB2. La source produisant des photons gamma de plus de 1 PeV peut donc être considérée, selon les chercheurs, comme une preuve du fonctionnement des étoiles massives en tant que PeVatrons hadroniques, une confirmation.
Bien que les résidus de supernova restent quand même des candidats de choix pour produire les GCR, les étoiles massives avec des vents stellaires puissants apparaissent donc comme une alternative viable aux résidus de supernova, principalement comme contributeurs à la région autour de 1 PeV (ce que les astroparticulistes appellent le "genou" dans le spectre des rayons cosmiques). C'est la collision de vents stellaires associée à l'injection continue dans le milieu circumstellaire sur des échelles de temps de plusieurs millions d'années qui seraient la cause de ces accélérations de protons hors-norme.

Quelle que soit la nature des objets associés aux sources de ultra-haute énergie, les photons détectés par LHAASO bien au-delà de 100 TeV prouvent définitivement l'existence des PeVatrons galactiques. De plus, selon les chercheurs, il est probable que la Voie lactée abrite de nombreux accélérateurs de particules de ce type. Mais l'accélération de protons à des énergies de l'ordre du péta-électronvolt nécessite des conditions physiques extrêmes, ce qui représente encore un petit défi pour des sources galactiques, que ce soient des résidus de supernova ou bien des jeunes amas d'étoiles massives.
Concernant les PeVatrons à électrons, les seules sources possibles semblent être des nébuleuses de vent de pulsar, mais les théoriciens doivent encore avancer pour expliquer pleinement le phénomène. 
Les chercheurs de la collaboration LHAASO pensent en tous cas que les 12 sources qu'ils ont dévoilées ne représentent que le sommet d'un iceberg qui reste à découvrir. 

Dans les années à venir, les observations avec LHAASO devraient réduire le seuil de détection du flux gamma d'au moins un facteur 10. Le nombre de sources de ultra-haute énergie augmentera considérablement, avec en même temps une meilleure qualité des spectres en énergie et de la morphologie des sources.  L'analyse des spectres pourra permettre non seulement d'identifier de manière robuste l'origine hadronique du rayonnement γ UHE mais, plus important encore, de révéler les sites des "super-PeVatrons", les usines de rayons cosmiques de la Voie lactée produisant les flux des particules accélérées à des énergies à jamais inatteignables par l'Homme avec ses machines.

Source

Ultrahigh-energy photons up to 1.4 petaelectronvolts from 12 γ-ray Galactic sources
Zhen Cao et al.
Nature (17 may 2021)


Illustrations

1) Image et spectre gamma de trois sources parmi les 12 sources identifiées (Cao et al.)

2) Les détecteurs de muons de LHASSO avant d'être recouverts de plusieurs mètres de terre (Académie des Sciences Chinoise)

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