jeudi 6 mai 2021

SN 2019yvr, la supernova incomprise


SN 2019yvr est une supernova de type Ib qui a explosé en décembre 2019. Mais chose rare, l'étoile qui se trouvait exactement au même endroit avait été observée 2 ans et demi avant. Le problème est que cette étoile, d'après ses caractéristiques, n'aurait jamais dû produire cette supernova... Une étude parue dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

Cette supernova théoriquement produite par une étoile dépourvue d'hydrogène, donc une étoile très bleue et très chaude, est apparue le 27 décembre 2019 dans le galaxie NGC 4666 qui se trouve à 14,4 Mpc (47 millions d'années-lumière). Elle a été découverte par le télescope Asteroid Terrestrial impact Last Alert System (ATLAS) et très vite Charles Kilpatrick (Northwestern University) et ses collaborateurs du Young Supernova Experiment l'ont observée avec le télescope Pan-STARRS à Hawaii. Cette équipe cherche à observer des supernovas le plus vite possible après le moment de leur explosion. Les astrophysiciens ont alors très vite trouvé dans des archives du télescope Hubble, qui avait observé cette zone du ciel en 2017, quelle est l'étoile qui a explosé. Les astrophysiciens ont la surprise de constater, au vu des ses données photométriques et spectrales, qu'elle ne correspond pas du tout à une étoile très chaude et dépourvue d'hydrogène. Il faut préciser que c'est seulement la deuxième fois que l'on parvient à retrouver l'étoile progénitrice d'une supernova de type Ib (la précédente était la  dénommée iPTF13bvn dans la galaxie NGC 5608).
Rappelons que les supernovas de type II, IIb, Ib et Ic sont toutes des explosions d'étoiles massives par  effondrement de coeur (des étoiles de masse supérieure à 8 masses solaires), leur différence vient de leur contenu en hydrogène et en hélium : les SN II sont produites par des étoiles riches en hydrogène, les IIb par des étoiles pauvres en hydrogène, les Ib (le cas qui nous intéresse ici) par des étoiles sans hydrogène, et les SN Ic par des étoiles sans hélium. Les supernova de type Ia sont très différentes puisqu'elles ne sont pas issues d'un effondrement de coeur d'étoile massive mais de l'explosion d'une étoile naine blanche qui vient à dépasser malencontreusement sa masse limite de 1,4 masse solaire.

Au lieu d'être bleue, l'étoile progénitrice de SN 2019yvr était jaune, en tout cas 2,6 ans avant l'explosion... Sa température n'était que de 6800 K, avec un rayon assez énorme de 320 fois le rayon solaire. Kilpatrick et ses collaborateurs ont testé tous les modèles stellaires qui peuvent expliquer une étoile comme celle-là et tous indiquent qu'elle devait comporter des quantités d'hydrogène significatives, au moins 0,047 masse solaire. Elle ressemble d'avantage à une supernova de type IIb (étoiles pauvres en hydrogène). Or la supernova SN 2019yvr est bien un specimen de type Ib, une supernova dépourvue d'hydrogène, donc on doit s'attendre à une étoile progénitrice elle aussi dépourvue d'hydrogène. Et quand une étoile géante est dépourvue de sa couche externe d'hydrogène, sa température doit être très élevée, de plusieurs dizaines de milliers de K, et donc très bleue. Par ailleurs, une telle étoile très chaude progénitrice d'une supernova de type Ib ne devrait pas dépasser une taille de 50 fois la taille du Soleil.
Pour Kilpatrick et ses collègues, l'incohérence est troublante, mais doit pouvoir s'expliquer d'une manière ou d'une autre. Ils proposent donc qu'il se soit passé quelque chose entre le moment de l'observation de l'étoile progénitrice par Hubble en mai 2017 et l'explosion en supernova fin 2019. La seule possibilité est que l'étoile ait expulsé de très grosses quantités d'hydrogène en très peu de temps, avant d'exploser. Reste à savoir comment un tel processus aurait pu avoir lieu aussi vite. Les chercheurs donnent deux scénarios potentiels. 
Premièrement, l'étoile pourrait avoir expulsé la quasi totalité de son hydrogène par de violentes éruptions successives qui auraient pu être causées par une instabilité dans le coeur de l'étoile ou bien par l'interférence avec une autre étoile. Cette phase qui peut exister chez les étoiles géantes est appelée LBV (Luminous Blue Variable). Les chercheurs fondent cette première hypothèse sur des observations effectuées quelques mois après l'apparition de la supernova qui ont montré des traces de collision de la matière éjectée par la supernova avec de grandes quantités d'hydrogène qui se trouve autour de là où se trouvait l'étoile : il pourrait s'agir de l'enveloppe d'hydrogène expulsée rapidement par l'étoile avant d'exploser. Mais les calculs montrent que cette coquille de gaz aurait été expulsée il y a au moins 44 ans, c'est donc un signe mais ça ne correspond pas à toute l'enveloppe et on ne s'attend généralement pas à voir ce type d'éruption dans un laps de temps aussi court que  deux ans et demi.
Le deuxième scénario proposé évoque là encore une seconde étoile en orbite de la géante mais qui aurait réussi à la dépouiller entièrement  de son enveloppe d'hydrogène. Dans ce mécanisme appelé de l'"enveloppe commune", la petite étoile compagne se retrouve à l'intérieur de l'étoile massive qui a démesurément gonflé après avoir consumé tout l'hydrogène de son coeur. En tournant autour du coeur de la géante à l'intérieur de l'enveloppe d'hydrogène, l'étoile compagne fait le ménage : elle disperse très rapidement l'enveloppe devenue très ténue de l'étoile géante.
Cette seconde hypothèse a l'intérêt d'être directement testable car il suffit de trouver l'étoile compagne qui resterait et qui aurait survécu au souffle de la supernova. Le problème est que les astrophysiciens vont devoir attendre que la luminosité du résidu de la supernova s'évanouisse complètement, ce qui pourrait prendre une dizaine d'années.
Dans les deux cas, les astrophysiciens ont estimé le taux de perte de masse de l'étoile massive à une valeur supérieure à 1,3 masses solaires par an durant les 2,6 ans qui ont précédé l'explosion, ce qui est considérable.

La fin de vie des étoiles massives recèle encore pas mal d'inconnues mais on arrive aujourd'hui non seulement à observer des supernovas quasi en direct, et surtout, à retrouver des données de plus en plus récentes sur les étoiles qui ont explosé, ce qui ouvre toujours plus de voies de compréhension du phénomène.


Source

A cool and inflated progenitor candidate for the Type Ib supernova 2019yvr at 2.6 years before explosion.
Charles Kilpatrick et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (May 5, 20201)


Illustration

Comparaison des images de la supernova SN 2019yvr et de la même zone 2,6 ans plus tôt révélant l'étoile progénitrice  (Kilpatrick et al.)

Aucun commentaire :