mardi 4 mai 2021

La Relativité Générale testée en champ fort grâce à la relation I-Love-Q des étoiles à neutrons


Des astrophysiciens viennent d'évaluer pour la première fois des paramètres fondamentaux d'une étoile à neutrons isolée : son moment d'inertie, son moment quadripolaire et son excentricité de surface, grâce à des mesures inédites du rayon et de la masse de l'étoile à neutrons. Ils leur permettent de tester la Relativité Générale en champ fort pour la première fois. Une étude parue dans Physical Review Letters

L'équation d'état de la matière nucléaire à l'intérieur des étoiles à neutrons qui sont les objets les plus denses que nous connaissons est encore mal connue. Dans sa forme la plus simple, l'équation d'état relie la densité et la pression. Tester la gravitation dans des situations de grande courbure d'espace-temps comme celles rencontrées autour de ces astres extrêmes en densité impose normalement de comprendre l'équation d'état qui régit les étoiles à neutrons. Rappelons que la densité dans le noyau d'une étoile à neutrons atteint 1015g/cm3 (1 milliard de tonnes dans un cm3 !) alors que les expériences nucléaires terrestres ne peuvent déterminer le comportement de la matière avec une bonne précision que jusqu'à environ 1011g/cm3...
Hector Silva (Max Planck Institute für Gravitation Physik) et son équipe ont eu l'idée de contourner cette limitation sur la connaissance de l'équation d'état en utilisant des relations universelles, qui relient diverses propriétés des étoiles à neutrons d'une manière indépendante de l'équation d'état.
La première étape a consisté pour les astrophysiciens à déterminer le moment d'inertie d'une étoile à neutron isolée. C'est avec le télescope NICER (Neutron Star Interior Composition Explorer) que le rayon et la masse du pulsar PSR J0030+0451 ont pu être mesurés. NICER permet de déduire la masse et le rayon d'une étoile à neutrons (et donc sa compacité qui est égale à la masse divisée par le rayon) à partir de l'observation des rayons X issus de points chauds à la surface de l'étoile à neutrons.
Silva et ses collaborateurs utilisent ces valeurs de compacité pour déterminer le moment d'inertie, le moment quadripolaire et l'excentricité de la surface de cette étoile à neutrons. A partir de là, ils ont ensuite utilisé ces valeurs pour prévoir quelle doit être la valeur du moment d'inertie d'une autre étoile à neutrons, l'étoile à neutrons la plus grosse du couple de pulsars J0737-3039 (le seul couple de pulsars connu). Cette quantité devrait par ailleurs être mesurée directement dans la prochaine décennie grâce à des observations radio, ce qui permettra de valider cette approche.
Enfin, connaissant le moment d'inertie (c'est à dire la distribution spatiale de la masse) de cette étoile à neutrons en couple avec une autre étoile à neutrons, les chercheurs vont ensuite chercher des données obtenues sur la déformabilité de marée des étoiles à neutrons en couple (ce qu'on appelle le nombre de Love) qui sont dérivées des signaux d'ondes gravitationnelles de l'événement GW170817 par LIGO/Virgo. L'association du moment d'inertie d'une étoile à neutrons en couple qui est déduit du moment d'inertie d'une étoile à neutrons isolée, et du nombre de Love de marée qui est, lui, déduit de l'événement gravitationnel GW170817, est très riche et possède l'intérêt d'avoir une relation qui ne dépend pas de l'équation d'état de la matière nucléaire de l'étoile à neutrons. On appelle cette relation la relation "I-Love-Q" (I : moment d'inertie, Q : moment quadripolaire). 
Elle permet ainsi aux chercheurs de fournir un nouveau test de la Relativité Générale en champ fort, le premier test du genre qui soit complètement indépendant de l'équation d'état de l'étoile à neutrons. Il s'agit d'une très belle première. Les astrophysiciens ont maintenant entre les mains un outil puissant pour contraindre le régime de champ fort de la gravitation. 

De nombreuses considérations théoriques en physique fondamentale, pour parvenir à une quantification de la gravitation ou à l'unification de toutes les interactions fondamentales, impliquent des modifications de la Relativité Générale. Certaines théories alternatives prédisent, par exemple, que les interactions gravitationnelles présenteraient, comme les interactions faibles, une asymétrie de parité. Alors que les chercheurs ont déjà testé la théorie d'Einstein avec une précision remarquable pour les champs gravitationnels faibles, sonder le régime à grande courbure de l'espace-temps était hors de portée, jusqu'aux récentes avancées des observations des ondes gravitationnelles, et notamment de l'événement GW170817 qui a vu fusionner deux étoiles à neutrons pour donner un petit trou noir (très probablement) et qui permet de nombreuses déductions sur des paramètres fondamentaux des étoiles à neutrons. L'analyse de Hector Silva et ses collaborateurs est une de ces avancée importantes qui fournit de nouvelles limites sur la violation de la symétrie de parité dans l'interaction gravitationnelle. Les limites précédentes sont améliorées de 7 ordres de grandeur ! (un facteur 10 millions...)

Voilà un nouvel exemple de la puissance que nous offre l'astrophysique à multimessagers, ici les rayons X associés aux ondes gravitationnelles. Nos instruments de plus en plus précis permettent désormais d'explorer des concepts de physique fondamentale qui étaient considérés encore comme purement théoriques il y a seulement quelques décennies. Et ce n'est pas fini, l'astrophysique à multimessagers a encore beaucoup de choses à nous dévoiler...

Source

Astrophysical and Theoretical Physics Implications from Multimessenger Neutron Star Observations
Hector Silva et al.
Phys. Rev. Lett. 126 (3 May 2021)


Illustration

Schéma du processus de calcul déployé par Hector Silva et son équipe (APS/Alan Stonebraker)

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