lundi 24 mai 2021

Matière noire (axions) : nouveaux résultats de deux haloscopes

A 8 jours d'intervalle ont été publiés les résultats de deux expériences de recherche des axions, l'expérience sud-coréenne CAPP et l'italienne QUAX-aℽ . Les deux sont fondées sur la même technique de détection mais n'ont pas scanné la même zone de masse de l'axion.  Des études publiées dans Physical Review Letters et Physical Review D sous les titres First Results from an Axion Haloscope at CAPP around 10.7 μeV et Search for invisible axion dark matter of mass ma=43 μeV with the QUAX-aγ experiment.

On ne présente plus l'axion, ce boson hypothétique tout à fait crédible dans le monde des particules pour expliquer la présence de grandes quantités de masse invisible autour des galaxies et des amas de galaxies. Cette particule très légère, inventée il y a plus de 40 ans pour résoudre une anomalie de l'interaction forte dans les neutrons possède de nombreux atouts, et notamment celui de pouvoir résoudre deux problèmes très différents de physique. La théorie décrivant les axions dans le cadre de la chromodynamique quantique (par Steven Weinberg en 1978 suite à l'idée initiale de Peccei et Quinn un an plus tôt)  ne prédit pas leur masse exacte mais la valeur de leur couplage avec le champ magnétique en fonction de leur masse, et la masse la plus probable se situe entre 1 µeV et 10 meV. Lorsqu'un axion se transforme en photon sous l'action d'un champ magnétique avec une certaine probabilité (ou parle de "couplage" axion-photon), sa masse devient l'énergie du photon. Et ces énergies très faibles de photons correspondent aux ondes radio, la fréquence étant égale à 𝜈 = mc²/h (où m est la masse de l'axion). La plage en fréquence privilégiée s'étend donc entre 0,25 GHz (1 µeV) et 2500 GHz (10 meV).

Alors que l'expérience QUAX-aℽ arrive aujourd'hui à atteindre le niveau du couplage théorique de l'axion en seulement 1h pour une masse donnée, l'expérience CAPP de son côté a exploré une zone encore vierge du diagramme masse-couplage et a utilisé une cavité pour la première fois refroidie à une température inférieure à 40 mK. Le moyen de détection sur lequel reposent ces deux expériences, ainsi que de nombreuses autres dans le monde actuellement (la plus connue d'entre elles étant ADMX) est ce qu'on appelle un haloscope de Sikivie (du nom du physicien qui a proposé l'idée en 1983). Comme les axions, selon la théorie, se transforment en photons lorsqu'il se trouvent en présence d'un fort champ magnétique, l'haloscope est composé d'un électroaimant puissant qui génère un champ magnétique de plusieurs teslas, qui est positionné au milieu d'une cavité résonante. Le signal attendu étant extrêmement faible, des cavités résonantes doivent être utilisées pour amplifier le signal (via un amplificateur de Josephson paramétrique). Mais surtout, ces expériences doivent utiliser des aimants supraconducteurs ainsi que des systèmes de détection refroidis à très basse température pour être pleinement efficaces. Les premiers haloscopes de ce type ont été développés dès 1987.

L'expérience italienne QUAX-aℽ qui est installée au Laboratori Nazionali di Legnaro (LNL), utilise une cavité en cuivre et un aimant supraconducteur qui atteint 8,1 T à une température de 150 mK. Dans leur étude qui marque les premières résultats de leur expérience, Alesini et ses collaborateurs se sont focalisés sur une fréquence de 10,40176 GHz qui correspond à une masse de 43,0182 μeV. Ils montrent qu'en seulement une heure de prise de données, ils atteignent la sensibilité requise correspondant au début de la zone théorique où devrait se trouver un axion de cette masse. En d'autres termes, si par bonheur, la masse de l'axion avait été 43,0182 μeV, les chercheurs italiens l'auraient vu, en seulement 1h de prise de données... Ca n'a pas été le cas évidemment, et on peut donc exclure cette masse dans la zone explorée. Ce résultat et la sensibilité atteinte sont très encourageants.

Les physiciens sud-coréen de l'expérience concurrente CAPP (Center for Axion and Precision Physics) eux aussi ont réussi à mordre dans la zone théorique où aurait pu se trouver l'axion, mais cette fois pour une masse comprise entre 10,7126 et 10,7186 µeV. Leur haloscope est très similaire à celui des italiens, avec un aimant supraconducteur qui produit un champ magnétique entre 7,2 et 7,9 T.  Leur nouvelle cavité a été dimensionnée pour scanner des fréquences comprises entre 2,457 to 2,749 GHz, une zone qui n'avait encore jamais été explorée par d'autres expériences. Elle vient surtout combler un trou qui avait été laissé vacant par l'expérience américaine RBF (Rochester-Brookhaven-Fermilab) entre 10,17 µeV et 11,32 µeV. Ohjoon Kwon (Institute for Basic Science, Daejon) et ses collaborateurs excluent donc une zone qui restait à exclure mais sans toutefois atteindre la zone théorique sur toute la plage scannée. Mais si l'axion avait eu une masse entre 10,7126 et 10,7186 µeV, ils l'auraient vu. Et c'est grâce à la très bonne performance de leur cryostat à dilution, qui leur a permis de descendre à une température de seulement 38 mK, digne des meilleurs détecteurs cryogéniques de matière noire sous forme de WIMPs... 

Que ce soit pour détecter des reculs de noyaux atomiques ou d'électrons pour la détection des WIMPs ou bien pour la détection des ondes radio issues des axions dans un champ magnétique, on a toujours besoin de très très basses températures. Pour arriver à refroidir un détecteur à seulement quelques dizaines de millikelvins, les physiciens utilisent ce qu'on appelle un cryostat à dilution. Un tel système exploite un mélange He-4/He-3 liquide, dans lequel les phases superfluides entre les deux isotopes de l'hélium, normalement liquide à 4 K, produisent par dilutions successives un abaissement de température qui peut s'approcher à quelques millièmes de degrés au dessus du zéro absolu. Comme le montre Kwon et ses collaborateurs qui obtiennent la plus basse température jamais mesurée dans un haloscope de Sikivie, ce paramètre est fondamental pour réduire au maximum les bruits par rapport au signal. Les chercheurs sud-coréens précisent néanmoins l'existence d'un effet gênant dans leur expérience qui est un manque de données aux alentours de 2,48 GHz. Ce trou malheureux est dû d'après eux à des interférences bluetooth qui ont eu lieu durant l'expérience et qui les a empêché de mesurer le signal radio provenant de la cavité. Ca serait ballot si l'axion avait une masse de 10,25 µeV (l'énergie correspondant à cette fréquence)...

Les expériences qui développent des haloscopes pour la détection des axions sont aujourd'hui les expériences les plus sensibles, et commencent à pouvoir mordre dans les prédictions théoriques pour certaines valeurs de fréquences (masses). De nombreuses expériences fondées sur le même principe sont actuellement en cours de fonctionnement, citons ADMX, Haystac, UF, RBF,  ou encore ORGAN, chacune s'intéressant à une plage de masse différente. Mais le scan de toute la plage où peut se cacher l'axion devrait encore être très long. Les masses supérieures à 100 µeV sont par exemple quasi inexplorées aujourd'hui. C'est un travail de longue haleine mais qui peut déboucher facilement sur une découverte du jour au lendemain, il suffit juste d'"écouter" la bonne fréquence radio et le premier qui tombe dessus aura la gloire...

Sources

Search for invisible axion dark matter of mass ma=43μeV with the QUAX–aγ experiment
D. Alesini et al.
Phys. Rev. D 103 (20 May 2021)

First Results from an Axion Haloscope at CAPP around 10.7 μeV
Ohjoon Kwon et al.
Phys. Rev. Lett. 126 (12 May 2021)


Illustrations

1) Zones d'exclusions déterminées dans le diagramme masse-couplage par différentes expériences de recherche d'axions (Alesini et al.)

2) Zone d'exclusion déterminée dans le diagramme masse-couplage par l'expérience CAPP  (Kwon et al.)

3) Le cryostat à dilution de QUAX–aγ (la cavité résonante se trouve en partie basse) (Alesini et al.)

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