Saturne est entourée en permanence de six ceintures de radiations distinctes, séparées par les orbites de ses lunes intérieures et de ses anneaux denses. Une nouvelle analyse des données de l'instrument LEMMS de la sonde Cassini permet aujourd'hui de comprendre l'origine des protons énergétiques formant ces ceintures de rayonnements. L'étude intitulée Spectra of Saturn’s proton belts revealed est publiée dans le journal de planétologie Icarus.
On savait qu'il existait 6 ceintures de radiation autour de Saturne, séparées strictement par les anneaux C-A, l'anneau F, Janus, Mimas, Encelade et Téthys, qui absorbent les protons qui, autrement, seraient transportés radialement. Mais jusqu'à aujourd'hui, les spectres en énergie de ces protons étaient très mal connus. Les données de la sonde Cassini étaient polluées à basse énergie par des protons de plus haute énergie, ce qui empêchait d'obtenir des bonnes résolutions spectrales en énergie. Mais Peter Kollmann (Johns Hopkins Univesity) et ses collaborateurs aux Etats-Unis, en Allemagne et en France ont voulu extraire toutes les informations possibles des données archivées produites par la sonde Cassini. Ils ont donc réétudié finement les fonctions de réponse du détecteur LEMMS (Low Energy Magnetospheric Measurements System) qui faisait partie de l'imageur magnétosphérique MIMI, en modélisant les mesures de l'instrument et en même temps la physique des ceintures de protons de Saturne afin de déterminer les spectres de protons avec une plus grande certitude.
Les chercheurs parviennent alors à déterminer des spectres assez propres pour les 3 ceintures qui vont jusqu'à 4 rayons saturniens, et pour une énergie au delà de 20 MeV. Ils trouvent des intensités significatives de protons jusqu'au GeV. Alors que les études antérieures rapportaient des spectres de protons suivant approximativement une loi de puissance avec un exposant -2 (l'intensité semblait varier comme l'énergie au carré), la nouvelle analyse de Kollmann et ses collaborateurs montrent des spectres plus durs avec un exposant -1: l'intensité évolue simplement comme l'inverse de l'énergie. Le spectre est dit plus "dur" car la composante à haute énergie est plus importante en relatif.
Les astrophysiciens peuvent ensuite, à partir de la forme du spectre de protons, déterminer quelle est l'origine de ces protons. Et ils ont eu une surprise. Les données indiquent que les protons des ceintures de radiation de Saturne proviennent exclusivement d'un seul processus : le processus CRAND.
L'absence de couplage des ceintures de radiation entre elles ou avec le reste de la magnétosphère excluait déjà qu'elles soient peuplées par le transport de particules magnétosphériques vers l'intérieur. D'autre part, les mesures de protons dans la gamme d'énergie de quelques dizaines de keV montrent une intensité quasi nulle. Cette quasi-absence suggère que les ceintures de protons ne peuvent pas provenir d'un plasma de basse énergie localement accéléré. Ces résultats montrent clairement que c'est une source locale qui doit être responsable de la formation et du maintien des ceintures, selon Kollmann et ses collaborateurs.
CRAND signifie Cosmic Ray Albedo Neutron Decay (désintégration des neutrons d'albédo de rayons cosmiques), un processus physique qui a été proposé pour la première fois par le physicien américain Singer en 1958 concernant les ceintures de radiations de la Terre, puis appliqué en 2018 au cas de Saturne par l'astrophysicien de la NASA John Cooper. Au cours de ce processus, les rayons cosmiques galactiques (GCR), qui sont principalement des protons à des énergies de l'ordre du GeV, suffisamment énergétiques pour ne pas être déviés par le champ magnétique planétaire, impactent l'atmosphère ou les anneaux de Saturne. Dans le cas de Saturne, les protons des GCR frappent l'hydrogène qui est le principal constituant de l'atmosphère et des anneaux de la géante, et les réactions nucléaires qui s'ensuivent créent une multitude de particules secondaires, et notamment des neutrons.
Les spectres de protons issus du processus CRAND diffèrent selon que les neutrons sont produits dans l'atmosphère ou dans les anneaux, et selon la taille des grains dans les anneaux. Les spectres sont par exemple plus durs (peuplés à haute énergie) ou plus doux (peuplés à basse énergie) si on suppose que les anneaux ne sont constitués respectivement que de grains de 1 cm ou de 1 m.
Les modèles d'anneau utilisés ici représentent les anneaux comme des collections optiquement minces de grains sphériques d'une certaine taille, utilisés dans de nombreuses études antérieures depuis 1983. C'est donc la taille des grains qui forme les spectres obtenus, et non la densité des anneaux.
Les neutrons s'échappent du site de production (anneaux ou atmosphère) grâce à leur faible interaction avec le matériau cible et avec les champs magnétiques (le neutron est neutre comme son nom l'indique). Mais ces neutrons libres ont une certaine durée de vie qui vaut environ 887 s. Ils se désintègrent en un proton, un électron et un antineutrino électronique (l'équivalent de la désintégration béta dans un noyau atomique radioactif). Ce sont ces protons issus des désintégrations des neutrons qui se retrouvent alors piégés dans les ceintures de radiation autour de Saturne.
En plus de confirmer cette origine, les spectres de protons qui sont observés sont cohérents avec le fait que ces protons sont ensuite "refroidis" dans le gaz ténu provenant de Saturne ou d'Encelade, d'après les chercheurs. Ils constatent aussi que les intensités des flux de protons autour de Saturne sont plus faibles qu'autour de Jupiter et de la Terre, ce qui confirme que la source des ceintures de Saturne est exclusivement le processus CRAND, tandis que les autres planètes peuvent puiser dans d'autres processus (vent solaire pour la Terre et piégeage des particules émanant des lunes pour Jupiter).
Les nouveaux spectres de protons déterminés pourront être utilisés à l'avenir pour approfondir notre compréhension des ceintures de radiation de Saturne et des processus physiques qui se produisent sur les autres planètes magnétisées en général. En outre, cette connaissance aura aussi des applications pour plusieurs sujets, tels que l'altération des lunes et des anneaux de Saturne, et ils peuvent être utiles pour contraindre les propriétés des anneaux (nature, taille des grains) par leur production de particules secondaires.
Source
Spectra of Saturn’s proton belts revealed
Peter Kollmann et al.
Icarus (24 december 2021)
Illustration
Simulation des trajectoires de protons énergétiques d'une ceinture de radiation de Saturne (Kollmann et al.)
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