mercredi 5 janvier 2022

Premières analyses des échantillons de l'astéroïde Ryugu rapportés par Hayabusa 2


Les échantillons de l’astéroïde Ryugu, obtenus par voie robotique par la sonde Hayabusa2 ont été ramenés sur Terre le 6 décembre 2020 par une capsule lancée sur Terre par la sonde. Aujourd’hui, les résultats des premières analyses non destructives de ces quelques précieux grammes de matière sont publiés dans deux articles parus dans Nature Astronomy par une collaboration franco-japonaise qui implique des chercheurs de l’Institut d’Astrophysique Spatiale à Orsay.

Ce sont très exactement 5,424 g de matière que les chercheurs ont trouvé en ouvrant la capsule récupérée en Australie en provenance de l’espace. Cela peut paraître peu, mais c’est largement suffisant pour découvrir la nature de cet astéroïde géocroiseur nommé Ryugu. Ces petits grains sont conservés au Centre de conservation des échantillons extraterrestres de l'Agence japonaise d'exploration aérospatiale (JAXA) à Sagamihara, au Japon, où ils ont été soumis à une première série d'analyses purement non destructives.

Les premières analyses montrent que l'astéroïde Ryugu pourrait être une chondrite CI avec quelques différences intéressantes. Toru Yada (JAXA) et ses collaborateurs montrent des images des échantillons de particules sombres, noires et fragmentées et observent qu'elles sont globalement très similaires les unes aux autres dans leur nature. Ils ont fait des mesures de la distribution granulométrique, de la densité, de la porosité, des propriétés spectrales et des propriétés texturales, ainsi que les résultats d'une recherche d'inclusions riches en Ca-Al. Les chercheurs confirment que les propriétés physiques et chimiques n'ont pas été altérées lors du retour des échantillons. La moyenne de la densité apparente estimée des particules de l'échantillon est de 1 282 ± 231 kg m-3, ce qui est inférieur à celle des météorites, suggérant une microporosité élevée jusqu'à l'échelle millimétrique. La réflectance optique à proche infrarouge extrêmement sombre et le profil spectral avec de faibles absorptions à 2,7 et 3,4 μm impliquent une composition carbonée avec une altération aqueuse.

Les particules sont de tailles différentes, allant de la poussière micrométrique à environ 8 mm de diamètre, et ont des surfaces qui sont classées comme " rugueuses " ou " lisses ". Les auteurs effectuent une première caractérisation en utilisant une analyse de la fréquence de la taille des particules, qui consiste à compter le nombre de particules par rapport à leur taille. Cette information peut contraindre les processus physiques qui ont causé la fragmentation de la roche en particules. Les chercheurs japonais et français ont trouvé une plus grande abondance de particules plus petites dans l'échantillon que ce que l'on pourrait attendre de l'extrapolation des comptages de particules de la surface de Ryugu qui ont été observés à distance, mais ils suggèrent qu'il existe de nombreuses façons dont le prélèvement d’échantillons aurait pu écraser les roches fragiles. Les planétologues montrent que les échantillons semblent être très poreux. Yada et al. estiment que la microporosité des échantillons de Ryugu est de 46%, une valeur qui se situe à l'extrémité supérieure de la gamme des chondrites carbonées de type CI (30-50%). Une microporosité de 46% est également cohérente avec les valeurs déterminées à distance par imagerie thermique. Cette correspondance possible de la microporosité entre Ryugu et les chondrites CI est un indice que Ryugu pourrait être entièrement composé de matériaux de type CI. Les chondrites de type CI sont plus proches de la composition du Soleil que toute autre météorite, elles sont donc considérées comme faisant partie des objets les plus primitifs disponibles dans notre système solaire.

Avant l'arrivée des échantillons, les études à distance de Hayabusa2, avaient déjà montré qu'il existait une correspondance possible entre Ryugu et les chondrites carbonées de type CI. Cette correspondance était suggérée par la similitude de la position et de la forme de la raie de longueur d'onde de 2,7 µm dans les spectres de Ryugu et des météorites CI (bande OH). Mais le très faible albédo de l’astéroïde (sa couleur très sombre) peut aussi mener vers d’autres interprétations sur la nature de la roche comme des chondrites de type CM carbonées métamorphosées par choc. Yada et ses collaborateurs penchent plus vers l’hypothèse de la chondrite de type CI mais soulignent tout de même que les grains sont plus sombres, plus poreux et plus fragiles que ce qu’on attend généralement pour une chondrite de type CI.

L'analyse de Cédric Pilorget (Institut d’Astrophysique Spatiale, Université Paris Saclay/CNRS) et ses collaborateurs va dans le même sens, vers une chondrite de type CI, mais ils apportent des données nouvelles grâce à une étude par microscopie spectrale. Les chercheurs français et japonais ont utilisé le microscope hyperspectral MicrOmega qui a été développé à l'Institut d'Astrophysique Spatiale d’Orsay, et qui opère dans le domaine du proche infrarouge (0,99-3,65 µm), pour réaliser une caractérisation minéralogique et moléculaire jusqu'à l'échelle de quelques dizaines de micromètres. Ils constatent que les échantillons de Ryugu sont remarquablement homogènes dans leur composition. En moyenne, les observations en laboratoire à l'échelle du millimètre concordent bien avec les observations à distance effectuées en orbite à l'échelle du mètre. Les échantillons semblent être réellement représentatifs de la surface de Ryugu, même s'ils ont été obtenus en deux endroits différents, et même si les événements d'échantillonnage ont pu capturer des matériaux provenant de différentes profondeurs de la subsurface.

En plus d’un contenu riche en OH signé par une forte raie caractéristique à 2,7 µm la présence de matières organiques (bande à 3,4 µm), les chercheurs français et japonais ont aussi trouvé des grains de carbonates (dont une fraction est enrichie en fer), ce qui est particulièrement intéressant car les carbonates se forment en présence d'eau, et généralement en grande quantité. La présence de carbonates indique qu'au début du système solaire, les astéroïdes carbonés comme Ryugu ont donc dû subir une altération hydrothermale « en système ouvert ». Cela signifie que les modèles de formation des astéroïdes doivent intégrer la présence d'eau liquide en contact avec des solides pendant une longue période. Et comme l'eau liquide nécessite des conditions très spécifiques de température et de pression, il s'agit ici d'une contrainte forte sur la formation de ces petits corps.

Les planétologues trouvent également des composés aliphatiques riches en CH, des composés organiques intéressants puisqu’ils suggèrent la présence de grandes chaînes de CH2 et CH3. D'autres grains indiquent la présence de composés riches en NH et Al-OH. Or les molécules OH, CH et NH sont des composés volatils qui s’évaporent très facilement lorsqu’ils sont exposés à une source de chaleur. Leur présence indique donc que Ryugu aurait conservé une partie du matériau le plus ancien accrété à l'origine de la nébuleuse solaire (le disque protoplanétaire). Cela confirmerait que Ryugu a préservé à la fois des matériaux vierges (les volatils) et des phases altérées (les carbonates). Si Ryugu a le même âge que les météorites carbonées, l'astéroïde pourrait avoir conservé sa composition pendant plus de 4,5 milliards d'années, ce qui permettrait d'étudier des produits très anciens de notre système solaire, selon les chercheurs.

Les études publiées aujourd’hui seront bientôt suivies d'analyses plus intensives (et parfois destructives). Des expériences pour déterminer la composition minéralogique détaillée, l'âge et le contexte géologique des composants de l'échantillon sont actuellement en cours. L’évaluation complète des matériaux de surface de Ryugu et de ce qu'ils nous disent sur la formation du système solaire sera ainsi bientôt disponible.

 

Sources

Preliminary analysis of the Hayabusa2 samples returned from C-type asteroid Ryugu

Toru Yada et al.

Nature Astronomy (20 december 2021)

https://doi.org/10.1038/s41550-021-01550-6

 

First compositional analysis of Ryugu samples by the MicrOmega hyperspectral microscope

Cédric Pilorget et al.

Nature Astronomy (20 december 2021)

https://doi.org/10.1038/s41550-021-01549-z

 

 

Illustrations


1. Contenu de la capsule récupérée via la sonde Hayabusa2 (JAXA)

2. Exemple de détection de  carbonate (Pilorget et al.)

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