Deux planétologues états-uniens, Alyssa Rose Rhoden et Matthew Walker, montrent dans une étude parue dans Icarus, que l’échauffement de la croûte de Mimas, petit satellite glacé de Saturne, doit maintenir une coquille de glace épaisse de presque 30 km, mais qu’en dessous se trouverait un océan liquide…
Mimas est la lune régulière la plus interne de Saturne. Elle est petite (r = 198 km) et fortement cratérisée, ce qui suggère que Mimas ne dispose pas d'un chauffage interne suffisant pour entraîner une activité géologique. Lorsqu'on la compare à sa voisine, Encelade, les différences d'activité sont frappantes et inattendues : étant la plus proche et la plus excentrique des deux lunes, Mimas devrait connaître des marées beaucoup plus puissantes qu'Encelade. Une solution à ce paradoxe apparent est que Mimas est restée gelée, ce qui la rend peu déformable, tandis qu'Encelade s'est réchauffée, a fondu et contient maintenant un océan qui est fortement affecté par les marées. Mais les mesures de Cassini de la libration de Mimas publiées en 2014 par Tajeddine et al. indiquaient que la lune 20% plus petite qu’Encelade et aussi moins dense, possède soit un noyau non hydrostatique, soit un océan de subsurface.
En 2017, Noyelles et al. avaient montré que la phase de la libration était plus cohérente avec un océan. Et en combinant la libration et le taux de migration orbitale, Caudal et al. concluaient également en 2017 à la présence à la fois d'un noyau non-hydrostatique et un océan. Le fait que Mimas ait conservé une excentricité élevée impose également des limites à l'étendue et/ou au moment de son réchauffement. L'état actuel de Mimas semble donc remettre en question les modèles traditionnels de sa formation, de son évolution et de son âge.
Alyssa Rose Rhoden (Southwest Research Institute, Boulder) et Matthew Walker (Planetary Science Institute, Tucson) apportent aujourd’hui une nouvelle pierre à l’édifice en montrant que l’hypothèse de l’océan liquide se confirme. Pour départager les deux possibilités, Rhoden et Walker ont utilisé un modèle de rhéologie de glace réaliste (un profil qui dépend de la profondeur), des températures de surface mesurées par la sonde Cassini et un faible flux de chaleur basal (prévu par les modèles de structures internes). Ils trouvent que le chauffage par friction dû aux effets de marée dans la coquille de Mimas maintiendrait une coquille de glace d’épaisseur comprise entre 24 et 29 km, une coquille qui surplomberait un océan liquide, ce qui reste cohérent avec la gamme déterminée par la libration de Mimas.
Selon les chercheurs, ici les paramètres les plus défendables fournissent les résultats les plus cohérents, ce qui n'est généralement pas le cas dans les modélisations. Pour une température de surface plus élevée ou une rhéologie de Maxwell, par exemple, les coquilles de glace seraient trop fines pour correspondre aux contraintes de la libration. Bien que les résultats soutiennent l'existence d'un océan actuel au sein de Mimas, il est encore difficile de concilier les caractéristiques orbitales et géologiques de Mimas avec son évolution thermique, telle qu’elle est comprise actuellement. Un océan à l'intérieur de Mimas paraît en effet surprenant, étant donné le manque d'activité géologique comparable à celle observée sur d'autres lunes océaniques comme Europe et Encelade, où des fissures et fractures sont présentes et où des émanations d’eau sont visibles. Or les contraintes de marée induites par l'excentricité orbitale actuelle de Mimas (près de 0,02) doivent être comparables, voire supérieures, à celles d'Europe et d'Encelade. Mais, un océan ne peut pas être exclu sur cette seule base, car les magnitudes des contraintes de marée sur ces petits corps sont généralement inférieures à la résistance à la rupture par traction de la glace dans les expériences de laboratoire, parfois d'un ordre de grandeur.
Pour Europe et Encelade, il a été suggéré il y a quelques années que la solidification de l'océan de subsurface induit de grandes contraintes globales dans la coquille de glace sus-jacente, qui agissent de concert avec les contraintes de marée pour atteindre la rupture par traction. Et comme ces contraintes n'ont pas d'orientation préférée, l'ajout de contraintes de marée périodiques et variables dans l'espace peut déterminer où et quand la rupture se produit finalement. Par conséquent, les fractures peuvent porter la signature des contraintes de marée, mais la rupture de la glace peut n'être possible que pendant les phases de congélation de l'océan et d'épaississement de la croûte de glace. Pour Rhoden et Walker, l'absence de fractures visibles chez un Mimas océanique peut alors s'expliquer par le fait que son océan n'aurait pas gelé au cours de l'âge de la surface, et que les contraintes de marée seules seraient simplement trop faibles pour briser la coquille de glace, et ne feraient que l’échauffer. Mais les chercheurs remarquent quand-même que la voie évolutive par laquelle un tel océan se formerait dans Mimas est actuellement inconnue...
Rhoden et Walker précisent par ailleurs que l'hypothèse d'un océan dans Mimas pourra être testée plus avant en modélisant la relaxation de son gros cratère, étant donné les flux de chaleur nécessaires pour obtenir une coquille de glace de 24 à 29 km d’épaisseur, et en mesurant directement le flux de chaleur de surface, qui devrait être compris entre 23 et 28 mW/m² si un océan est présent.
Mimas pourrait représenter une nouvelle classe de petits mondes océaniques très discrets, dont les surfaces ne trahissent pas l'existence d’un océan sous-jacent… Le fait que Mimas soit une lune océanique fournirait une nouvelle référence pour les modèles de formation et d’évolution avec notamment des implications sur l'âge et la provenance des anneaux de Saturne et des lunes de taille moyenne. Cela aurait également une implication importante sur la prévalence des lunes océaniques, notamment pourquoi pas autour d’Uranus, après Jupiter et Saturne.
Source
The case for an ocean-bearing Mimas from tidal heating analysis
Alyssa RoseRhoden, Matthew E.Walker
Icarus Volume 376 (April 2022)
Illustration
Mimas imagé en 2005 par la sonde Cassini (NASA/JPL/Space Science Institute)
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