Une équipe internationale d'astrophysiciens dont de nombreux français vient de publier la découverte d'un courant d'étoiles qui est un vestige de l'amas globulaire le plus pauvre en métaux jamais observé dans notre Galaxie, l'étude est publiée dans Nature.
Les éjectas stellaires enrichissent progressivement le gaz à partir duquel se forment les étoiles de la génération suivante. Les systèmes stellaires qui sont les moins enrichis chimiquement en éléments plus lourds que l'hélium (ce que les astronomes appellent des "métaux") sont ainsi des fossiles directs des structures qui se sont formées à la fin de l'âge sombre de l'univers. Bien que l'on connaisse dans notre galaxie quelques centaines d'étoiles dont la teneur en métal est inférieure à un millième de la teneur solaire en fer, étonnamment, aucune d'entre elles ne se trouve dans un amas globulaire, qui comptent pourtant parmi les plus anciennes structures stellaires connues. Ces amas semblent montrer un plancher de métallicité d'environ 0,2% de la métallicité solaire ([Fe/H] ≳-2,7), un plancher qui semble universel. Pour expliquer cette observation, il a été proposé que les protogalaxies qui ont fusionné pour former les galaxies d'aujourd'hui n'étaient pas assez massives pour former des amas globulaires qui auraient survécu jusqu'à aujourd'hui.
La découverte de Nicolas Martin (Observatoire de Strasbourg/CNRS) et ses collaborateurs européens et canadiens bouscule cette vision. Car, grâce aux données astrométriques de Gaia et son catalogue Early Data Release 3 et en appliquant un algorithme élaboré nommé STREAMFINDER, ils trouvent un structure stellaire de faible densité qui s'étend sur environ 15° dans le ciel, dans le halo de notre galaxie. Et ils observent que ce courant d'étoiles nommé C-19 est vraiment très pauvres en métaux. et qu'il doit provenir de la désagrégation d'un amas globulaire. Les étoiles de ce courant ont une métallicité moyenne [Fe/H]=-3.38±0.06 (abondance du fer par rapport à l'hydrogène relativement au Soleil, en valeur logarithmique), ce qui fait une valeur inférieure à 0,005% de la métallicité solaire.
C-19 serait le vestige de l'amas globulaire le plus pauvre en métaux jamais découvert. Il se situe donc nettement en dessous du plancher de métallicité qui était supposé jusqu'alors ([Fe/H]=-2.7). Martin et ses collaborateurs indiquent que le diagramme couleur-magnitude de C-19 montre une branche de géantes rouges peu peuplée mais bien définie ainsi que quelques étoiles de la séquence principale et une très nette branche horizontale très bleue. Ces caractéristiques sont typiques des amas globulaires vieux et pauvres en métaux. En corrigeant les étoiles qui sont plus faibles que la limite de magnitude de l'échantillon, les astronomes estiment que la luminosité totale et la masse stellaire de l'amas globulaire progéniteur de C-19 sont d'au moins 3900 L⊙ et 8000 M⊙ respectivement, à la distance héliocentrique de 18 kpc. Martin et ses collègues sont prudents, ils précisent qu'il ne peut s'agir que de limites inférieures, car selon eux, le courant de C-19 peut s'étendre sur une plus grande région du ciel mais avec des densités plus faibles qui empêchent sa détection à ce stade. La masse estimée est par ailleurs assez typique de celles des amas globulaires rencontrés dans le halo galactique.
Les chercheurs ont également effectué des observations spectroscopiques de huit étoiles de C-19 qui ont une métallicité inférieure à -2 (moins de 1% de la métallicité solaire) à l'aide de plusieurs télescopes et spectrographes (Gemini, CFHT, Gran Telescopio Canarias), afin de mieux déterminer la nature du progéniteur de C-19 et affiner l'orbite du courant stellaire. La cinématique des huit étoiles montre que C-19 suit une orbite profonde dans le puits de potentiel de la Voie lactée, avec un péricentre à environ 7 kpc et un apocentre à environ 27 kpc dans un plan qui est presque polaire par rapport au plan de la Voie Lactée.
Martin et ses collaborateurs montrent qu'il y a très peu de dispersion dans les valeurs de métallicité des étoiles de C-19, ce qui appuie une origine dans un amas globulaire plutôt que dans une galaxie naine. En effet, une galaxie naine devrait produire une grande dispersion de métallicité parmi ses étoiles qui sont produites en plusieurs époques successives. De plus, la métallicité moyenne de C-19 est significativement inférieure à la métallicité moyenne attendue pour les galaxies naines avec cette luminosité.
Une autre preuve qu'il s'agit des restes d'un amas globulaire vient de la mesure d'abondances relatives d'autres éléments comme le baryum et le carbone, ou encore de la dispersion dans les abondances de sodium. Les spectres à haute résolution de trois étoiles membres de C-19 ont par exemple été utilisés pas les chercheurs pour déterminer les abondances chimiques. Ils observent que les rapports [Na/Mg] varient d'un facteur 3 entre les étoiles du courant. Ces variations sont typiques des étoiles qui peuplent des anciens amas globulaires, et ces signatures chimiques sont par ailleurs rarement observées dans les étoiles du halo galactique ou dans les galaxies naines. L'abondance du baryum par rapport au fer est elle du même ordre que la valeur solaire, ce qui est attendu dans les amas globulaires, mais pas dans les galaxies naines où elle est doit être beaucoup plus faible.
Trouver une métallicité aussi basse dans des étoiles de notre galaxie est exceptionnel, et la trouver dans ce qui est clairement le résidu d'un amas globulaire l'est encore plus.
La métallicité extrêmement faible du progéniteur de C-19 permet d'affiner grandement notre compréhension de la métallicité du halo stellaire de la Voie Lactée. Si l'on suppose que la contribution des amas globulaires au halo de la Voie Lactée doit être la même pour toutes les métallicités, alors il y a une pénurie d'amas globulaires avec [Fe/H] < -2.5, car aucun n'est observé alors que environ cinq sont attendus d'après la métallicité des étoiles du halo. La découverte par Nicolas Martin et ses collaborateurs de ce courant d'étoiles très particulier, sous le plancher de métallicité, s'ajoute à d'autres découvertes récentes de courants stellaires assez proches de ce plancher et indique que des amas très pauvres en métaux se sont formés il y a très longtemps mais n'ont pas survécu en tant que tels à leurs interactions de marée avec la Voie Lactée. Leurs vieilles étoiles se sont dispersées dans le halo galactique au fur et à mesure de leur désagrégation, après avoir formé des courants, dont les derniers sont encore visibles aujourd'hui. Mais on se souvient aussi qu'un amas globulaire très pauvre en métaux ([Fe/H]= -2,9) et encore intact, avait été découvert dans la galaxie d'Andromède en novembre 2020. Certains peuvent donc survivre jusqu'à aujourd'hui dans un autre environnement...
Pour finir, Nicolas Martin et ses collaborateurs se demandent pourquoi on voit encore aujourd'hui le courant C-19 et qu'il ne s'est pas encore dilué, d'autant qu'il a une période orbitale de 500 millions d'années autour de la galaxie. Il est possible selon eux que quelque chose ait "protégé" l'amas globulaire assez longtemps pour que sa désagrégation ait été ralentie. Par exemple, il serait possible qu'il soit né dans sa propre galaxie hôte qui l'aurait partiellement protégé des interactions destructrices avec la Voie Lactée. La recherche d'étoiles sur des orbites similaires à celle du courant de C-19 pourrait aider à contraindre ce scénario.
Une autre question est bien sûr celle de l'âge de cet amas globulaire très peu métallique. On s'attend normalement à ce que les galaxies s'enrichissent progressivement au fur et à mesure que de plus en plus d'étoiles se forment et évoluent. L'existence de C-19 prouve que les amas globulaires ont pu se former dans les environnements de très faible métallicité alors que les premières structures galactiques s'assemblaient. L'évolution dans le temps des relations entre la masse d'une galaxie et sa métallicité, construite à partir de simulations d'évolution de galaxies, implique que le progéniteur de C-19 a dû se former au plus tard dans les 2 ou 3 premiers milliards d'années après le Big Bang. Après cette période, aucune galaxie ne devrait encore abriter un gaz suffisamment peu métallique pour avoir formé un système tel que l'ancêtre de C-19. Mais les mêmes relations entre métallicité et masse stellaire indiquent aussi que la galaxie hôte potentielle de l'ancêtre de C-19 aurait dû avoir une masse extrêmement faible (inférieures à environ 45000 masses solaires, indépendamment de l'époque de temps de formation). Or, compte tenu de l'estimation de la masse de Martin et ses collègues de 8000 masses solaires, cela voudrait dire que l'événement de formation d'étoiles qui a conduit au progéniteur de C-19 doit avoir représenté une grande fraction de toutes les étoiles présentes dans la galaxie hôte à ce moment-là. Cette superbe découverte du courant d'étoiles C-19 fournit donc de fortes contraintes sur les modèles de formation des galaxies et des amas globulaires aux époques les plus reculées...
Source
A stellar stream remnant of a globular cluster below the metallicity floor
Nicolas Martin et al.
Nature (5 janvier 2022)
Illustrations
1. Distribution des groupes très denses d’étoiles, appelées amas globulaires, de la Voie Lactée superposée sur la carte de la Voie Lactée construite à partir des données de la sonde Gaia
(N. Martin/Observatoire astronomique de Strasbourg/CNRS ; Canada-France-Hawaii Telescope / Coelum; ESA/Gaia/DPAC)
2. Spectres de trois étoiles de C-19 : a) : région du triplet du Mg; b) : région du doublet du Na (Martin et al.)
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