12/01/22

La Bulle Locale issue de plusieurs supernovas à proximité du Soleil produit de nouvelles étoiles


Depuis des décennies, on sait que le Soleil se trouve à l'intérieur de ce qu'on appelle la "bulle locale", une cavité de plasma de faible densité relativement chaude entourée d'une coquille de gaz neutre froid et de poussière. Mais sa formation et sa relation avec la formation des étoiles proches restaient incertaines. Aujourd'hui paraît dans Nature une étude qui démontre que la surface de la bulle locale est un lieu de formation d'étoiles et que cette bulle a été produite par une série de supernovas il y a environ 14 millions d'années... 

Catherine Zucker (Harvard Smithonian Center for Astrophysics) et ses collaborateurs analysent les positions tridimensionnelles, les formes et les mouvements du gaz dense et des jeunes étoiles dans un rayon de 200 pc autour du Soleil, en utilisant de nouvelles contraintes spatiales et dynamiques sur les nuages de gaz et de poussière obtenues en 2019 et 2020 ainsi que sur l'astrométrie des étoiles grâce aux données de Gaia qui ont été publiées l'année dernière. Ce que les astrophysiciens découvrent c'est que presque tous les complexes de formation d'étoiles dans le voisinage du Soleil se trouvent à la surface de la bulle locale dont le rayon fait 165 pc (538 années-lumière). Et ils trouvent que les jeunes étoiles montrent une vitesse dirigée vers l'extérieur, et  perpendiculaire à la surface de la bulle! 

Les nuages de gaz à la surface de la bulle ne comprennent pas seulement toutes les régions de formation d'étoiles dans l'association Scorpius-Centaurus (Sco-Cen) (Ophiuchus, Lupus, Pipe, Chamaeleon et Musca), mais aussi la région de Corona Australis et le nuage moléculaire du Taureau, ce dernier se trouvant à 300 pc de Sco-Cen, du côté opposé de la bulle. La seule exception est le nuage moléculaire de Persée, à une distance de 300 pc, qui a probablement été déplacé par la superbulle Per-Tau récemment découverte, qui contient le Taureau sur son côté proche et Persée sur son côté éloigné. Le complexe du nuage moléculaire du Taureau se trouve à l'intersection de la bulle de Per-Tau et de la bulle locale, il présente une morphologie en forme de feuille, cohérente avec le fait qu'il a été formé par une collision de type bulle-bulle. Chaque nuage de surface de la bulle locale présente des preuves d'une morphologie similaire en forme de feuille ou de filament, uniformément allongée le long de la surface de la bulle.

En utilisant les mesures des positions et mouvements en 3D des amas stellaires, Zucker et ses collaborateurs reconstruisent l'histoire de la formation des étoiles près de la bulle locale. Ils dérivent alors les "traces" des amas stellaires associés à la bulle locale et aux structures connexes. Des recherches précédentes avaient montré que les mouvements 3D des amas les plus jeunes (≲3 millions d'années) peuvent être considérés comme des sondes des mouvements des nuages de gaz parentaux dans lesquels ils sont nés. C'est en utilisant les mouvements des jeunes étoiles pour tracer le mouvement des nuages, que Zucker et son équipe observent que non seulement tous les nuages de formation d'étoiles observés dans un rayon de 200 pc se situent à la surface de la bulle locale, mais aussi qu'ils présentent tous un mouvement d'expansion vers l'extérieur, principalement perpendiculaire à la surface de la bulle. Les traces des mouvements des amas au cours des 20 derniers millions d'années pointent vers l'origine probable de la bulle locale : la région où les supernovas à l'origine de la bulle ont explosé. L'implication claire de la géométrie et des mouvements observés est que toutes les régions de formation d'étoiles bien connues, situées dans un rayon de 200 parsecs du Soleil se sont formées lorsque le gaz a été balayé par l'expansion de la bulle locale.
Des travaux récents utilisant des catalogues complémentaires de jeunes étoiles soutiennent par ailleurs cette interprétation, en trouvant des preuves que l'association stellaire Sco-Cen présente une morphologie en arc de cercle compatible avec une formation d'étoiles séquentielle récente, dont on sait depuis l'année dernière qu'elle a été déclenchée par la bulle locale.
Les astrophysiciens observent aussi de multiples époques de formation d'étoiles, chaque génération d'étoiles étant compatible avec une formation au bord de l'enveloppe de la bulle locale en expansion. Ils constatent notamment qu'il y a 15 à 16 millions d'années, les amas UCL (Upper Centaurus Lupus) et LCC (Lower Centaurus Crux) de l'association stellaire Sco-Cen sont nés à environ 15 pc l'un de l'autre, et que la bulle elle-même a probablement été créée par des supernovas qui appartenaient à ces amas.

A partir de la quantité de mouvement injectée requise par les supernovas pour balayer la masse totale de la bulle (1,4 millions de masses solaires) et étant donné sa vitesse d'expansion actuelle (6,7 km/s), Zucker et ses collaborateurs estiment qu'un nombre compris entre 8 et 26 supernovas ont ont été nécessaires pour former la Bulle Locale. Grâce à une analyse de leur composition stellaire actuelle et à leur fonction de masse initiale, des études antérieures s'accordaient à dire que les amas UCL et LCC ont produit 14 à 20 supernovas au cours de leur vie. Mais ces études affirmaient aussi que l'UCL et le LCC se seraient formés en dehors de la limite actuelle de la bulle locale, et qu'ils seraient entrés à l'intérieur de celle-ci qu'au cours des dernières millions d'années. Cela apparaît donc incompatible avec l'idée qu'ils seraient à l'origine de la bulle locale... Mais Zucker et son équipe possèdent des données bien plus précises grâce au troisième catalogue de Gaia. En adoptant les nouvelles estimations des vitesses 3D des amas, une meilleure intégration de l'orbite et une valeur plus précise du mouvement particulier du Soleil, Catherine Zucker et son équipe découvrent que l'UCL et le LCC coïncident effectivement avec le centre de la bulle locale à sa naissance, mais se trouve aujourd'hui vers l'un de ses bords !

Le modèle d'expansion de la coquille sphérique idéalisée s'ajuste parfaitement pour l'âge de la bulle locale, la durée entre les explosions de supernova qui alimentent son expansion, et la densité ambiante du milieu interstellaire avant la première explosion. Les chiffres qui fournissent le meilleur ajustement sont les suivants : l'âge de la bulle serait de 14,4 (-0.8/+0,7) millions d'années, la durée entre les explosions de supernova serait de 1,1 (-0,4/+0.6) millions d'années  et la densité ambiante : 2,7 (-1,0/+1,6) atomes/cm3. 
Après la naissance de la bulle locale il y a 14 millions d'années, les chercheurs identifient quatre époques distinctes de formation d'étoiles à la surface de son enveloppe en expansion, qui ont eu lieu il y a environ 10 millions d'années, 6 millions d'années, 2 millions d'années et aujourd'hui. Il y a environ 10 millions d'années, il s'agit de la formation de l'association du Scorpion supérieur ainsi qu'une population stellaire compagne plus ancienne, récemment découverte dans Ophiuchus. Ensuite, il y a 6 millions d'années, c'est la Corona Australis et la population stellaire la plus ancienne du Taureau qui sont nées. Il y a environ 2 millions d'années, on voit la naissance d'étoiles dans Lupus et Chamaeleon, ainsi que les populations stellaires les plus jeunes du Taureau et d'Ophiuchus. Enfin, à l'heure actuelle, nous observons la distribution actuelle du gaz moléculaire dense formant des étoiles, enveloppant la bulle locale.

Chose intéressante, en étudiant l'orbite solaire, les chercheurs montrent que le Soleil n'a pas toujours été dans la bulle locale. Il n'y est entré qu'il y a environ 5 millions d'années. Il se trouvait à environ 300 pc (1000 années-lumière) des premières supernovas qui ont explosé dans l'UCL et le LCC. Cette belle étude fournit ainsi un soutien observationnel à six dimensions (3D en position et 3D en vitesse) à la théorie de la formation d'étoiles dans le milieu interstellaire sous l'effet des supernovas, une théorie qui était longtemps évoquée pour la formation des étoiles dans les nuages moléculaires.  Les traces du mouvement de ces jeunes étoiles soutiennent clairement une image selon laquelle l'origine de la bulle locale est une explosion de naissances puis de morts stellaires qui aurait eu lieu près du centre de la bulle il y a environ 14 millions d'années.

L'abondance des nouvelles données de vitesse radiale stellaire qui sont attendues dans le nouveau catalogue complet de Gaia devrait non seulement permettre d'affiner les estimations des caractéristiques de la bulle locale, mais aussi d'améliorer la qualité des estimations de l'évolution de la Bulle Locale, voire des études similaires dans des régions plus éloignées pour mieux comprendre la formation stellaire induite par les supernovas dans notre voisinage galactique.

Source

Star formation near the Sun is driven by expansion of the Local Bubble
Catherine Zucker et al.
Nature (12 january 2021) 


Illustrations

1. Environnement actuel du Soleil dans la Bulle Locale
2. Evolution temporelle de la bulle locale depuis 16 millions d'années

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