mercredi 19 janvier 2022

2 milliards de trous noirs dans notre galaxie


Compter le nombre de trous noirs qui existent dans l'Univers, en fonction de leur masse. C'est le projet que se sont assigné un groupe d'astrophysiciens italiens et anglais, et ils publient aujourd'hui leur première étude qui est consacrée aux trous noirs de masse stellaire, avant de se pencher bientôt sur les trous noirs plus massifs. Ils parviennent à déterminer que 1% de toute la matière ordinaire se trouve aujourd'hui sous forme de trous noirs, dont le nombre serait de l'ordre de deux milliards rien que dans notre galaxie. L'étude est parue dans The Astrophysical Journal. 

Alex Sicilia et ses collaborateurs ont effectué un calcul ab initio de la fonction de masse des trous noirs stellaires en fonction du temps cosmique : c'est à dire comment se répartit la population de trous noirs en fonction de leur masse et en fonction de l'histoire de l'Univers. Ils considèrent le canal de production standard des trous noirs stellaires : l'évolution d'une étoile massive unique ou binaire isolée. Ils ont exploité un code d'évolution stellaire nommé SEVN, et ils ont couplé ses résultats avec les caractéristiques statistiques des galaxies en fonction du décalage vers le rouge et les relations d'échelle empiriques qui impliquent différents paramètres clés comme la métallicité des galaxies, leur taux de formation d'étoiles et leur masse stellaire.
La fonction de masse que Sicilia et ses collaborateurs déterminent (le nombre en fonction de la masse du trou noir) présente une forme plutôt plate jusqu'à environ 50 M puis montre une décroissance pour des masses plus importantes. Globalement, la masse augmente lorsque le redshift diminue (les trous noirs grossissent lorsque le temps s'écoule) et il y a moins de petits trous noirs à l'époque des toutes premières étoiles car les étoiles de première génération (population III) produisaient surtout des trous noirs déjà assez massifs en explosant. L'équipe parvient à mettre en évidence la contribution à la fonction de masse locale des étoiles isolées évoluant en trous noirs et des systèmes stellaires binaires aboutissant à des trous noirs uniques ou binaires. Ils incluent également la distorsion de la fonction de masse qui est induite par les fusions de trous noirs binaires. En effet, ces fusions font disparaître 2 trous noirs d'une certaine masse pour n'en laisser qu'un seul de masse plus grande pas tout à fait égale à la somme des deux. Ils montrent que le processus de fusion de trous noirs n'a d'ailleurs pas un gros effet sur la fonction de masse, uniquement sur la zone des plus grandes masses. Et la fonction de masse trouvée pour la sous-population des trous noirs binaire qui mènent à des fusions se compare très bien aux estimations récentes des observations d'ondes gravitationnelles par LIGO/Virgo jusqu'à  m ≲ 40 M. Pour des masses plus importantes, la distribution observée décline doucement, alors que la distribution théorique s'éteint pour une double raison : d'une part le déficit de masse provenant des supernovas à instabilité de paire et à instabilité de paire pulsationnelle, et d'autre part la perte de masse substantielle pendant la phase d'enveloppe commune qui est nécessaire pour produire un couple de trous noirs serrés pouvant fusionner dans le temps de Hubble. Sicilia et son équipe proposent comme solution viable de considérer la formation dynamique de trous noirs binaires dans un environnement dense comme les (jeunes) amas d'étoiles.


Mais Sicilia et ses collaborateurs peuvent aussi calculer quelle est la densité de masse qui est présente localement sous la forme de trous noirs  : cette densité atteint la bagatelle de  50 millions M Mpc-3, ce qui dépasse de plus de plus de deux ordres de grandeur (un facteur 500) celle des trous noirs supermassifs (de masse comprise entre 1 million et 1 milliard de masses solaires) qui est d'environ 100 000 M Mpc-3. Les trous noirs supermassifs peuvent être  plusieurs milliards de fois plus massifs qu'un trou noir stellaire mais ils sont relativement rares, un seul par galaxie, alors que les trous noirs stellaires pullulent littéralement dans toutes les galaxies... Sicilia et ses collaborateurs calculent que la densité des trous noirs est égale à 10% de celle des étoiles, ce qui correspond à peu près à la fraction des étoiles de plus de 20 masses solaires qui vont donner un trou noir en explosant. Dit autrement, il y aurait dans notre galaxie environ 2 milliards de trous noirs 10 masses solaires en moyenne. Si on fait le ratio de masse entre ces trous noirs et Sgr A*, on arrive à un facteur 5000... 
Sicilia et ses collaborateurs déterminent par ailleurs que tous ces trous noirs stellaires correspondent à 1% de l'ensemble de la matière baryonique (matière ordinaire) de l'Univers. 
Quelques milliards de trous noirs stellaires dans une galaxie comme la nôtre... si on s'amuse à multiplier par le nombre de galaxies estimées dans l'Univers observable qui est d'environ 1000 milliards, même si elles ne sont pas toutes de la taille de la Voie Lactée, loin s'en faut, je vous laisse trouver le nombre total de trous noirs... 

Alex Sicilia et son équipe soulignent que ces résultats peuvent constituer un point de départ pour étudier l'origine des graines de trous noirs supermassifs et leur croissance dans les jeunes galaxies à haut redshift. Pour des masses inférieures à 150 M et des décalages vers le rouge z de 10, la fonction de masse obtenue surpasse les résultats des canaux de formation de graines légères, comme les étoiles de population III, les fusions stellaires dans les amas d'étoiles nucléaires et les scénarios d'effondrement direct. La distribution de graines légères issue de cette étude pourra utilement être implémentée dans des modèles semi-analytiques et numériques de formation et d'évolution de trous noirs (super)massifs, ce qui permettra des prédictions pour les futures observations d'ondes gravitationnelles via les télescopes Einstein et LISA. 

Source

The Black Hole Mass Function Across Cosmic Times. I. Stellar Black Holes and Light Seed Distribution
Alex Sicilia et al.
The Astrophysical Journal, Volume 924, Number 2 (12 january 2022)


Illustrations 

1. Vue d'artiste d'un groupe de trous noirs stellaires (NASA / ESA / Hubble / N. Bartmann)
2. Fonction de masse des trous noirs pour différents redshifts (Alex Sicilia et al.)

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