mercredi 30 novembre 2022

L’excès du fond de lumière visible, un signe indirect de matière noire ?


Le 7 mars dernier, je vous racontais que la sonde New Horizons avait mesuré le fond de lumière visible (Cosmic Optical Background, COB), et l'avait trouvé deux fois plus intense que ce qu'on attendait connaissant le nombre de galaxies tapissant la voûte céleste. Des chercheurs se sont penchés sérieusement sur l'origine possible de cette anomalie, une des pistes envisagées est celle de la matière noire sous forme d'axions... Ils publient leur étude dans
 Physical Review Letters.

José Luis Bernal (Université Johns Hopkins) et ses collaborateurs proposent un modèle dans lequel les particules très légères qu'on appelle les axions, qui sont des candidates très intéressantes pour expliquer la matière noire, pourraient en se désintégrant générer deux photons de quelques électron-volt, donc dans la gamme du rayonnement visible,  qui concerne le COB. L'excès du COB qui est observé pourrait "simplement" venir de ces désintégrations d'axions hypothétiques.

Mais la mesure du COB est très difficile en raison de la contamination par la lumière diffuse provenant de sources beaucoup plus proches, notamment la lumière solaire diffusée par la poussière interplanétaire. Observé depuis le bord de notre système solaire, le COB mesuré par la sonde New Horizons est peu affecté par la majeure partie de cette contamination. Lorsque cette anomalie a été révélée, les chercheurs ont très vite commencé par attribuer l'excès de luminosité à la lueur de galaxies inconnues et d'étoiles extragalactiques, mais Bernal et ses collègues montrent qu'il pourrait aussi bien être expliqué par la désintégration des axions en photons monoénergétiques si ces particules hypothétiques présentent une masse et une force de couplage axion-photon particulières. Selon les calculs de l'équipe, les axions ayant une masse comprise entre 8 et 20 eV pourraient expliquer l'excès de flux s'ils se convertissent en photons avec un couplage axion-photons ayant une valeur comprise entre 3 et 6 10-11 GeV-1, ce qui se traduit par un taux de désintégration compris entre 10-23 et 10-22 s-1.

Pour en arriver à cette conclusion, Bernal et ses collègues ont calculé la distribution spectrale d'énergie que devraient produire ces désintégrations d'axions et leur contribution au flux de lumière qui est mesuré par l'instrument LORRI de New Horizons. Il se trouve que l'espace des paramètres qui peut expliquer l'excès mesuré avec les désintégrations d'axions en photons d'énergie supérieure à 4 eV n'est pas contraint à ce jour. En d'autres termes, dans cette gamme d'énergie, tout est possible.

Et les chercheurs montrent que si l'excès du COB provient de la désintégration des axions en deux photons monoénergétiques, il devrait alors exister un signal significatif dans les prochaines mesures de cartographie de l'intensité de raies spectrales sur tout le ciel. De plus, l'instrument ultraviolet à bord de New Horizons (qui a une meilleure sensibilité sur le COB que LORRI et peut sonder une autre gamme du spectre) permettra de tester cette hypothèse et d'étendre la recherche à une plus large gamme de fréquences. Et il y a aussi une voie de falsification de ce modèle, qui pourrait dévoiler cette origine de l'excès du COB et que mentionnent Bernal et ses collaborateurs : une étude parue en mars 2020 dans Journal of Cosmology and Particle Physics menée par les physiciens A. Korochkin, A. Neronov et D. Semikoz montrait en effet qu'un COB plus élevé provenant de sources à haut décalage vers le rouge devait contribuer à l'atténuation des rayons γ de haute énergie. Or, des résultats préliminaires de l'étude du rayonnement gamma d'un blazar nommé 1ES 1218+304 montrent une préférence pour l'existence d'une bosse dans le fond de lumière extragalactique, un excès de lumière qui pourrait justement être produit par des axions ayant des propriétés (masse, couplage) qui seraient également compatibles avec l'excès de COB mesuré par New Horizons... Pour Bernal et son équipe, cet indice, en plus des perspectives prometteuses des observations à venir, justifie l'étude plus approfondie qu'ils sont en train de mener sur la caractérisation de l’excès de lumière extragalactique via l’absorption du rayonnement gamma d’objets lointains, et qui devrait bientôt être publiée.

L’équipe de José Luis Bernal n’est d’ailleurs pas la seule à travailler sur des scénarios de matière noire comme étant à l’origine de l’ « anomalie LORRI » comme l’excès du COB est parfois appelé.  Au début du mois, le japonais Kazunori Nakayama et le chinois Wen Yin publiaient une autre analyse dans Physical Review D (un article soumis le 11 mai, soit un mois et demi après la soumission de Bernal et al. du leur à Physical Review Letters qui n’a été accepté pour publication que le 17 octobre). Les deux chercheurs font une analyse de l’anomalie LORRI sous la forme d’une désintégration d’une particule de type axion en un photon + une autre particule qui pourrait être un photon ou une autre particule exotique. Leur conclusion est que ce mode de production de l’excès n’est pas possible avec un axion entre 5 et 25 eV, simplement sur la base de l’anisotropie du rayonnement qui serait produite qui ne colle pas avec l’anisotropie du COB qui a pu être mesurée par le télescope Hubble.

Et d’autres chercheurs, comme la japonais Taiki Bessho et ses collaborateurs n’excluent pas un axion de moins de 4 eV, qui produirait sur le même principe un excès de lumière donc dans le proche infra-rouge cette fois (toujours des photons monoénergétiques). Ils ont montré dans une étude publiée en août dernier dans Physical Review D qu’avec le spectrographe WINERED installé sur le télescope Magellan Clay de 6,5 m, ou avec le spectrographe NIRSpec du télescope spatial Webb, il suffisait de seulement quelques heures d’observation d'une faible galaxie naine pour sonder l’existence d’une particule de type axion dans la gamme de masse 1,8 – 2,7 eV (pour WINERED) ou 0,5 - 4 eV (pour NIRSpec) avec un couplage axion-photons de 10-11 GeV-1 …

L’existence d’anomalies dans les observations astrophysiques est la chose la plus passionnante qui soit, car cela ouvre des perspectives et de potentielles découvertes fondamentales. L’excès du fond de lumière visible n’est peut-être dû qu’à une mauvaise évaluation du nombre de galaxies dans l’Univers jeune, mais c’est peut-être aussi le smoking gun de la matière noire sous forme d’axions. La bonne nouvelle c'est que la falsification de cette idée est à portée de main des observateurs. Les cartographies d’intensité de raies spectrales sur tout le ciel, que ce soit en proche infra-rouge ou en visible, vont être attendues fébrilement par les fanas d'axions que nous sommes…

 

Source

Cosmic Optical Background Excess, Dark Matter, and Line-Intensity Mapping

José Luis Bernal et al.

Physical Review Letters 129, 231301 (29 novembre 2022)

https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.129.231301

 


Illustration

Vue d'artiste de la sonde New Horizons détectant le COB  (NASA; J. Olmsted/STScI)


1 commentaire :

Bruno a dit…

Bonjour,

Merci pour vos articles de grande qualité.
Ces axions de 4 à 5eV évoqués pourraient-ils être détectés dans des colisionneurs type LHC ?
Merci de votre réponse